Le pari réussi de BeCentral, après quatre ans
Devenir un campus qui forme des milliers de personnes au numérique et abrite des initiatives avec impact fort. Voilà l’objectif que s’était fixé BeCentral, l’espace situé au-dessus de la gare Centrale de Bruxelles. En quatre ans, le pari n’est pas loin d’être gagné. Et les ambitions sont encore grandes.
En ce midi du mois de février 2017, dans la grande salle quelque peu rétro du premier étage de la gare Centrale, il fallait une certaine dose d’imagination pour arriver à se projeter dans le futur que des “stars” de la tech s’évertuaient à nous dépeindre. Durant la conférence de presse qui se tenait dans la gare, quelques pointures belgo-belges de l’écosystème numérique et start-up s’étaient regroupées pour dévoiler… BeCentral. Autour de quelques petits fours, on retrouvait des figures biens connues du microcosme, comme Sébastien Deletaille, Bart Becks, Saskia Van Uffelen, Thierry Geerts, Karen Boers, Omar Mohout, Philippe Van Ophem ou encore… Alexander De Croo, à l’époque ministre de l’Agenda numérique. Au total, 28 personnes s’étaient regroupées pour financer un “espace dédié à l’éducation aux nouvelles technologies”. Avec en ligne de mire, la formation des personnes les plus précarisées en matière de digital.
Le modèle de BeCentral, considéré par certains comme le plus gros campus digital d’Europe, inspire et intéresse l’étranger.
La conférence de presse, organisée alors que les travaux dans les bâtiments étaient encore en cours, insufflait à la fois un vent d’enthousiasme largement partagé par la communauté tech et un certain scepticisme. Doté de 800.000 euros d’argent public, BeCentral devait aménager quelque 2.000 m2 de ce bâtiment Victor Horta donné en location par la SNCB au projet en devenir. Les porteurs de celui-ci prévoyaient à la fois d’organiser des cours de développement web au travers de BeCode, concept naissant de formation, et d’héberger des start-up belges pour créer une alchimie avec les apprenants. Le tout porté, donc, par un groupement plutôt improbable d’entrepreneurs, d’investisseurs, de politiques et de représentants de grosses boîtes comme Google qui, tous, investissaient ¬ entre “un peu” et “beaucoup” ¬ à titre privé et, surtout, s’investissaient… un peu ou beaucoup selon leurs disponibilités.
Si l’initiative ne pouvait qu’être saluée, les plus dubitatifs s’interrogeaient sur la portée réelle d’une telle initiative dans la durée. Ce projet, tout à la fois sensé et hybride, étonnement logé dans les bâtiments d’une institution ancestrale et à mille lieues du digital, allait-il pouvoir devenir the place to be du numérique et de la formation aux nouvelles technologies, comme ses fondateurs l’envisageaient?
7.000 m2 en quatre ans
Un peu plus d’un an après son lancement et après avoir adopté comme responsable Laurent Hublet, ancien conseiller du ministre Alexander De Croo, pour les questions numériques, on pouvait déjà sentir un certain frémissement chez BeCentral. Et nous avions déjà lancé, dans Trends-Tendances, cette question simple: “La gare Centrale deviendra-t-elle l’endroit le plus digital de Belgique?” Car en mars 2018, 1.400 m2 avaient été aménagés et le lieu accueillait déjà quotidiennement pas moins de 200 à 250 personnes. Des “étudiants” qui venaient assister à l’une des formations de courte ou de longue durée dispensées dans les salles de BeCentral. Car des “écoles” pour adultes ou enfants y étaient déjà actives: BeCode, Le Wagon, CodeNPlay, CodeFever ou CoderDojo. Des start-up comme Listminut, Sortlist ou Faqbot s’y étaient installées également et une série d’événements s’organisaient dans les salles de BeCentral. Laurent Hublet revendiquait à l’époque “l’inspiration” de 4.000 personnes: soit autant de personnes ayant été initiées, ou même formées au numérique.
Quatre années se sont écoulées depuis la conférence de presse d’annonce du projet. Et si BeCentral conserve plus que jamais son positionnement, le projet a fortement évolué. Il occupe désormais 7.000 m2 dans le bâtiment, plus de trois fois qu’initialement prévu, et attire chaque jour (en période non-Covid) un millier de personnes en son sein (désormais actives à distance pour la plupart en raison de la situation sanitaire). Il faut dire que pour “booster l’impact” de BeCentral, son managing director a (de nouveau) levé de l’argent (1,8 million d’euros) en octobre 2019 auprès d’un nombre important d’investisseurs. En effet, si 80% de la somme venaient des actionnaires existants, dont une série de personnalités privées en vue (Jean-Jacques et Olivier Delens, Thierry Geerts, etc.) et de la SFPI et finances&invest.brussels, les 20% restants provenaient de nouveaux arrivants dans le capital de la S.A. BeCentral, à savoir la famille Colruyt via OYA CVBA et pas moins de 14 business angels membres du réseau BeAngels. De quoi porter le nombre d’action- naires de 28 à 64 personnes…
Finance&invest.brussels et la SFPI, les deux organismes publics actionnaires dans BeCentral, possèdent désormais 45% du capital, le reste étant détenu par les 62 autres fondateurs. Et ce qui aurait pu apparaître comme une “opération de communication” autour de dizaines de personnalités est de toute évidence un avantage fort pour l’écosystème. Car nombre de fondateurs de BeCentral ont décidé d’y loger leurs projets. C’est le cas de Karen Boers avec BeCode, de Sébastien Deletaille avec Rosa, de Philippe Van Ophem et Daniel Verougstraete avec EducIT, de Claire Munck qui y a installé les bureaux de Be Angels, ou encore de Roald Sieberath qui y a fondé la formation AI Black Belt, pour n’en citer que quelques-uns. Sans compter les start-up et projets qui ne sont pas lancés par les membres fondateurs de l’écosystème mais dans lesquels ils investissent ou qu’ils soutiennent et qu’ils aiguillent vers BeCentral également.
“C’est évidemment précieux, réagit Laurent Hublet, mais nous sommes ouverts à tous les projets et pas seulement à ceux de nos cofondateurs!” Et ils sont aussi nombreux. Car, c’est peu de le dire, de plus en plus de projets se sont pressés pour venir loger leurs bureaux au sein de ce lieu particulièrement central. La dynamique du site et sa spécificité forte ont permis à BeCentral de se positionner comme une référence en matière d’éducation au numérique et de grandir en même temps que les projets qui s’y sont installés et qui prennent, au fur et à mesure, des espaces toujours plus grands. C’est de manière naturelle que s’y sont développés des programmes spécifiques comme AI Black Belt, Skills Factory, etc. Au total, on dénombre pas moins de 70 projets (programmes d’éducation, start-up, ASBL, etc.) actifs chez BeCentral, dont un certain nombre s’orientent vers la formation de populations moins favorisées ou plus précaires numériquement. L’argent levé en 2019 par BeCentral a essentiellement été utilisé pour aménager les espaces situés aux étages de la gare de manière à pouvoir accueillir de nouvelles initiatives et start-up.
Parmi les arrivées notables au sein de l’écosystème BeCentral, citons, par exemple, l’école 19, spin-off de l’école de codage 42 fondée par Xavier Niel, qui dispose désormais de 1.000 m2 à la gare Centrale, avec 250 postes de travail. Ou encore Alan, start-up française prometteuse dans l’assurance santé qui a levé quelque 125 millions d’euros depuis son lancement et s’est installée au sein de BeCentral pour se lancer à l’assaut du marché belge. D’ailleurs, la présence d’Alan et de Rosa commence à ajouter une pierre supplémentaire à l’édifice impactant de BeCentral: en marge de l’éducation au numérique, le lien avec la santé digitale pourrait bien, à terme, constituer un développement de l’écosystème.
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Rentrer de l’argent et être rentable
Mais BeCentral n’est pas une action de charité. Laurent Hublet insiste: “Nous avons un business model qui vise à faire de BeCentral un projet pérenne et à l’équilibre! Et nous sommes très attentifs d’un point de vue financier”. Le modèle est assez simple: louer des espaces. Aujourd’hui, les revenus de BeCentral s’élèvent à quelque 2,4 millions d’euros, plus de deux fois qu’en 2018. Ils proviennent à 90% de la location de bureaux et d’espaces. Et permettent au projet d’atteindre le break-even. Un élément important qu’observent les fondateurs et les investisseurs de BeCentral, mais qui n’est pas forcément essentiel. “Le critère de réussite, explique Laurent Hublet, ne se trouve pas uniquement dans la rentabilité de BeCentral. Bien sûr, il faut rentrer dans les frais pour assurer la continuité du projet et c’est bien pour cela que chaque projet installé ici paie un loyer. Mais la rentabilité constitue avant tout un moyen d’atteindre notre objectif. Et les KPI (key performance indicators) qu’analysent réellement nos investisseurs sont plutôt le nombre de personnes que l’on forme au numérique, celles que l’on sensibilise, etc.” BeCentral revendique 200.000 personnes touchées par les différents projets de l’écosystème. Parmi elles, sont comprises autant les 1.500 personnes ayant suivi une formation longue durée de sept mois chez BeCode que celles qui ont passé seulement un ou quelques jours de formation dans l’un des programmes de BeCode.
200.000 personnes sont passées par BeCentral en quatre ans.
Si le modèle semble bien fonctionner, l’écosystème pourrait-il faire des petits dans d’autres endroits du pays comme l’ont fait CoStation, BeAngels ou encore Molengeek? “C’est une question que l’on se pose, avoue le directeur de BeCentral. Mais ce n’est pas encore dans les cartons car il y a encore des choses à faire ici à Bruxelles. Et il n’est pas sûr que nous installer dans des écosystèmes locaux soit pertinent. Notamment parce que des initiatives que l’on héberge y sont déjà installées.”
Ce qui toutefois est certain, c’est que le modèle de BeCentral, considéré par certains comme le plus gros campus digital d’Europe, inspire et intéresse l’étranger. Certains écosystèmes observent de près les développements de BeCentral et entrent en contact avec Laurent Hublet pour mieux en comprendre toute la philosophie. Et peut-être créer des clones à l’étranger?
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