Le marché du reconditionné: la deuxième vie des smartphones
Le marché des smartphones reconditionnés est en plein essor. Une start-up belge s’est lancée dans ce créneau. Voici comment elle a réussi à convaincre la Fnac de vendre ses appareils de seconde main remis à neuf.
Il ressemble à un iPhone. Mais ce n’est pas tout à fait un iPhone. L’appareil vendu par la start-up belge Back2Buzz appartient à la catégorie des smartphones reconditionnés, une nouvelle gamme de produits qui commence à se frayer un chemin sur les sites de vente en ligne, mais aussi dans les rayons de certains revendeurs spécialisés. En Belgique, la Fnac a passé un accord avec Back2Buzz pour commercialiser ces curieux smartphones d’occasion ressemblant comme deux gouttes d’eau à leurs équivalents neufs.
Un smartphone reconditionné est un téléphone d’occasion dont certains composants abîmés ou défectueux sont remplacés par des pièces détachées neuves. Leur principal atout : un prix plus doux. Comptez, par exemple, 499 euros pour un iPhone 6 reconditionné par la start-up belge. En moyenne, Back2Buzz estime que le prix de vente de ses appareils est inférieur de 20 % à 30 % à celui du produit neuf.
Un marché en croissance
En 2016, d’après des projections du consultant Deloitte, 120 millions de smartphones reconditionnés (ou refurbished) ont été vendus dans le monde, pour un chiffre d’affaires total de 17 milliards de dollars. Le marché du reconditionné, qui équivaudrait à 8 % du marché du neuf, devrait continuer à prendre de l’ampleur. Selon le consultant spécialisé IDC, les ventes de smartphones refurbished atteindront 222 millions d’unités en 2020.
Dans notre pays, les volumes de ventes sont encore modestes (lire l’encadré plus bas ” Une filière écolo et porteuse d’emploi ? “) mais ils sont en forte progression. C’est ce qui a poussé Back2Buzz à se lancer dans ce créneau en Belgique, mais aussi au Luxembourg et en Suisse. La start-up a d’abord tenté de se positionner comme intermédiaire entre les vendeurs de smartphones reconditionnés et les revendeurs belges. Mais l’expérience a tourné court. ” Nous nous sommes rapidement aperçus des énormes lacunes de ce marché. Beaucoup d’appareils sont de mauvaise qualité, et les cahiers des charges sont rarement respectés “, souligne Philippe Honhon, cofondateur de Back2Buzz.
Avec son compère Eric Brajtsztajn (ancien patron de Cami, un réseau de revendeurs Apple), Philippe Honhon décide de se placer plus en amont de la chaîne et de s’occuper directement du reconditionnement d’appareils. Pour l’instant, la jeune société se concentre uniquement sur l’iPhone, le produit qu’elle maîtrise le mieux. Dans un deuxième temps, elle s’attaquera aux modèles haut de gamme de Samsung. Les appareils premium, comme les iPhone d’Apple ou la série des Galaxy S de Samsung, sont les plus adaptés à une ” deuxième vie ” parce qu’ils conservent une valeur résiduelle élevée sur le marché de la seconde main.
IPhones au kilo
Pour créer un smartphone reconditionné, Back2Buzz se fournit auprès de brokers, des intermédiaires qui récupèrent des téléphones d’occasion et les revendent par lots, au poids. La réception d’un colis de smartphones à l’atelier de Braine l’Alleud est donc toujours une surprise pour les techniciens : tous les appareils ne leur parviennent pas dans le même état. Vient ensuite une phase de vérification des différentes fonctionnalités de chaque appareil et de remplacement des pièces défectueuses.
Recupel estime qu’environ un million de téléphones mobiles non utilisés traînent dans les tiroirs des Belges.
C’est à cette étape-là que la start-up brabançonne veut faire la différence. ” Sur le marché du refurbished, la qualité est très aléatoire. Nous voulons être le plus proche possible d’un produit irréprochable “, explique Philippe Honhon. Pour y parvenir, la société a signé une licence exclusive avec une entreprise britannique qui a créé un logiciel capable de repérer les défauts de chaque composant du smartphone (batterie, appareil photo, bouton home, etc.). En quelques minutes, le programme identifie les pièces à remplacer. Reste au technicien de la start-up à reconditionner l’appareil. Pour ce faire, Back2Buzz se procure des pièces détachées auprès de fabricants d’électronique qui, dans certains cas, fournissent eux-mêmes Apple. On pense évidemment à l’entreprise chinoise Foxconn, même si la start-up ne souhaite pas confirmer.
Comme ils sont actifs sur le marché de l’occasion, les reconditionneurs n’ont pas besoin de l’accord d’Apple pour retaper et revendre les appareils. Mieux : ils n’ont même pas besoin d’acheter de composants siglés de la marque à la pomme. Sur un iPhone, très peu de pièces sont en effet protégées par un brevet d’Apple, explique Eric Brajtsztajn. A part le touch ID (identification par empreinte digitale), la carte mère et la coque arrière (qui peut être remise à neuf grâce à un bain d’acide), tous les autres composants peuvent être remplacés par des pièces détachées achetées auprès d’un fournisseur ” bis “. La pièce la plus chère étant le bloc écran, qui coûte environ 85 dollars hors placement. Les autres composants sont nettement plus abordables, comme le bouton home (1 dollar) ou encore l’appareil photo (1,4 dollar à peine ! ).
Tromperie sur la marchandise
Avec le bon matériel et un peu de savoir-faire, un smartphone est donc quasiment entièrement démontable et remontable… pour peu qu’on y mette le prix. Ce que ne font pas la plupart des acteurs du marché du reconditionnement. Test-Achats l’a constaté lors d’un test conduit sur des iPhones 6 reconditionnés vendus en Belgique via des sites internet. Les résultats se sont avérés catastrophiques : batteries usagées, connecteurs oxydés, écrans décollés, accessoires contrefaits… La liste des avaries est longue. ” Un seul appareil sur 18 répondait à 100 % des caractéristiques annoncées. Quatre s’en sortaient bien. Pour tous les autres, on peut parler de tromperie sur la marchandise “, témoigne Christophe Meurice, coordinateur de Test Connect. La conclusion du représentant de Test-Achats est cinglante : ” Le reconditionné, c’est souvent une loterie. Pour la différence de prix, nous considérons que le risque est trop grand de tomber sur un appareil de mauvaise qualité. Nous le déconseillons donc aux consommateurs “.
A ce problème de qualité médiocre s’ajoute celui de la garantie et du service après-vente. Certains revendeurs pro-posent des garanties inférieures au minimum légal (un an). C’est le cas de Groupon, qui vend en ce moment des iPhone 5S à 209 euros, assortis de trois mois de garantie seulement. Quant au service après-vente, impossible de voir sur le site de Groupon en quoi il consiste ou dans quel délai une réparation peut être effectuée.
L’image peu reluisante véhiculée par le marché du refurbished a longtemps fait hésiter les acteurs traditionnels du commerce. Après quelques tests peu concluants, Media Markt se lancera – prudemment – dans la vente d’appareils reconditionnés dans le courant 2017, dévoile Stefan De Prycker, country managing director de Media-Saturn, le holding qui chapeaute la chaîne : ” Les Belges achètent beaucoup de smartphones neufs et haut de gamme. Mais tout le monde n’a pas les moyens d’acheter un appareil à 800 euros. Le marché du reconditionné a donc un certain potentiel. Cependant, nous n’y entrerons pas en faisant des compromis sur la qualité des produits et du service après-vente “. Le représentant de Media Markt rappelle que la stratégie principale de l’enseigne est de vendre du matériel neuf.
A priori, la stratégie est la même du côté de la Fnac. La chaîne a pourtant plongé dans le marché du reconditionné plus tôt que Media Markt, après, là aussi, une période de tâtonnements. ” La filière n’est pas organisée. Sur 100 distributeurs de smartphones reconditionnés, si cinq sont fiables, c’est beaucoup. C’est la jungle “, témoigne Philippe Steenkiste, product manager en charge, notamment, des smartphones chez Fnac Belgium. Le choix de l’enseigne s’est finalement porté sur l’acteur local Back2Buzz, jugé plus fiable que d’autres acteurs du marché, notamment au niveau du service après-vente et de la garantie, fixée à deux ans. ” Le client qui achète à la Fnac doit pouvoir le faire en confiance. Nous avons donc pris le parti de ne proposer que des smartphones reconditionnés de grade A, le plus élevé “, pointe Philippe Steenkiste.
Prix cassés
C’est une des autres caractéristiques du marché du refurbishing : il existe une variété énorme de gammes de produits en fonction de leur état et du niveau de reconditionnement. Back2Buzz a choisi de se concentrer sur des appareils totalement remis à neuf, sur lesquels la société s’engage notamment à proposer une batterie fonctionnant à 85 % de ses performances au minimum, ou encore une coque sans la moindre griffe. D’autres acteurs vendent (moins cher) des produits de gamme inférieure, comme on peut acheter, à prix cassé, une machine à laver griffée ou un grille-pain avec un léger défaut de fabrication. Les gammes de prix étant infinies sur le marché du reconditionné (on peut trouver des iPhones reconditionnés à moins de 200 euros), pas mal d’acteurs s’y intéressent. Même le champion des prix bas Trafic a tâté de ce marché.
Si la Fnac ne va évidemment pas se lancer dans le hard discount, l’enseigne compte poursuivre ses expériences sur le marché du smartphone reconditionné ” premium “. Ce segment répond en effet à une demande de certains consommateurs soucieux d’acquérir un produit qualitatif à prix réduit. Pour la Fnac, ce marché a aussi un autre avantage : la marge. Sur les produits Apple, un distributeur n’a pas une grande latitude de négociation : selon nos informations, il doit se contenter d’une marge riquiqui d’environ 5 %. Sur le marché du reconditionné, les volumes étant nettement plus faibles, la relation s’inverse et le vendeur peut jouer plus facilement sur le prix de vente au consommateur, et donc améliorer sa marge bénéficiaire. ” C’est vrai, les conditions sont meilleures que sur les ventes de produits Apple, confirme Philippe Steenkiste (Fnac). Nous retrouvons un peu plus de marge de manoeuvre. ”
Pour l’instant, la start-up belge Back2Buzz se fournit en smartphones d’occasion sur le marché international. Mais son objectif est de relocaliser la collecte de ces téléphones. Pour y parvenir, elle approche actuellement des sociétés belges actives dans le leasing de smartphones afin de récupérer les appareils en fin de contrat. Elle ambitionne également de récupérer des téléphones usagés via des magasins de réparation qui pourraient racheter des appareils aux particuliers. Notre pays est en effet une véritable mine de GSM : Recupel estime qu’environ un million de téléphones mobiles non utilisés traînent dans les tiroirs des Belges.
Au niveau mondial, nous croulons véritablement sous ces appareils. Sept milliards de smartphones ont été produits au cours des 10 dernières années, signalait récemment Greenpeace. Or, chacun de ces appareils contient 60 éléments différents, comme de l’or, de l’aluminium ou du cobalt, qui sont extraits à grands renforts de procédés peu écologiques, dénonce l’association de défense de l’environnement.
Le reconditionnement est une manière de prolonger la durée de vie des smartphones. Cet argument peut séduire les opposants à l’obsolescence programmée, ce phénomène qui pousse les consommateurs à racheter un nouvel appareil tous les deux ans et demi. Mais pour s’assurer d’un vrai traitement écolo de ces smartphones, il faudrait qu’après cette deuxième vie, ils soient entièrement recyclés. Ce qui est possible, assure-t-on chez Recupel : “Les GSM que nous récupérons redeviennent à 90 % des matières premières”, avance le porte-parole Bruno Fierens.
Autre atout de la filière du reconditionnement : elle relocalise dans nos pays de l’emploi technique faiblement qualifié. En France, où les smartphones reconditionnés représentaient 9 % du marché en 2016, la société Remade in France, qui a des ateliers dans le département de la Manche, près du Mont-Saint-Michel, est devenue le leader européen du secteur du reconditionnement. En 2017, elle engagera 150 personnes, ce qui portera ses effectifs à 450 salariés.
A la Fnac, les débuts du marché du reconditionné sont encourageants, estime notre interlocuteur. Les ventes d’appareils refurbished représentent entre 2 % et 3 % des ventes d’iPhones neufs. ” C’est un volume identique à celui des petites marques de smartphones, indique Philippe Steenkiste. Et ça va continuer à progresser. ”
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