Paul Vacca
Le faux, mode d’emploi: “Barnum, expérimentateur de fake news”
Un certain nombre de sociologues et journalistes ont pris l’habitude de qualifier notre période de “post-vérité” (post-truth era) ou de post-fait (post-fact era) soulignant ainsi notre moindre intérêt pour la vérité et les faits. Dans un essai sorti en 2018 aux Etats-Unis, la journaliste, et ancienne critique littéraire au New York Times, Michiko Kakutani, parle même de “mort de la vérité”.
A priori, cela décrit assez bien notre situation actuelle : les fake news ou les bulles de filtres qui nous rendent aveugles à certains faits sur les réseaux sociaux ; les théories conspirationnistes qui pullulent sur Internet ; les discours ouvertement mensongers – pardon, les ” faits alternatifs ” – des ” populistes ” ; et même, maintenant, les deep fake, des simulations plus vraies que le vrai… Bref, tout ce que nous tous, chroniqueurs ou journalistes du monde entier, dénonçons avec une indignation vertueuse à longueur de colonnes en appelant à un sursaut salutaire à base d’esprit critique citoyen, de vérification des faits et de déconstruction des raisonnements.
Reste que si l’on ne peut qu’être d’accord avec le constat, on peut en revanche désapprouver l’appellation. Car ce qui nous chagrine dans les termes ” post-vérité “, c’est le mot ” post ” qui laisse entendre qu’il y aurait eu un ” avant ” où les hommes se seraient souciés de la vérité et des faits. De même que la ” mort de la vérité ” nous semble non seulement exagérée – c’est le rôle d’une hyperbole – mais surtout fausse car cela accrédite l’idée que qu’il y aurait eu une période où la vérité était bien vivante et visible de tous. On cherche en vain une période dans notre histoire où l’homme se serait préoccupé ” avant tout ” de vérité et de faits. Sinon pourquoi Socrate se serait-il embêté avec les Sophistes ? Pour le dire crûment, l’idée de post-vérité ou de mort de la vérité est une fake news : elle souffre du syndrome qu’elle dénonce. Un révisionnisme donc. Certes vertueux, mais un révisionnisme tout de même.
Car la fabrique du faux n’a pas attendu les troll factories russes ni les réseaux sociaux pour exister. Deux siècles avant Internet, les Etats-Unis ont accueilli un expérimentateur hors classe de la viralité du faux en la personne de Phineas T. Barnum. Celui que l’on connaît pour ses cirques et comme l’autoproclamé ” plus grand showman sur terre ” fut un véritable praticien des fake news avant l’heure. Barnum exerça d’abord ses talents de faussaire dans la zone grise de ce que l’on appelle aujourd’hui l’ infotainement – mix d’information et de spectacle – vendant du spectacle avec un alibi scientifique en exhibant, par exemple, dans son American Museum de New York, une ” sirène des îles Fidji ” authentifiée par un ” naturaliste londonien de passage ” qui se révéla – alerte : spoiler – n’être en réalité qu’un babouin cousu à une queue de saumon.
Un jour, il montra au public de son musée une certaine Joice Heth, identifiée comme la nurse de George Washington, âgée de 161 ans. Très vite, il confessa aux journaux de l’époque qu’elle n’était en réalité pas humaine mais un ” automate fait à partir d’os de baleine et de caoutchoucs de différentes origines “. Pour aussitôt, après la mort de Joice Heth, lui offrir une ultime représentation : son autopsie publique qui révéla devant 1.500 personnes qui avaient acheté leur billet que, compte tenu de l’état de ses organes, elle ne pouvait qu’au mieux être âgée de 80 ans. Mais, pendant ce temps-là, un acolyte de Barnum fut chargé de colporter dans un journal que le corps autopsié n’était pas celui de Heth, et que l’ancienne nurse vivait désormais dans le Connecticut où elle coulait des jours heureux…
Alors qu’il caressa un temps l’idée de se présenter à la présidence des Etats-Unis, Barnum se donnait le titre de “prince des charlatans”. Prince seulement, car peut-être eut-il la prescience qu’il y aurait la place un jour pour un roi… ou un président.
La force de Barnum, c’est d’avoir compris que le faux devait être mis en scène, développé comme un vrai feuilleton. Parce qu’il découvrit que nous, public, pouvons non seulement être dupés mais qu’en réalité, nous ” aimons l’être ” aussi longtemps, toutefois, que cela nous amuse.
Barnum avait même anticipé le phénomène de polarisation n’hésitant pas à payer de sa poche des gens pour qu’ils le traitent d’escroc. Du reste, lui-même, alors qu’il caressa un temps l’idée de se présenter à la présidence des Etats-Unis, se donnait le titre de ” prince des charlatans “. Prince seulement, car peut-être eut-il la prescience qu’il y aurait la place un jour pour un roi… ou un président.
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