“Jeff Bezos est entouré de Yes Men: personne n’ose lui dire non”
Pour son livre “Le monde selon Amazon”, Benoît Berthelot a enquêté pendant 3 ans au coeur de la forteresse américaine. Il met au jour les secrets de fabrication, pas toujours très reluisants du géant du commerce en ligne. Nous l’avons interrogé.
TRENDS-TENDANCES. Comment caractériser la culture d’entreprise chez Amazon ?
BENOÎT BERTHELOT. Cette firme a une idéologie très forte. Amazon a forgé 14 principes de leadership qui dirigent le recrutement et la vie d’entreprise. Les employés signent une sorte de pacte avec Jeff Bezos. Tout est orienté vers l’efficacité et la compétitivité. Cela convient à certains employés qui arrivent à se fondre dans le moule, mais pas à tous. Les méthodes de management sont dures, parfois poussées à l’extrême. Les employés sont invités à se noter les uns les autres, et à faire remonter ces évaluations vers leur manager : cela provoque des conflits entre certains collaborateurs qui se liguent les uns contre les autres. J’ai aussi été surpris d’apprendre qu’à Lille, un jeu a été mis en place, qui consistait à dénoncer les erreurs commises par leurs supérieurs. Le gagnant remportait un drone.
Reste-t-il quelque chose de l'”esprit start-up” des débuts d’Amazon ?
L’entreprise essaye de conserver une partie du modèle start-up en imposant un fonctionnement par petites équipes de 10 personnes. Mais la société est aussi organisée de façon extrêmement hiérarchisée. Les responsables d’entrepôt gèrent certes leurs équipes mais, en Europe, ils doivent répondre de tout au siège de l’entreprise, basé au Luxembourg. Ce fonctionnement pyramidal permet de faire remonter très rapidement des idées venant de la base pour améliorer les processus. Cela accélère fortement la capacité d’innovation de l’entreprise. C’est comme ça qu’Amazon a récemment mis en place la possibilité pour les consommateurs de poster “en un clic” un avis sur un article.
Depuis ses débuts, la plateforme a cultivé une image de casseuse de prix. Est-ce encore vrai aujourd’hui ?
Amazon a voulu installer cette image de discounter dans l’esprit des consommateurs. Le but ultime, c’est que les clients ne comparent même plus avec les concurrents. Pour y arriver, l’entreprise a développé des algorithmes visant à battre les prix des autres enseignes. Mais aujourd’hui, il suffit pour Amazon d’être au même niveau de prix que la concurrence, sachant que l’entreprise dispose d’avantages décisifs comme la livraison ultra-rapide. Par ailleurs, l’entreprise se débarrasse au fur et à mesure des articles qui lui rapportent le moins de marge. L’algorithme de la société a ainsi repéré que les très grands articles, qui coûtent cher en frais de livraison, étaient peu rentables : ils ont donc été bannis de la plateforme. Le modèle commercial d’Amazon évolue de manière très subtile.
Vous avez rencontré des top managers et des proches de Jeff Bezos. Quel portrait pouvez-vous dresser de ce patron hors norme ?
C’est un génie, un visionnaire qui a toujours les yeux fixés sur un objectif à long terme. C’est comme ça qu’il est parvenu à gagner la confiance des investisseurs, alors que son entreprise a mis des années avant d’être rentable. Pour parvenir à ses objectifs, il s’entoure de yes men : personne ne dit non à Jeff Bezos. L’homme est sans pitié avec ceux qu’il considère comme médiocres. Il est aussi mégalomane. Il vit littéralement sur une autre planète. Ses projets de base lunaire et de conquête spatiale, qu’il porte avec sa société Blue Origin, sont très sérieux. Il veut faire rêver les gens, imposer sa vision. D’ici 100 voire 150 ans, il compte amener une partie de la population dans d’immenses aquariums suspendus dans l’espace. Il se pose en sauveur de l’humanité.
Cette semaine, dans le magazine Trends-Tendances découvrez, dans un dossier de 12 pages, comment Amazon veut remplacer tout à la fois Carrefour, IBM, Apple et Netflix (entre autres). De ses coups de génies à ses coups tordus, comment Amazon prépare le casse du siècle.
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