Israël, terre promise des start-up où “chacun veut devenir entrepreneur”
Depuis plusieurs années, Israël se mue en véritable pépinière pour jeunes entreprises. Des milliers de start-up, à la pointe de l’innovation et de la technologie ont été créées dans le pays, qui offre un terreau fertile pour leur émergence.
Trop souvent tête d’affiche de l’actualité en raison de l’inextricable conflit qui le ronge, Israël représente pourtant, du point de vue économique, le symbole d’un Etat prospère, ambitieux, et aux performances entrepreneuriales rayonnantes. Depuis plusieurs années, le pays peut même se targuer d’être devenu la vitrine mondiale de l’innovation et de la haute technologie, au point d’être surnommé aujourd’hui “l’Etat start-up”. Un sobriquet loin d’être usurpé puisqu’en 2014, le pays comptait près de 5.900 entreprises high-tech sur son sol, pour une population estimée à 8,5 millions de personnes. Soit une start-up pour 1.500 habitants, c’est-à-dire le ratio le plus élevé au monde, devant les Etats-Unis, le Japon ou encore la Corée du Sud. Trouvant à s’exprimer dans des domaines aussi variés que l’agriculture, la défense, la cybersécurité et les technologies vertes. L’esprit d’entreprendre israélien est centralisé au coeur d’une zone d’innovation au nom évocateur : la Silicon Wadi. A l’instar de sa cousine californienne, cette “vallée”, située aux alentours de Tel-Aviv, constitue le centre névralgique du bouillonnement intellectuel israélien et représente, pour le pays, le coeur de l’inventivité ainsi qu’un moteur de croissance capital. En effet, en Israël, l’innovation représente 12,5 % de la production économique et 8 % de l’emploi.
MOBILEYE : DES CAMÉRAS INTELLIGENTES POUR UNE CONDUITE ASSISTÉE
C’est sans doute l’une des success-stories israéliennes les plus en vue de ces dernières années. Fondée en 1999 par Amnon Shashua et Ziv Aviram, la start-up israélienne Mobileye est spécialisée dans la mise au point et la commercialisation de solutions d’aide à la conduite. On lui doit notamment la création d’un système embarqué de caméras intelligentes, véritable prouesse technologique, capable de détecter la présence d’un véhicule, le franchissement d’une ligne ou le dépassement d’une limitation de vitesse, tout en prévenant le conducteur du moindre risque de collision. Ce procédé, qui repose sur des algorithmes brevetés (21 brevets déposés rien qu’aux Etats-Unis), fait de Mobileye un acteur prépondérant aux performances exceptionnelles. Actuellement valorisée 11 milliards de dollars, un an et demi après son introduction en Bourse, l’entreprise a généré 143 millions de dollars de revenus en 2014, principalement engendrés par les ventes aux constructeurs automobiles (parmi lesquels General Motors, Nissan, BMW, Honda, etc.). Ces revenus devraient augmenter significativement en 2015, et atteindre un total de 220 millions de dollars.
Sans véritable concurrent, Mobileye s’impose comme le leader du marché, et fait régulièrement l’objet de rumeurs d’intérêt de la part de Google ou d’Apple. Pourtant, la start-up navigue toujours sous pavillon israélien et mise sur la recherche et le développement, pour rester à la pointe de la technologie.
Outre son centre en R&D, situé à Jérusalem, qui emploie 200 personnes, elle dispose de bureaux aux Pays-Bas, aux Etats-Unis, au Japon et à Chypre. L’objectif ? Continuer à se développer, tout en aidant les constructeurs automobiles à entrer de plain-pied dans la révolution de la voiture intelligente. Avec en ligne de mire “l’éradication complète des accidents de la route d’ici une vingtaine d’années”, affirme Ziv Aviram, le CEO de l’entreprise. (AL)
Un instinct de survie
Au-delà des considérations purement économiques, la capacité d’inventivité israélienne s’entend avant tout comme un phénomène ancien, s’inscrivant dans une nécessité primaire de survie. Aride et dépourvu de ressources naturelles (jusqu’à la découverte récente de gisements de gaz naturel sur sa côte), l’Etat hébreu a toujours dû compenser les déficiences de son territoire en misant sur la recherche et le développement. Ainsi, Israël est l’Etat qui investit le plus au monde en la matière : approximativement 5 % de son PIB par an sont alloués à la R&D. Conséquence ? Le pays compte cinq universités, deux centres de recherche de renommée internationale (l’Institut Weizmann et le Technion) et 24 collèges technologiques, misant sur des synergies avec le monde industriel.
L’isolement et la petite taille du pays participent aussi à son obligation de se doter de services et d’applications exportables, notamment en matière de technologies de pointe. Le marché domestique est trop petit, si bien que lorsque les entrepreneurs se lancent, ils pensent tout de suite en termes mondiaux. Un état d’esprit gagnant, qui fait ses preuves : 37 % des exportations d’Israël sont aujourd’hui générées par le secteur des hautes technologies.
Tsahal, un incubateur
Des éléments culturels et psychologiques liés à la société elle-même entrent aussi en ligne de compte pour expliquer le foisonnement et le côté avant-gardiste israélien. Selon Dan Senor et Saul Singer, auteurs du bestseller Start-Up Nation, l’armée, qui est obligatoire pour tous les garçons et filles de 18 ans, constitue un énorme atout à l’égard des entrepreneurs, en ce qu’elle donne très tôt aux jeunes un sens de la responsabilité et un objectif à atteindre. Pour les auteurs, “les jeunes sont à l’armée évalués et reçoivent des tâches qui correspondent à leurs compétences et leurs intérêts, ce qui les détermine pour le reste de leur vie. Ils acquièrent donc au sein de Tsahal le sens du travail d’équipe”.
CHECK POINT : LE LEADER MONDIAL SUR LE MARCHÉ DES FIREWALLS
Check Point Software Technologies, basée à Tel-Aviv, est un fournisseur mondial de solutions de sécurité et un pionnier en termes de pare-feu (FireWall) sur Internet. Elle développe et commercialise une large gamme de logiciels destinés à sécuriser et à gérer les infrastructures Internet, Intranet et Extranet des entreprises (anti-virus, contrôle d’accès, gestion des adresses électroniques, pare-feu…). Fondée en 1993 à Ramat-Gan, Check Point est aujourd’hui le leader mondial de la sécurisation des réseaux Internet avec un chiffre d’affaires de 1,5 milliard de dollars en 2014, soit une progression de 7 % par rapport à 2013. Pour en arriver là, l’entreprise a multiplié les acquisitions de principaux concurrents ou de structures complémentaires, telles que NFR Security, Hyperwise ou encore Lacoon Mobile Security. Elle ne souhaite d’ailleurs pas s’arrêter en si bon chemin puisque selon certaines rumeurs, le géant de la sécurité lorgnerait actuellement sur CyberArk, le spécialiste israélien de la sécurisation et la gestion d’utilisateurs privilégiés. Pour Check Point, ce rachat permettrait le renforcement de son portefeuille-produit, tout en confortant sa position de leader du marché.
Coté au Nasdaq depuis 1996, la valorisation de Check Point est estimée à 13 milliards de dollars, pour un nombre d’employés avoisinant les 3.400 dans le monde, soit l’un des plus gros fleurons israéliens actuels. (AL)
Un autre élément culturel, secret du dynamisme israélien, est lui d’ordre filial : “Nous réussissons là où d’autres échouent car nous possédons tous une mère juive, explique très sérieusement Yossi Vardi, le pape israélien de la haute technologie. La caricature de la mère juive constamment insatisfaite, excessivement fière de la réussite de ses enfants et qui les pousse toujours à faire mieux est une réalité, souligne l’homme d’affaires. Dès l’âge de cinq ans, on nous dit que si nous ne sommes pas capables de gagner un prix Nobel nous serons la déception de la famille. Culturellement donc, chacun est motivé et veut devenir entrepreneur”, conclut enfin Yossi Vardi.
L’eldorado des investisseurs
Le dynamisme israélien aiguise les appétits et attire chaque année de nombreux capitaux étrangers. Rien qu’au cours du premier semestre 2015, 2,1 milliards de dollars étrangers ont été investis dans 342 entreprises israéliennes, contre 1,6 milliard pour 334 entreprises au premier semestre 2014. Selon Chemi Peres, le fondateur de Pitango (plus gros fonds de capital risk en Israël), ces montants devraient d’ailleurs continuer à augmenter : “Jusqu’en 2008, les investissements étrangers réalisés dans les start-up israéliennes étaient de 2 milliards de dollars par an. Depuis 2008, ce montant est passé à 4 milliards. C’est bien la preuve qu’on assiste à un renforcement significatif des apports dans le pays.” Si les firmes de private equity se bousculent au portillon, les investisseurs privés américains et chinois entendent, eux aussi, se tailler la part du lion. “Si nous arrivons à 4 milliards de dollars d’investissements en 2015, on estime à 500 millions la part d’argent chinois rien qu’en investissement direct”, explique pour sa part John Medved, fondateur de la start-up d’investissement OurCrowd, et l’un des pontes de la scène start-up en Israël.
Autre tendance observée : l’évolution des mentalités des starters israéliens. “Avant, l’obsession des fondateurs était de vendre leur jeune pousse à de grosses entreprises américaines de la Silicon Valley, à l’image du rachat de Waze par Google pour 1,15 milliard de dollars”, explique Yossi Lempkowicz, senior media advisor pour l’EIPA (Europe Israel Press Association). “Nos entrepreneurs avaient le sentiment qu’il était très difficile de développer une entreprise mondiale dans un petit pays comme Israël et avaient sans doute moins la fibre managériale. Mais petit à petit, les chefs d’entreprise se sont rendu compte qu’il était dommage de voir ainsi fuir des fleurons nationaux à l’étranger”, ajoute Yossi Lempkowicz.
Le pays assiste donc à un renversement de tendance où l’accent est désormais mis sur l’amélioration des capacités managériales des starters et la volonté de développer les jeunes pousses. Reste maintenant à savoir si cela pourra faire émerger plusieurs leaders mondiaux.
Waze, histoire israélienne à succès et objet de controverses
La success story israélienne Waze est une application pour smartphones et tablettes reposant sur un système GPS et délivrant en temps réel les trajets les plus rapides à partir des informations fournies par les utilisateurs eux-mêmes sur les embouteillages, les accidents, les contrôles policiers ou les raccourcis.
Son nom s’est retrouvée mardi à la une des journaux quand deux soldats israéliens se servant de l’application pour circuler en Cisjordanie occupée sont entrés par erreur dans un camp de réfugiés palestiniens, déclenchant de violents heurts qui ont fait un mort palestinien et une quinzaine de blessés avant l’aube.
Waze a assuré n’avoir rien à voir avec ces évènements et a rejeté la faute sur les deux soldats et l’utilisation qu’ils ont faite de l’application. Waze a connu la polémique par le passé.
– Décember 2014 –
Des habitants de rues jusqu’alors tranquilles de Los Angeles accusent l’application de leur pourrir la vie en redirigeant le trafic vers leurs quartiers. Des riverains en colère signalent alors des accidents de leur invention pour détourner la circulation, rapportent les médias américains. Waze dit ne rien faire d’autre qu’aider ses utilisateurs à gagner du temps.
– Janvier 2015 –
Le chef de la police de Los Angeles accuse l’application d’aider les délinquants en signalant les présences policières. “Je m’inquiète pour la sécurité des membres des forces de l’ordre et des habitants, et du risque que votre produit appelé Waze ne serve à de mauvaises fins”, écrit-il à Google.
– Août 2015 –
Le maire de Jérusalem Nir Barkat se plaint auprès de Waze des directions fournies par l’application qui, selon lui, suggèrent que certaines parties de la ville sont sous contrôle palestinien et recommandent aux utilisateurs de les éviter. Israël considère que tout Jérusalem est sa capitable indivisible alors que la communauté internationale ne reconnaît pas l’annexion de Jérusalem-Est.
– Octobre 2015 –
Une Brésilienne est abattue sous les yeux de son mari après que Waze les a conduits au beau milieu d’une favela contrôlée par un gang, rapporte la presse. Le couple essayait de trouver un raccourci vers la plage quand il s’est perdu. (AFP)
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