Propriétaire de ces trois marques chocolatées, la multinationale Mondelez mise sur l’intelligence artificielle pour des publicités “sans intermédiaire”. Avec sa nouvelle plateforme d’IA générative, elle compte réduire de moitié ses dépenses marketing. Petit séisme sur la planète pub…
C’est un nouveau chapitre qui s’écrit dans l’histoire publicitaire. Ou plutôt une révolution technologique qui s’accélère. Il y a quelques jours, le géant Mondelez a dévoilé son nouvel outil d’intelligence artificielle qui va lui permettre de réduire de moitié ses dépenses marketing. Pour rappel, cette multinationale américaine est incontournable dans les secteurs du biscuit et du chocolat avec des marques emblématiques comme Milka, LU, Oreo, Toblerone ou encore notre ancien fleuron belge Côte d’Or.
Porté par un chiffre d’affaires de 40 milliards de dollars en 2024, Mondelez débourse, chaque année, plus de 1,5 milliard pour sa communication publicitaire autour de ses produits de grande consommation. Et il entend bien comprimer fortement ses coûts marketing avec la complicité de l’IA générative. Comment ? En assurant lui-même, sans intermédiaire externe, la production quotidienne des contenus commerciaux pour ses marques mondiales via une plateforme high-tech “sur mesure”.
Un “écosystème intelligent”
Pour ce faire, la multinationale s’est appuyée sur la double expertise informatique et publicitaire des groupes Accenture et Publicis, en investissant plus de 40 millions de dollars dans ce tout nouvel outil IA, pourvoyeur de vidéos, visuels et autres slogans à l’échelle industrielle. Concrètement, cet “écosystème intelligent” est capable de générer automatiquement des contenus qui peuvent être diffusés sur les réseaux sociaux, sur les sites d’e-commerce et bientôt en télévision, avec la précieuse option de pouvoir être rapidement adaptés selon les marchés, les langues, les cultures et les catégories sociales visées.
Autrement dit, une opération marketing qui prenait jadis plusieurs semaines, voire plusieurs mois, selon les intermédiaires mobilisés, pourra désormais se faire en quelques heures à peine. Gain de temps, gain d’argent : avec cette nouvelle machine de guerre publicitaire, Mondelez espère bien économiser chaque année plus de 700 millions d’euros qui n’iront plus dans la poche de prestataires extérieurs.
Redistribution des cartes
Épousant l’air du temps, le groupe Mondelez suit ainsi les pas de deux autres géants du secteur FMCG (Fast-Moving Consumer Goods : les biens de grande consommation), à savoir Kraft Heinz et Coca-Cola qui n’hésitent plus à réquisitionner l’intelligence artificielle pour façonner leurs campagnes de pub. Après une première tentative fortement critiquée l’année dernière, le n°1 du soda vient d’ailleurs de remettre le couvert de l’IA pour son traditionnel film de Noël, démontrant ainsi les progrès réalisés en l’espace de 12 mois sur le plan technologique.
De son côté, Mondelez a déjà utilisé son nouvel outil d’IA générative pour produire du contenu publicitaire destiné aux réseaux sociaux pour son chocolat Milka en Allemagne et ses biscuits Chips Ahoy aux États-Unis. Mais c’est surtout le montant de son investissement – déjà plus de 40 millions – et sa volonté de travailler “en solitaire” qui bousculent aujourd’hui les acteurs du monde de la pub, sans toutefois les inquiéter outre mesure.
L’efficacité privilégiée
“La première réflexion que cela m’inspire, c’est que Mondelez dit en substance ‘On veut faire des économies’ et non pas ‘On veut mieux faire la pub’, ironise Hugues Rey, CEO de l’agence Havas Belgium. Il est clair que l’intelligence artificielle bouscule le marché, mais la question fondamentale est de savoir si ce genre d’outil va accélérer de manière phénoménale la production de contenu ou bien la vraie création. Aujourd’hui, il faut s’interroger sur ce que doit faire l’humain et ce que doit faire la machine. Chez nous, c’est clair : on doit se focaliser sur ce que l’humain a de plus pertinent : moins de duplication et plus de talent à l’état pur.”
Il n’en reste pas moins que, pour le groupe Mondelez, c’est surtout l’efficacité première qui est privilégiée.
Avec sa nouvelle plateforme, la multinationale compte réaliser de solides économies de temps et d’argent en évitant tout simplement les intermédiaires. “Le fait que des annonceurs internalisent certaines activités n’est pas nouveau, régit Petra De Roos, CEO de l’ACC, l’association belge des agences de communication. Cela a toujours été un mouvement cyclique, avec une alternance de périodes d’internalisation pour certaines tâches et des périodes où les annonceurs reviennent à une collaboration accrue avec les agences. Il est certain que l’intelligence artificielle aura un impact sur notre secteur, tant au niveau de l’automatisation de certains processus que de l’augmentation des capacités humaines, mais je reste convaincue que le regard externe d’une agence apporte toujours, pour l’annonceur, une perspective plus fraîche qui mène à un travail plus créatif et plus pertinent, et donc à de meilleurs résultats.”
Frères ennemis
Pour la construction de sa nouvelle plateforme d’IA générative, le géant Mondelez s’est adjoint les services du groupe Publicis, n°1 mondial du secteur de la pub en 2024 avec un chiffre d’affaires de 14 milliards d’euros. Mais n’est-il pas paradoxal, pour un acteur d’une telle envergure, d’aider un annonceur hyper puissant à développer son propre outil d’intelligence artificielle censé l’aider, au final, à se passer d’intermédiaires publicitaires ?
“Non, parce que la mission du groupe Publicis au niveau global consiste précisément à aider ses clients dans leur transformation marketing et l’IA en est un élément important, répond Matthieu Vercruysse, chief transformation officer de Publicis Belgique. À ce propos, il est intéressant de noter que, aujourd’hui, les agences et les groupes de pub ne sont plus seulement des fournisseurs de campagnes, mais de plus en plus des fournisseurs de plans de transformation et de solutions par la technologie. Il y a donc une page qui se tourne, pas nécessairement au niveau strictement publicitaire, mais bien au niveau du partenariat.
Quant à l’IA, il est clair qu’elle va aider les marques à revoir certaines tâches, mais je reste persuadé que les agences continueront à délivrer des services à haute valeur ajoutée avec cette créativité originale qu’une machine ne peut pas produire. On est dans un état d’esprit beaucoup plus positif que l’exemple cité par Mark Zuckerberg il y a quelques mois.”
“Les agences et les groupes de pub sont de plus en plus des fournisseurs de plans de transformation et de solutions par la technologie. Une page se tourne.” – Matthieu Vercruysse (Publicis Belgique)
Evolution ou révolution?
En mai dernier, le patron de Meta avait en effet jeté un pavé dans la mare publicitaire en déclarant que ses plateformes Facebook, Instagram et WhatsApp n’auraient bientôt plus besoin d’intermédiaires dans leurs relations publicitaires. Grâce à la toute puissance de l’intelligence artificielle, les annonceurs pourraient s’en remettre exclusivement à Meta et donc se passer définitivement des agences médias. Certes, nous n’y sommes pas encore, mais avec cette nouvelle initiative de Mondelez dopée à l’IA, le secteur est une fois de plus ébranlé.
“Je ne sais pas s’il s’agit d’une révolution, mais l’évolution est en tout cas très claire, réagit Nathalie L’Hoir, présidente de l’UMA, l’association belge des agences médias. La finalité de la plateforme de Mondelez est de faire des économies et cela aura un impact sur les revenus des agences créatives et des studios de production. Face à l’IA, ces agences seront dans la nécessité absolue de redéfinir leur rôle qui devra être plus stratégique, plus subtil et davantage axé sur le positionnement de marque.
Quant aux agences médias, il faut noter que les annonceurs ont déjà internalisé leur communication sur les médias digitaux, mais pas encore, chez nous, sur les médias offline. Car il y a un risque, du côté de l’annonceur, d’une perte cruelle de connaissance des marchés locaux. Or, capter la nuance locale est primordiale et il y a, à ce niveau, une vraie subtilité que l’humain peut apporter.”
“Cette plateforme aura un impact sur les revenus des agences créatives et des studios de production. Ils seront dans la nécessité absolue de redéfinir leur rôle.” – Nathalie L’Hoir (UMA)
Fuir la standardisation
Challengées par les performances de l’intelligence artificielle qui s’invitent directement chez les annonceurs, les agences créatives et les agences médias doivent donc s’adapter pour rester incontournables dans le secteur. Leur plus grand atout ? L’intelligence non artificielle qui peut surfer aisément sur les subtilités de la création et du marché.
“Il est clair que l’on vit un moment charnière où l’IA se révèle être un véritable accélérateur et que le business des agences en sera impacté, note Bernard Cools, chief intelligence officer de l’agence médias Space, mais la vraie question est de savoir si elle sera un accélérateur ‘en mieux’. La plateforme de Mondelez va alimenter une déferlante de contenus qui risquent d’être volumineux, spectaculaires et sans doute prévisibles, mais je ne suis pas certain qu’ils seront très créatifs. Je pense que cette production à la chaîne par l’IA va provoquer une sorte de standardisation des messages qui sera, en réalité, l’ultime chance de l’humain pour mieux s’imposer.”
Dans ce “combat” homme-machine, l’IA pourrait être aussi, en définitive, un précieux allié. “Les temps à venir seront sans doute exigeants, tant pour les annonceurs que pour les agences, mais aussi passionnants grâce aux nouvelles opportunités qui s’ouvrent à nous, conclut Petra De Roos, CEO de l’ACC. Ce qui est possible aujourd’hui avec l’IA, notamment en matière de production ou de personnalisation, est vraiment impressionnant. Et cela offre aussi à nos agences locales la possibilité de réaliser des choses qui, autrefois, n’étaient pas envisageables en Belgique.”
Comme le dit le proverbe : à toute chose, malheur est bon…
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