Fortnite, un modèle à reproduire pour l’industrie du jeu vidéo?

FORTNITE, un jeu gratuit qui bouleverse toute une industrie. (Photo by Frederic J. BROWN / AFP) (Photo by FREDERIC J. BROWN/AFP via Getty Images) © AFP via Getty Images
Sebastien Marien Stagiair Data News 

L’industrie du jeu vidéo, qui pèse 282 milliards de dollars, arrive à un tournant. Des jeux très attendus, mais qui coûtent cher, connaissent un flop commercial, tandis que Fortnite, un jeu gratuit, continue de battre des records. Payer pour des gadgets tout en jouant sur des consoles de plus en plus chères devient le nouveau modèle.

Fortnite a déjà sept ans et reste malgré tout plus populaire que jamais. L’année dernière, pendant la période de Noël, on a recensé jusqu’à 110 millions de joueurs actifs sur un mois : un record ! Ces chiffres sont ceux donnés par Tim Sweeney, le CEO du développeur Epic Games. Ils prouvent, selon ce dernier, que des jeux comme Fortnite incarnent un modèle économique d’avenir alors qu’il y a un “changement générationnel” au sein de l’industrie du jeu vidéo. “Des budgets élevés sont débloqués pour de nombreux jeux, mais ils sont loin de se vendre aussi bien que prévu”, explique-t-il.

Sans citer de noms, le CEO d’Epic Games fait clairement référence au jeu Star Wars : Outlaws, un véritable flop commercial qui s’est écoulé seulement à un million d’exemplaires, alors que son prix de vente était de 70 euros. Le développeur Ubisoft tablait pourtant sur 7,5 millions de jeux vendus en mai. Star Wars : Oulaws est ce que l’on appelle un jeu triple A : un jeu payant dont le développement a été long et a nécessité un budget élevé. Cette catégorie de jeux vidéo n’en est pas à son premier échec puisque Battlefield 2042, Marvel’s Avengers et Anthem, pour ne citer qu’eux, furent aussi des échecs majeurs.

Est-ce que les jeux triple A et leur modèle de revenus classique – à savoir payer un prix élevé à l’achat – ont encore un avenir sur le marché du jeu vidéo, qui devrait peser 363 milliards de dollars d’ici 2027? Tim Sweeney estime que Fortnite incarne le nouveau modèle business qui marchera à l’avenir. Le jeu est gratuit, rassemble jeunes et moins jeunes en ligne, et le développeur gagne de l’argent grâce aux micro-transactions effectuées par les joueurs dans le jeu, pour acheter de nouvelles tenues afin de personnaliser leurs personnages. Depuis 2018, Fortnite rapporte chaque année environ 4 milliards de dollars. Un montant que les jeux triple A les plus performants rêveraient d’atteindre. Cela s’explique par le fait que Fortnite ne cesse de présenter à ses joueurs de nouvelles possibilités d’achats dans le jeu grâce à des collaborations avec des marques de divertissement populaires, dont – ironiquement – Star Wars et Marvel.

GTA VI, un test important

Le prochain jeu qui pourrait déterminer l’avenir des jeux vidéo classiques pourrait être Grand Theft Auto VI (GTA VI), qui devrait sortir à l’automne 2025. Le jeu développé par Rockstar Games est un nouveau volet d’une série populaire où le joueur incarne un gangster et qui dure depuis des décennies. Comme son prédécesseur, GTA VI devrait afficher un prix élevé, ainsi que des achats dans le jeu et un environnement en ligne qui pourraient prolonger sa durée de vie.

Le budget de développement et de marketing de GTA VI s’élèverait à 2 milliards de dollars : un montant sans précédent et largement supérieur aux 265 millions de dollars nécessaires pour GTA V, sorti voici plus de 10 ans. Ce dernier est le deuxième jeu le plus vendu après Minecraft et a déjà rapporté 8,93 milliards de dollars depuis 2013, selon les résultats financiers de Rockstar Games. Les recettes de GTA VI pourraient être encore plus élevées, mais on doute fortement qu’elles puissent approcher les 4milliards annuels de Fortnite.

Un bon rapport qualité-prix

Birger De Geyter, codirecteur général de la société flamande de conseil en jeux Unlocked.gg, se montre optimiste quant à la réussite de GTA VI. Il explique l’échec de nombreux titres triple A par une baisse de la qualité : “Pour les éditeurs de jeux, qui subissent la pression de leurs actionnaires, il faut toujours faire plus gros et plus vite. Un jeu sur lequel on travaille depuis quelques années seulement reçoit souvent le label triple A et le prix correspondant. Mais ces jeux ne sont pas vraiment à la hauteur lors de leur lancement et il faut souvent attendre toute une série de mises à jour pour qu’ils deviennent bons.”

David Verbruggen, directeur général de la Video Games Federation Belgium, la fédération sectorielle des éditeurs et des plateformes de jeux vidéo, nuance ce propos. Il pense que les développeurs subissent une pression due au coût élevé du développement d’un jeu. “Le prix de production d’un jeu triple A a augmenté de manière exponentielle, explique-t-il. Alors que le prix de vente des jeux n’a pas augmenté aussi vite que l’inflation ces dernières années. Cela a été fait délibérément pour aider financièrement les joueurs, mais le résultat est que les éditeurs de jeux ont dû chercher d’autres moyens de générer des revenus, comme les micro-transactions dans le jeu. Je pense que le rapport qualité-prix est très bon pour les jeux vidéo, comparé à d’autres produits de divertissement.”

Pas de l’argent réel, mais tout de même

Pour compenser les coûts de développement toujours plus élevés, les développeurs de jeux explorent de nouveaux moyens de générer davantage de revenus . Le plus évident consiste à encourager les joueurs à dépenser de l’argent pendant le jeu. C’est ainsi que chaque jeu commence à imiter Fortnite. Les offres vont de tenues plus élégantes pour le personnage principal à du contenu supplémentaire, en passant par des avantages qui permettent aux joueurs d’être plus performants, le pay to win dans le jargon. En 2020, ce type d’achats dans le jeu représentait plus de 50 milliards de dollars, soit près d’un cinquième de la valeur totale (282 milliards de dollars) de l’industrie du jeu vidéo.

Ces paiements sont effectués avec de la monnaie virtuelle et il s’agit là d’un choix délibéré. “Les joueurs ont alors tendance à dépenser plus que prévu parce qu’ils ne dépensent pas d’argent réel, constate Laura Clays, porte-parole de l’organisation de consommateurs Testachats. Il est donc important de protéger les jeunes joueurs en particulier. Ils n’ont pas encore pleinement conscience de la valeur de l’argent et sont facilement tentés par la monnaie virtuelle.” On estime à 84 % la proportion de jeunes de 11 à 14 ans jouant à des jeux vidéo. Les enfants qui dépensent de l’argent pour des extras virtuels dans les jeux dépensent en moyenne 39 euros par mois, selon une enquête d’Ipsos.

Avec la monnaie virtuelle, les joueurs ont tendance à dépenser plus que prévu parce qu’ils ne manipulent pas d’argent réel
Laura Clays

Laura Clays

Testachats

En septembre, Testachats, aux côtés de 21 autres organisations de consommateurs, ont ainsi déposé une plainte auprès de la Commission européenne contre les éditeurs des jeux Fortnite, FC 25 (anciennement FIFA, ndlr), Minecraft et Clash of Clans.
David Verbruggen (Video Games Federation Belgium) est surpris par cette plainte. “L’industrie a déjà pris de nombreux engagements sur le sujet. Les entreprises de jeux affiliées à Video Games Europe et à la fédération européenne des développeurs de jeux souscrivent au code de conduite du PEGI (le PEGI est l’organisme d’autorégulation du secteur des jeux, ndlr). Elles informent les consommateurs sur l’âge approprié pour jouer à un jeu, ainsi que sur la présence ou non de micro-transactions dans le jeu”, explique notre interlocuteur.

Des consoles de plus en plus chères

Le changement générationnel dans l’industrie du jeu vidéo évoqué par Tim Sweeney se ressent aussi du côté des fabricants de consoles. Début septembre, Sony a fait sensation en annonçant le prix de sa dernière PlayStation 5 Pro, une variante plus puissante de la génération actuelle. La console sera vendue au prix de 799 euros, soit le double du prix de lancement de la PlayStation 5.
“Traditionnellement, les consoles de jeux sont vendues à perte. C’est un moyen de gagner des parts de marché. Le plus gros bénéfice devait provenir des ventes de jeux. Avec la PS5 Pro, le paradigme semble avoir changé, car son prix élevé ne peut pas être justifié par la seule amélioration du matériel. La version Pro n’est pas non plus censée représenter une nouvelle génération de consoles”, fait remarquer Birger De Geyter.

Traditionnellement, les consoles de jeux sont vendues à perte. C’est un moyen de gagner des parts de marché. Cela va changer avec la PlayStation5 Pro.
Birger De Geyter

Birger De Geyter

Unlocked.gg

La PlayStation 5 Pro est également la première console à ne pas être livrée avec un lecteur de disque en standard. Ceux qui souhaitent encore utiliser des disques pour jouer sur la dernière console de Sony devront acheter un lecteur externe.

La disparition en septembre de Game Mania, la célèbre chaîne de magasins de jeux, semble symboliser la nouvelle ère dans laquelle l’industrie du jeu est entrée. En juin, lorsque Game Mania avait demandé la protection de ses créanciers, la direction avait déjà expliqué que la numérisation de l’industrie du jeu était la principale explication de leurs difficultés financières.

“Les jeux purement numériques enferment les consommateurs dans un écosystème particulier, analyse Birger De Geyter. Ils peuvent toujours acheter des disques physiques et, lors du lancement d’une nouvelle génération, ils peuvent changer de marque de console de jeu. Quelqu’un qui achète des jeux uniquement par voie numérique aura tendance à rester sur sa marque de console actuelle, parce que c’est là que se trouvent tous ses jeux.”

68,8 % des joueurs de Fortnite ont déjà dépensé de l’argent dans le jeu. 84,67 dollars, c’est en moyenne, le montant dépensé par les joueurs dans Fortnite. REUTERS/Benoit Tessier/File Photo © REUTERS

L’avenir des jeux dématérialisés

Les abonnements aux jeux sont également en hausse. Avec le Xbox Game Pass, par exemple, les joueurs ont accès à une bibliothèque de centaines de jeux pour Xbox, moyennant un abonnement mensuel. Les éditeurs de jeux disposent ainsi d’une source de revenus stable et contrôlent totalement le prix de l’abonnement. Les abonnements sont en principe résiliables tous les mois, mais les joueurs qui le font perdent leur progression et l’accès aux jeux qu’ils ont achetés.

Birger De Geyter s’attend à ce que ces tendances soient irréversibles et à ce que Sony poursuive sur sa lancée avec la véritable prochaine génération, la PlayStation 6. Le mouvement vers les ventes numériques existe depuis un certain temps, mais il s’accélère aujourd’hui de manière délibérée. C’est le nouveau moyen pour les éditeurs de conforter leurs parts de marché. Bientôt, les joueurs dépenseront deux fois plus pour s’offrir la dernière génération de console, un appareil qui va les lier à une marque.

Cela illustre la puissance des trois fabricants de consoles, lesquels représentent plus ou moins le même poids. Sony (PlayStation) est le leader en Europe, Microsoft (Xbox) l’est aux États-Unis et Nintendo reste la console favorite des jeunes enfants.

Le modèle Fortnite est-il amené à perdurer ? Pour Birger De Geyter, “dans le contexte économique actuel, le réservoir de joueurs qui continuent à payer jeux physiques et consoles va s’amenuiser.”

Du côté des développeurs belges

Le jeu belge Baldur’s Gate 3, du développeur gantois Larian Studios, a remporté l’année dernière le prix le plus prestigieux de l’industrie, celui du jeu de l’année. Baldur’s Gate 3 peut être joué entre amis et se déroule dans le monde fantastique de Donjons et Dragons. Il est intéressant de noter que Larian ne proposea pas de micro-transactions dans le jeu. Le studio belge ne propose pas non plus d’extensions payantes.

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