Et si l’IA dépassait l’être humain…

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Christophe Charlot
Christophe Charlot Journaliste

Est-elle plus importante que la réforme des pensions et de la fiscalité? L’intelligence artificielle est partout dans la presse, dans les cercles de spécialistes et pose énormément de questions quant à son impact sur le business. Pas étonnant qu’un des débats de la dernière Trends Summer University ait porté sur ce sujet.

L’intelligence artificielle est aujourd’hui sur toutes les lèvres. Certainement depuis le grand coup de projecteur apporté à cette technologie par OpenAI et son chatbot intelligent ChatGPT. Ce dernier est en effet capable d’apporter des réponses structurées (et, il faut le dire, assez bluffantes) aux questions des internautes, aussi variées soient-elles. Mais ChatGPT a aussi montré qu’il pouvait surpasser pas mal d’humains au test du barreau américain ainsi que de nombreux examens universitaires. Au point que pas mal d’observateurs voient dans l’apparition de ces technologies génératives une source de grands bouleversements du monde du travail. L’heure du remplacement de nombreux cadres auraient, selon eux, bien sonné. Pas étonnant que le sujet de l’intelligence artificielle générative se soit, dès lors, invité à la Trends Summer University, au début du mois de septembre à Knokke. Ce week-end à la côte réunit chaque année les CEO belges autour de grands thèmes d’actualité. “Pourquoi l’IA est plus importante que la réforme des pensions et de la fiscalité? Et comment nos entreprises peuvent-elles en faire une immense opportunité?” Voilà les grandes interrogations liées à ces nouvelles technologies.

Les experts John Abel, Laurent Sorber, Marijke Schroos, Leslie Cottenjé, Mathieu Michel, Laurent Alexandre. © Photos DANN

Invité pour planter le décor, dans la foulée de la sortie de son livre La Guerre des intelligences à l’heure de ChatGPT, l’observateur français Laurent Alexandre n’a pas hésité à jeter un pavé dans la mare devant l’inaction face à ce sujet fondamental. “On fait face à une véritable guerre des intelligences entre, d’une part, celle de l’être humain et, d’autre part, l’intelligence artificielle. Il faut 30 ans pour former un ingénieur, tandis que l’IA est rapide, infinie et gratuite, a-t-il d’emblée lancé. L’intelligence humaine, elle, n’est pas gratuite, fait grève, passe beaucoup de temps en pause cigarette et prend du temps pour ses heures de table.” L’expert se montre inquiet. Il souligne d’ailleurs que si les experts de l’IA ne sont pas d’accord sur le fait que cette technologie est, ou non, à risque pour l’être humain, “il y a un consensus sur le fait que, d’ici 1.000 ou 2.000 jours, l’IA dépassera l’être humain”. Dès lors, “notre marginalisation cognitive sera inévitable, enchaîne-t-il. Cela ne veut pas dire que le futur n’a pas besoin de nous. Mais on doit y réfléchir dans nos familles, dans nos entreprises et dans nos Etats. C’est un changement générationnel et on n’y a pas réfléchi.”

Pour John Abel, directeur de Google Cloud qui avait fait le déplacement pour l’événement, “cette technologie reste encore en phase émergente”. “Une émergence à laquelle on assiste et dont les leaders doivent se saisir et qu’ils doivent apprendre à comprendre”, a-t-il insisté.

Résoudre un large spectre de tâches

Tous les panélistes présents à la Trends Summer University s’accordent sur le fait que cette évolution technologique a quelque chose de bouleversant. “Un des gros changements, observe Laurent Sober, cofondateur et CTO de Radix, c’est qu’auparavant, les technologies d’IA permettaient de résoudre une tâche bien spécifique. Mais à présent, on a des modèles d’IA qui ne se contentent pas de résoudre une tâche mais bien un spectre large de tâches différentes. Et cela est transformant tant pour les entreprises comme la nôtre qui fournissent des solutions d’IA que pour les sociétés et les consommateurs.”

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Il faut 30 ans pour former un ingénieur, tandis que l’IA est rapide, infinie et gratuite.”
LAURENT ALEXANDRE

Et pour comprendre à quel point l’IA générative dont on parle actuellement est capable de réaliser des tâches de création, Marijke Schroos, CEO de Microsoft Belux, évoque par exemple le fait qu’on pourrait donner un rapport annuel à l’IA et lui demander d’en faire un communiqué de presse et différents slides de présentation. Un gain de temps gigantesque dans l’univers du travail. Ce qui explique, d’ailleurs, que Microsoft se soit intéressé à OpenAI, la société derrière ChatGPT dans laquelle le géant a massivement investi, lui permettant “de ne pas être un suiveur sur le marché de l’IA et d’implémenter ces outils dans nos logiciels”.

Toute perturbante soit-elle, l’IA est bien en marche et ne peut être arrêtée. Même si plusieurs experts avaient affiché le souhait d’obtenir un moratoire sur l’IA, cette dernière est sur sa lancée. Cela n’aurait, selon Laurent Alexandre, aucun sens de l’arrêter. “Il est impossible d’arrêter l’IA, s’est-il emporté. On donnerait tout le pouvoir à la Chine. Et l’on ne se poserait plus la question, dans le futur, d’apprendre le français ou le néerlandais à l’école: c’est le mandarin qui s’imposerait. Sans compter que la société n’accepterait pas que les systèmes de santé européens de 2050 soient au niveau de ceux d’aujourd’hui au Zimbabwe.” En effet, l’intelligence artificielle, qu’elle soit ou non générative, se révèle de plus en plus indispensable dans la santé du futur. Ses incroyables capacités de traitement de données et d’en dégager du sens font de l’intelligence artificielle un atout majeur dans le diagnostic des maladies et de leur traitement. Selon le docteur Alexandre, l’IA connaît un million de fois plus de choses qu’un médecin. Et elle est en mesure d’analyser les 20.000 milliards d’informations nécessaires à la compréhension d’une tumeur. Autant dire que l’IA devient essentielle pour booster l’espérance de vie de l’être humain et trouver des remèdes à des maladies encore aujourd’hui incurables comme l’alzheimer, par exemple.

De l’IA dans l’Etat

Mais au-delà de ces enjeux, l’intelligence continue d’alimenter de nombreux espoirs (et autant d’interrogations) dans le chef des dirigeants d’entreprise. ChatGPT, tout comme Bard de Google et les autres solutions d’IA laissent espérer des gains de productivité gigantesques dans d’innombrables domaines.

Ainsi, la start-up Hello Customer, dirigée par Leslie Cottenjé invitée dans le panel, s’est construite sur base de l’intelligence artificielle. Elle analyse de larges volumes de commentaires et feedbacks pour aider les entreprises à créer de meilleures expériences. D’une approche initiale plutôt humaine, Hello Customer a ensuite fait appel aux technologies de traitement du langage naturel (NLP), puis au machine learning qui permet à l’algorithme de “catégoriser lui-même les commentaires”. Désormais, ChatGPT lui permet d’aller encore un pas plus loin et de résumer pour mieux comprendre les avis voir, à terme, d’apporter son éclairage sur la manière d’améliorer l’expérience utilisateur sur la base des données de commentaires pris en compte. “C’est la prochaine étape, enchaîne l’entrepreneuse. Permettre de détecter des choses dans les data et d’arriver à faire des propositions et suggestions de réaction.”

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Pour simplifier la vie des gens, l’entreprise Belgique doit travailler sur des outils digitaux qui permettent de rendre les services de l’Etat plus accessibles aux citoyens.”
MATHIEU MICHEL, SECRÉTAIRE D’ETAT À LA DIGITALISATION

La start-up Radix dont la promesse est de “donner du pouvoir aux gens grâce à l’intelligence artificielle”, utilise les LLM, cette technologie sur laquelle se base ChatGPT et qui, en résumé “permet de prédire les prochains mots qui vont arriver”, détaille Laurent Sorber.

De son côté, l’Etat lui-même se met progressivement en ordre de marche. Pas encore avec un véritable usage de l’intelligence artificielle. Mais grâce à des outils numériques qui permettent aux citoyens d’avoir accès aux services des autorités. “Pour simplifier la vie des gens, l’entreprise Belgique doit travailler sur des outils digitaux qui permettent de rendre les services de l’Etat plus accessibles aux citoyens, détaille Mathieu Michel, secrétaire d’Etat à la Digitalisation, chargé de la simplification administrative. L’Etat vise à connecter l’ensemble des bases de données pour les rendre disponibles et rendre des services aux citoyens.” Si ces outils ne fonctionnent pas encore sur de l’IA, ils en font les premiers pas. Et selon le secrétaire d’Etat, des chatbots plus intelligents seront disponibles pour les citoyens afin de converser avec les autorités…

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