Comment ne pas rater son virage numérique? 12 erreurs à éviter

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A l’heure de la crise sanitaire et des préparatifs de reprise, nombre d’entreprises se lancent dans la numérisation de leurs processus, de leurs produits ou de leurs relations avec les clients. Rendue plus que nécessaire avec la crise du Covid, la “transfo numérique” est dans toutes les têtes. Gare toutefois aux pièges d’un tel chantier!

Plongées dans le brouillard épais causé par la crise sans précédent que nous traversons depuis près d’un an, de nombreuses entreprises ont vu dans le numérique une bouée de sauvetage ou un phare dans la nuit. De l’adoption d’outils digitaux pour assurer la continuité du travail en plein confinement à l’adoption plus en profondeur d’une stratégie de transformation numérique, le Covid a indéniablement fait bouger les lignes. Au point que certains voient dans ce sinistre coronavirus l’un des plus précieux éléments accélérateurs d’une lame de fond toujours à l’oeuvre.

“Le Covid-19 a accéléré l’adoption du numérique par les sociétés car cela a forcé les consommateurs à changer leurs comportements, observe Ruben Schaubroeck, senior partner digital transformation chez McKinsey. Certains de ces changements sont amenés à perdurer et vont nécessiter une adaptation à long terme des sociétés. Une étude de McKinsey de juin 2020 a montré que 61% des consommateurs belges ont essayé une nouvelle manière de faire du shopping depuis le début de la crise sanitaire. Cette même étude a montré une augmentation de 10 à 20% des achats en ligne, en fonction du secteur. Les sociétés qui réussissent à créer une expérience numérique positive fidéliseront davantage leurs clients. Celles qui n’agissent pas sur ces changements vont en perdre.” D’ailleurs, d’après une étude menée par Trends- Tendances à la sortie du premier confinement en 2020, environ 65% des responsables d’entreprises pensent que c’est grâce au numérique que leur société pourra adapter sa manière de travailler pour tenir compte de la nouvelle situation d’après- coronavirus.

La grande question est le “comment?”

Les consultants en digital ne sont pas en reste et les demandes affluent aujourd’hui. Pas mal d’entreprises ont précipité le lancement d’initiatives numériques (e-commerce, solutions de télétravail, etc.) pour parer au plus pressé tandis que d’autres se repositionnent en adoptant les solutions digitales plus adaptées.

Le changement ne peut ni s’opérer sur la base d’une seule personne ni se contenter de toucher à la technologie.

S’il a fallu des années de campagnes de sensibilisation et de soutien aux initiatives digitales pour convaincre de l’importance de la transformation numérique, les entreprises ne se posent aujourd’hui plus tellement la question de la pertinence d’embrasser les nouvelles technologies. La grande question, désormais et plus que jamais, est “comment?”. Comment intégrer le numérique au sein de nos processus? Comment fédérer toutes les équipes derrière ce changement d’envergure? Et… comment ne pas se planter? Car derrière toutes les promesses du digital que l’on présente généralement comme un facteur de meilleure compétitivité et d’avantage concurrentiel, se cachent aussi une série de chausse-trapes qui peuvent faire échouer cette nouvelle dynamique et faire perdre temps et argent aux entreprises en cas d’échec. Car oui, même si les entreprises en parlent peu, les ratages sont nombreux, comme dans tout processus de transformation.

Dans une récente étude, McKinsey estimait ainsi que 70% des stratégies de transformation (pas seulement digitale) échouaient. Les raisons sont nombreuses et parfois documentées par les consultants. Parmi la très longue liste d’erreurs commises par les entreprises dans le cadre de leur transformation numérique, nous avons sélectionné les bourdes majeures (non exhaustives) les plus répandues. Certes, certaines peuvent paraître contradictoires. Prenez donc surtout ce dossier comme un catalogue de points à garder à l’esprit au moment d’opérer votre transition digitale.

1. Confier le projet à un CTO

Nommer une personne compétente au titre de chief technology officer (CTO) et lui confier l’intégralité des chantiers numériques, avec une certaine liberté: voilà le réflexe de certains patrons d’entreprise qui ne s’y connaissent pas en digital et préfèrent ne pas porter eux-mêmes un tel projet. Sur papier, cela a forcément beaucoup de sens. Mais cela peut aussi constituer une grosse erreur. “Une personne seule ne peut pas porter la transformation d’une entreprise”, prévient Pascal Laffineur, CEO de la firme NRB, groupe belge spécialisé dans l’IT et la transformation numérique.

Si l’idée de disposer d’un chief technology officer revient à se débarrasser de la patate chaude, la direction fera rapidement face à un problème car le changement ne peut ni s’opérer sur la base d’une seule personne (toute l’entreprise doit être partie prenante), ni se contenter de toucher à la technologie. Certains spécialistes parlent plutôt d’un chief transition officer, une personne qui sera susceptible de faire percoler l’idée de la transformation et de ses avantages au sein des différents départements de la boîte, et qui jouera le chef d’orchestre. Mais encore une fois, sans lui confier les commandes à 100%. La direction doit aussi y être fondamentalement impliquée.

Le principe d’une transformation numérique est aussi de répondre aux attentes des utilisateurs finaux.”

Julie Mensier (Contraste Europe)

2. Ne pas impliquer la direction

On l’imagine aisément: la direction joue un rôle principal dans l’innovation technologique d’une entreprise. Et inversement, les dirigeants partagent aussi la responsabilité d’un échec. “Un des principaux freins à la digitalisation tient au management. Je parle surtout ici pour les PME. Soit le patron est réceptif, il y croit et voit ce que cela peut apporter. Soit il ne l’est pas, et on reste sur une position attentiste”, décrit Grégoire Malvoisin, presales & marketing officer chez Contraste Europe, société IT spécialisée dans la transformation digitale et l’optimisation des processus opérationnels. En l’absence de sensibilité numérique, les patrons d’entreprise ne savent pas trop comment s’y prendre. “On observe un attentisme lié à la peur: peur du budget ou des conséquences sociales. Les décideurs ne savent pas nécessairement qu’une e-shop peut ne pas coûter très cher. Ils ne savent pas non plus qu’on peut automatiser et se faciliter la vie en intégrant, par exemple, des outils front-end (liés à l’interface utilisateur, Ndlr) au système d’information qui est le leur”, développe Grégoire Malvoisin.

La mécanique de bottom-up est l’un des nombreux rouages. Encore faut-il canaliser ces idées ou projets pour éviter que le changement visé ne prenne une dimension pharaonique ou complètement décalée et réduise le potentiel d’amélioration. Le management, à condition qu’il soit ouvert, doit alors porter les projets numériques en les priorisant et en communiquant la vision stratégique pour fédérer. La tentation de court-circuiter un management peu enclin à la digitalisation peut s’avérer grande. L’évitement ne constituera pas une alternative constructive. Que du contraire. L’implication de la haute direction, du CEO au middle management, est même l’un des principaux facteurs de réussite, rappelle la firme de conseil BCG. Sans cela, les cadres intermédiaires deviennent souvent des sources de résistance défendant des silos fonctionnels et des bastions de pouvoir. Or, une transformation digitale n’a pas pour seul but d’amener quelques touches de digital dans la boîte “pour faire bien”, mais de transformer profondément et durablement l’entreprise à un niveau stratégique et business. Impossible de l’imaginer sans une implication réelle de la direction. Au risque que l’éléphant n’accouche que d’une souris…

LE CLIENT, un
LE CLIENT, un “paramètre” que certains acteurs négligent trop souvent lors de leur mutation digitale.© GETTY IMAGES

3. Ne pas impliquer (et former) les équipes

Imposer à l’ensemble de votre personnel une solution de téléphonie IP que les équipes IT ont choisie (et qui se révèle peu intuitive et pas aussi efficace que prévue) pour réduire les frais est une autre bourde à ne pas commettre. Il ne faudra en effet pas deux mois pour voir les abonnements de GSM (d’entreprise) exploser. “Il faut impliquer le personnel qui sera l’utilisateur des technologies, insiste Renaud Delhaye, expert senior en transformation numérique des entreprises au sein de l’Agence du numérique en Wallonie. Les collaborateurs connaissent les besoins du terrain, les goulets d’étranglement éventuels et savent ce qui sera efficace ou pas. Il faut les écouter. Si on leur place une solution entre les mains sans les avoir consultés, il y a de fortes chances pour que les technologies mises en oeuvre n’entrent pas en adéquation avec leurs besoins et leur réalité. Résultat: la technologie restera inutilisée ou le sera de façon absurde. Et dans ce cas, la valeur ajoutée du projet n’est pas atteinte.”

Grégoire Malvoisin confirme: “Les employés, dans leurs départements respectifs, savent généralement mieux que la direction générale ce qu’il est possible de faire, en opérationnel, pour s’améliorer par le digital et à moindre coût. Le processus requiert un alignement entre la direction, le business et l’IT. On ne compte plus les ratés dus à un management qui a imaginé les besoins du business, a développé des outils et les a mis en place sans consultation. Or, ces technologies n’étaient pas adaptées et donc pas adoptées.”

L’impact d’un chantier numérique concerne l’humain avant tout.

Par ailleurs, Pascal Laffineur prévient: “Considérer la transformation numérique davantage comme un sujet digital que comme une transformation est probablement la plus grosse des erreurs. La transformation touche tous les métiers et toutes les personnes dans l’entreprise. Certains se focalisent alors sur le digital, la formation aux outils (ce qui est nécessaire aussi) mais négligent le changement de mentalité. Par exemple, il faut oublier les silos et penser transversalité. Le rôle du manager d’équipe est très important dans ce cadre-là: il faut communiquer encore plus, mieux expliquer les raisons des changements, etc.” L’impact d’un chantier numérique concerne l’humain avant tout, au sein de l’entreprise. “Une telle évolution transforme parfois significativement les emplois au sein d’une usine que l’on digitalise, prévient Laurent Mercenier, directeur de l’usine L’Oréal à Libramont. Cela nécessite un accompagnement réel à ne pas sous-estimer.” Un accompagnement à bien réaliser car former les équipes n’est, faut-il le rappeler, pas une perte de temps mais bien un gain d’efficacité à terme.

LE BON TIMING Une transformation digitale implique d'abord une analyse en profondeur de l'activité de l'entreprise.
LE BON TIMING Une transformation digitale implique d’abord une analyse en profondeur de l’activité de l’entreprise.© GETTY IMAGES

4. Oublier le client

“Le principe d’une transformation numérique est aussi de répondre aux attentes des utilisateurs finaux. Des solutions sont parfois mises en place, en étant certes plus efficaces, plus modernes, plus design, mais elles ne satisfont pas toujours les besoins concrets des clients, épingle Julie Mensier, customer relations & marketing coordinator chez Contraste Europe. Nous remarquons parmi les causes d’échec ce manque d’analyse, de connaissance des tendances et des besoins réels du marché.” Ne pas consulter – ou à tout le moins ne pas cerner – les clients augmente d’ailleurs mécaniquement les risques d’échec de la transformation. Les clients espèrent une expérience sans friction sur l’ensemble des appareils et des canaux les mettant en lien avec une entreprise.

Prenons l’exemple d’une solution mise en place sans se soucier de l’aspect “apprentissage de la prise en main”. L’une des ambitions de l’UX design (expérience utilisateur) voudrait que les manuels d’utilisation disparaissent tant la solution est intuitive. Mieux vaut s’assurer de la réalité et de l’adéquation de cette ergonomie. “Une entreprise ne doit surtout pas minimiser l’approche de marché, soutient Julie Mensier. Il est bon de prendre du recul, de recueillir un avis externe qui peut se permettre de dire ‘vous avez l’impression de devoir faire la même chose que vos concurrents mais cela ne correspond pas à votre entreprise’.” Point positif, les dirigeants semblent prendre conscience de la nécessité de digitaliser l’expérience client. Dans l’enquête d’opinion Competing 2020 de la Harvard Business Review, 40% des sondés déclarent que c’est la priorité absolue de leur transformation. Le passage au numérique enthousiasme par ailleurs 72% des répondants, lesquels estiment que cela ouvre de nouvelles opportunités pour créer des relations plus étroites avec les clients. Les entreprises concentrent les efforts transformationnels liés au numérique sur de nouveaux modèles commerciaux ou de nouvelles façons d’acquérir et d’engager les clients. Mais seules celles qui ont plus de maturité digitale comprennent que pour réussir dans ces domaines, il faut également modifier les aspects opérationnels (augmenter les versants business intelligence, la rapidité d’exécution, etc.). Et ce, pour créer des expériences client différenciées, avec des avantages concurrentiels.

Une stratégie d’entreprise défaillante ou inadaptée ne pourra pas être totalement sauvée grâce à un outil technologique.

5. Penser qu’il suffit de trouver le bon outil

Oui, le numérique est devenu fondamental à tous les niveaux de l’organisation des entreprises. Mais non, il n’est pas magique. Non, il ne va pas sauver instantanément toutes les entreprises en servant de patch sur une stratégie dépassée ou sur des processus qui ont fait date. Le digital reste un outil à mettre au service d’une stratégie d’entreprise qui, elle-même, tient compte des évolutions de marché et de la réalité de l’entreprise. “On voit beaucoup de responsables d’entreprise et d’experts qui se penchent sur les outils, observe Pascal Laffineur. Ils passent beaucoup de temps à évaluer et à se mettre d’accord sur des outils technologiques. S’il est vrai que l’outil a de l’importance, ce n’est pas cela qui pose problème dans une transformation digitale.”

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Car même avec un bon outil, une stratégie d’entreprise défaillante ou inadaptée ne pourra pas être totalement sauvée. Les exemples sont nombreux d’entreprises qui ont passé du temps à analyser la bonne solution technologique pour disposer d’un site d’e-commerce, l’ont développé, intégré l’ensemble des références… mais ne parviennent à réaliser des ventes. Soit parce qu’elles n’ont pas de trafic, soit parce que les clients ne sont jamais revenus, déçus d’un service peu qualitatif en raison d’une absence d’organisation solide en interne pour assurer la gestion des commandes. “Un projet IT n’a absolument aucun sens sans stratégie commerciale et business derrière, insiste Renaud Delhaye de l’Agence du numérique. On voit parfois des entreprises qui adoptent des outils digitaux, pensant que cela va aller mieux parce que leurs concurrents le font.” Considérer le projet uniquement sous l’angle technique ou technologique constitue le meilleur moyen d’aller droit dans le mur. Une transformation digitale implique tous les départements de l’entreprise… et une analyse en profondeur de son activité. “Le digital n’est pas un remède au vieillissement des produits et des business”, souligne très justement Vincent Giolito de Fabernovel et auteur d’un livre sur le sujet.

6. Attaquer trop vite, trop gros

Transformer son entreprise se révèle souvent nécessaire et sain. Mais tout changement constitue aussi un risque qu’il faut pouvoir maîtriser. Vouloir s’attaquer à un chantier énorme directement se révèle, forcément, très risqué. D’abord, en matière de coûts alors que tout le monde ignore encore si la transformation envisagée sera une réussite. Ensuite, dans beaucoup de situations, le démarrage d’une transformation digitale ne permet aucun retour en arrière et peut, si elle est opérée à des niveaux très stratégiques et qu’elle est mal menée, résulter en de véritables catastrophes business.

L’usine L’Oréal de Libramont vient d’être labellisée “Factory of the Future” par Digital Wallonia, notamment pour ses initiatives de numérisation de ses processus. On y trouve des robots, des cobots (compagnons automatisés des opérateurs de l’usine), etc. Pour son directeur, Laurent Mercenier, l’approche progressive doit être privilégiée. “L’usine d’aujourd’hui chez L’Oréal à Libramont est le résultat d’années d’évolution, observe-t-il. Nous avons toujours privilégié le lancement d’initiatives à petite échelle que l’on a déployées au fur et à mesure. Se tromper est normal et arrive fréquemment.” C’est pour cela que certains accompagnateurs de changement organisationnel recommandent de démarrer petit. Plutôt que de se lancer dans une révolution industrielle, il convient de mener un projet pilote de numérisation, en se concentrant sur un aspect pour en démontrer les gains d’efficience. Et ensuite passer à l’échelle. Pascal Laffineur, de NRB, confirme: “Les premières tentatives sont souvent des échecs. Voilà pourquoi démarrer avec des proofs of concept est pas mal. Et dès que l’on a un succès, on voit comment le faire décoller. De plus, mieux vaut éviter de miser tout le budget innovation sur une seule idée, même si elle paraît bonne à tout le monde. L’idéal consiste à consacrer des budgets limités sur beaucoup d’idées différentes et de faire travailler des équipes en parallèle”. Par ailleurs, cela va dans la même direction: il faut être capable de bien dimensionner sa transformation numérique en fonction des besoins réels de son entreprise. Ainsi, il n’est pas nécessaire de déployer un ERP (enterprise resource planning) gigantesque, hyper onéreux, dans une entreprise de deux personnes…

Comment ne pas rater son virage numérique? 12 erreurs à éviter

7. Garder les schémas de pensée traditionnels

L’exemple nous vient de France et s’appelle… La Poste. Dans son ouvrage Les 16 plus belles erreurs de la transformation numérique, l’expert de Fabernovel, Vincent Giolito, revient sur l’histoire d’un des plus gros plantages digitaux de l’institution française: celui de la création de la messagerie électronique @laposte.net. A l’époque, cette adresse électronique gratuite, dans la foulée de Yahoo! et AOL, visait une cible moins pionnière que ses concurrents. L’initiative avait beaucoup de sens: s’appuyer sur sa notoriété pour proposer une adresse e-mail à une cible de plus de 40 ans, plutôt rurale. Pour y parvenir, La Poste ne disposait pas de talents en interne et se décida donc, pour encadrer ce projet (et d’autres), d’engager des geeks. La Poste créa une nouvelle direction, spécialisée dans le digital, disposant d’une autonomie totale. “Un peu à la façon de la principauté de Monaco regardée avec bienveillance, mais à distance, depuis les ministères à Paris”, illustre Vincent Giolito. Dans un premier temps, le succès était au rendez-vous: l’adresse @laposte.net a séduit des millions de personnes. Mais au même moment, Gmail (de Google) commençait à s’imposer également. Les nouveaux utilisateurs se faisaient moins nombreux, tandis que les utilisateurs habituels commençaient à moins utiliser leur adresse de La Poste et migraient vers Gmail. Si elle voulait imposer @laposte.net, l’institution française devait investir plus pour enrichir et améliorer son produit. “Progressivement la direction en charge du numérique a dû justifier ses demandes de budget devant la direction générale avec les mêmes critères que les autres directions. Or, il était impossible de mettre en face des prévisions un chiffre d’affaires supplémentaire, puisqu’il s’agit d’un service gratuit. Face à eux, les autres directions avaient des business cases forcément plus rentables.” La greffe n’a donc pas pris!

8. Internaliser les compétences en transformation

Pour diminuer les coûts ou pensant garder la maîtrise d’une évolution importante, certaines entreprises sont tentées d’opérer seules leur transformation numérique. Et cela alors qu’elles font le constat que, depuis trop de temps, elles n’ont pas évolué en la matière. “La plupart du temps, les entreprises n’ont pas en interne les compétences nécessaires pour assurer ce changement, observe Renaud Delhaye de l’Agence du numérique. C’est une erreur dans ce cas d’internaliser l’expertise alors qu’une boîte dont c’est le métier sera plus à la pointe. Il faut faire appel à des pros. Mais des pros neutres, pas des revendeurs de solutions.”

Un projet IT n’a absolument aucun sens sans stratégie commerciale et business derrière.”

Renaud Delhaye (Agence du numérique)

Faire appel à des professionnels permet aussi d’éviter bien des écueils avec des personnes en interne que l’on croit, à tort, à la page. C’est ce que Vincent Giolito appelle “laisser l’incompétence aux commandes”. Il évoque dans son ouvrage le cas d’une entreprise lyonnaise de plusieurs centaines de personnes qui avait laissé le directeur informatique piloter la transformation digitale. Ce dernier avait convaincu ses patrons d’éliminer le papier en interne. Bonne idée. Mais même si des consultants externes avaient été appelés, le directeur informatique avait exclu la numérisation des documents internes de leur mission, sans doute pour réduire les coûts. La catastrophe est arrivée en fin de projet, alors qu’il fallait lier les documents au nouveau système déployé en interne. C’est à ce moment que les responsables se sont rendu compte que tous les documents seraient inutilisables. Le directeur informatique avait en effet fait imprimer, puis scanner, tous les documents de l’entreprise, numérisés au format image. Une bourde monumentale coûtant temps et argent à l’entreprise. “L’accusation d’incompétence ne concernait pas seulement le directeur informatique, souligne toutefois l’expert. La direction de l’entreprise était tout aussi fautive d’avoir si longtemps conservé un manager dépassé par les événements…”

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9. Faire comme d’habitude… mais en ligne

Nombreux sont les dirigeants d’entreprise qui voient arriver de nouveaux acteurs sur leur plates-bandes mais n’y prêtent pas vraiment attention. Soit parce qu’ils sont encore très petits et qu’ils n’impactent pas encore leur business. Soit parce qu’en adoptant des codes très différents sur le marché, les patrons traditionnels ne croient pas dans cette nouvelle manière de faire. Pourtant, vient un moment où le petit poucet parvient à grandir, parfois très rapidement, et change totalement la donne du secteur, ringardisant les mastodontes dans la place. Puis vient le moment de se transformer, et vite, en parvenant à s’affranchir des codes traditionnels. Dans son ouvrage, Vincent Giolito de Fabernovel, pointe un autre exemple éloquent: La Redoute, pionnier de la vente par correspondance dont le modèle n’était, in fine, pas très loin de l’e-commerce et qui, sur papier, avait toutes les cartes en main pour devenir un acteur qui compte dans la vente en ligne. “Mais l’entreprise a pensé qu’il suffisait de dupliquer sur internet son gros catalogue, écrit l’auteur. Ce qui semblait facile s’est en réalité révélé extrêmement compliqué. La réalisation du catalogue pouvait s’effectuer en de multiples sous-projets, comme des chapitres d’un livre dont les participants étaient habitués à travailler ensemble et à communiquer de façon informelle. Passer à l’e-commerce impliquait de changer d’outils pour adopter un système centralisé de publication. Surtout, il fallait changer les habitudes de tous les participants au grand oeuvre que constituait le catalogue. Le mode projet devait remplacer le mode de fonctionnement qui était en place jusque-là, beaucoup plus inspiré de l’édition.” Si le groupe a (finalement) bien identifié l’e-commerce comme une menace, “les inerties en interne et l’ampleur de la vague, à l’externe, étaient trop fortes. Le catalogue était une poule aux oeufs d’or impossible à sacrifier. Il aura fallu pratiquement 20 ans pour s’y résoudre”. Inutile de préciser que les Amazon et autres Zalando n’ont pas attendu 20 ans pour prendre des parts de marché et changer les habitudes de consommation des clients.

En se lançant dans un processus de transformation numérique, il faut accepter que l’on peut se tromper.”

Pascal Laffineur (NRB)

10. S’obstiner à utiliser du matériel dépassé

“Proposer dans les supermarchés, partout en France, un produit complètement inadapté, beaucoup plus cher que ceux des concurrents et avec une innovation que les consommateurs n’avais jamais réclamé.” Voilà un autre exemple de beau foirage d’une entreprise industrielle évoquée anonymement par Vincent Giolito dans son ouvrage sur les erreurs de la transformation numérique. Pour en arriver là, l’auteur observe que le groupe en question n’affichait aucune flexibilité et que le fonctionnement tout entier de l’entreprise reposait sur des technologies des années 1990. “Les outils de collaboration avec lesquels on travaille dans le groupe sont encore la feuille Excel et l’e-mail. Le groupe a poussé à la limite les capacités d’Excel pour en faire le pivot des communications internes.” Les collaborateurs et managers s’y échangent donc des infos via ces feuilles Excel. Même les photos des maquettes d’emballage sont intégrées dans les cellules du tableur. Bien sûr, ces feuilles ne sont pas consolidées ni déposées sur des disques partagés, “et encore moins reliées à un système central de knowledge management, insiste l’expert. Le leader d’un groupe projet garde la feuille principale sur son propre ordinateur”. Résultat? “L’entreprise a entretenu la bureaucratie au format Microsoft et découragé les meilleures volontés, pointe Vincent Giolito.

Le décalage est amplifié par le décalage entre la piètre qualité des outils dont disposent les collaborateurs et l’accès au digital qui leur facilite la vie à titre personnel. Quelle créativité déployer quand votre employeur n’est pas capable de faire évoluer ses propres systèmes et vous maintient dans un fonctionnement dépassé?” Et l’expert de l’Agence du numérique, Renaud Delhaye d’ajouter: “Il faut mettre en adéquation l’ambition que l’on poursuit et les systèmes d’information en interne. On ne fait pas du neuf avec du vieux: digitaliser des produits et services mais continuer avec des softwares ou hardwares dépassés n’a pas de sens. Et si l’on croit faire une économie en ne changeant pas d’infrastructure, ce n’est pas le cas. A un moment, tout le système explose.”

DIGITALISER des produits et services mais continuer avec des softwares ou hardwares dépassés n'a pas de sens.
DIGITALISER des produits et services mais continuer avec des softwares ou hardwares dépassés n’a pas de sens.© GETTY IMAGES

11. Sous-estimer les budgets à prévoir

Vouloir démarrer trop grand dès le départ constitue un risque réel (voir point 6). Inversement, une erreur consiste à se lancer dans un projet de transformation numérique avec des budgets trop étriqués ou sans avoir correctement anticipé l’ensemble des fonds nécessaires pour mener à bien un tel chantier. “Quand on lance une innovation, il faut s’assurer que le financement sera bien au rendez-vous”, insiste Vincent Giolito. Pascal Laffineur le souligne également: “Il faut être capable d’investir dans la transformation digitale sur le long terme“.

Quand on lance une innovation, il faut s’assurer que le financement sera bien au rendez-vous.”

Vincent Giolito (Fabernovel)

On peut comparer le processus au développement d’un site web: sa création implique un budget de départ mais sa mise en ligne n’est pas une fin en soi ; il faut ensuite s’assurer qu’il sera alimenté, mis à jour et éventuellement développé. Si l’on démarre de manière prudente un projet numérique au sein de l’entreprise, il faut ensuite être capable d’en assurer le suivi et de le développer. “On constate souvent, prévient Vincent Giolito, qu’un problème provient du passage à l’échelle du digital.” Développer sur l’ensemble de l’entreprise un projet qui fonctionne à petit niveau nécessite des budgets. Pas seulement pour son implémentation mais également pour la formation des équipes qui doivent le comprendre et l’adopter… Le patron de NRB conseille par ailleurs de considérer les budgets liés à la transformation numérique comme des budgets que l’on est “prêts à perdre” car il s’agit d’investissement dont on ne connaît pas l’ampleur dès le départ. “Il faut l’intégrer dans une case R&D (recherche et développement) et pas opérationnelle.”, dit-il.

12. Ne pas savoir s’arrêter à temps

Les échecs en matière d’innovation ne se comptent plus. Y compris au sein des grosses entreprises technologiques comme Facebook ou Google. Toutes disposent de véritables cimetières de projets morts- nés, d’échecs ou d’abandons. “Mais en se lançant dans un processus de transformation numérique, il faut accepter que l’on peut se tromper, insiste Pascal Laffineur. On peut se tromper plusieurs fois, cela arrive souvent et c’est même normal.”

Cela fait, en effet, partie intégrante du concept d’innovation: le changement implique de facto une certaine prise de risque. Dans le choix technologique, dans son implémentation, dans l’adoption par les équipes ou le public. “Le numérique n’a rien de magique, continue Vincent Giolito. Les erreurs sont absolument partout et tout le temps. C’est évidemment là qu’intervient le rôle des dirigeants. C’est de leur responsabilité d’identifier les signaux qui témoignent d’une sortie de route. La recette miracle consiste à être attentif aux moments où le risque devient stratégique. Reconnaître que l’on se plante est fondamental, cela évite d’aller plus loin.” Le fameux fail fast.

Vincent Giolito, Les 16 plus belles erreurs de la transformation numérique, éd. Eyrolles, 224 p., 20 euros.
Vincent Giolito, Les 16 plus belles erreurs de la transformation numérique, éd. Eyrolles, 224 p., 20 euros.© PG

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