Paul Vacca
“Comment dégoûter un ado de lire des classiques”
Il faut dire que je l’ai un peu cherché. A force d’écrire que le livre n’est pas mort, qu’il a toute sa place dans notre horizon numérisé, qu’il est une nouvelle expérience, fatalement on me demande des comptes. Souvent personnels : comment faire lire l’adolescent à la maison dont visiblement le temps d’attention est plus accaparé par Fortnite, Netflix ou les réseaux sociaux que par la lecture ? Aurais-je une recette pour convertir l’ado de la famille à la lecture ?
Et là, immanquablement, je suis obligé de décevoir mes interlocuteurs : non, la prescription reste un mystère insondable. D’abord, c’est une équation à deux inconnues qui tient autant de la nature du destinataire que de l’identité du messager. En effet, combien de fois nous-mêmes avons-nous repoussé un livre uniquement parce qu’il nous avait été conseillé par nos parents ou imposé dans le cadre scolaire ? Déjà Montaigne disait qu’il n’aurait ” rapporté du collège que la haine des livres “. Et puis, souvent les efforts s’avèrent contre-productifs. Plus on essaie d’inciter à lire, plus on a des chances de provoquer le rejet. Si mes parents m’avaient préconisé l’écoute de la musique techno ou du post-rock, je n’en aurais peut-être jamais écouté. Pour autant, si je ne sais pas ce qu’il faut faire pour inciter un ado à la lecture, j’ai en revanche quelques petites idées sur ce que l’on peut faire pour ne pas donner l’envie de lire à un adolescent.
Certains, voulant certainement s’adapter à leur public, vantent la lecture comme une activité facile, un passe-temps cool. Non seulement c’est mensonger, car la lecture nécessite un minimum d’effort, de concentration et de déconnexion et elle ne sera jamais aussi cool que regarder une vidéo sur YouTube. Mais cette approche est parfaitement inefficace. Imagine-t-on vanter un jeu vidéo ou un sport parce que c’est facile ? Parce que cela ne demande aucun effort ?
Ceux qui s’y prennent le mieux pour ne pas donner envie de lire sont ceux qui auraient au contraire vocation à la transmettre : ce sont les éditeurs de romans classiques.
Reste que ceux qui s’y prennent le mieux pour ne pas donner envie de lire sont ceux qui auraient au contraire vocation à la transmettre : je veux parler des éditeurs de romans classiques. Ils le font, dès la couverture, en publiant la photo d’un film ou d’une série TV à succès, adapté ou librement inspiré d’un roman. On comprend bien qu’il y ait une opportunité commerciale à exploiter. Mais cela génère un effet pervers pour le lecteur potentiel. Par une sorte de renversement, le livre devient, non plus l’original, mais un dérivé du film ou de la série, comme s’il s’agissait d’une novélisation, à savoir l’adaptation romanesque de sa propre adaptation. Et puis, au-delà, cela réduit dès la couverture le champ de l’imagination. La richesse d’un livre, c’est justement de permettre au lecteur de se créer ses propres images à partir du texte de l’auteur et non pas de se les voir imposées.
Mais un délit plus grave est souvent perpétré en quatrième de couverture. Là, en toute impunité et aux yeux de tous, les éditeurs se livrent à un acte qu’ils n’oseraient pas infliger à un auteur vivant : le spoiler. Combien de classiques voient leur intrigue entièrement dévoilée dans leur dos ? Comme si on les poignardait. Clémentine Beauvais, une auteure française, l’a parfaitement pointé dans un article aussi hilarant que pertinent sur son blog intitulé ” Lettre ouverte aux éditeurs de romans classiques “. Elle y note que dévoiler l’intrigue envoie des messages catastrophiques au lecteur potentiel : entre autres, qu’un classique ne se lit pas pour le plaisir de l’intrigue et que les classiques, tout le monde les connaît ! Très efficace pour dissuader toute envie de lire et de découvrir !
Et enfin, diable dans les détails, il y a les notes en bas de pages. Pour une note utile, combien n’apportent que des précisions dont on sent bien que l’auteur lui-même n’aurait surtout pas voulu en encombrer le lecteur ? Ou qui s’attachent à expliciter un mot que le lecteur avait déjà compris par le contexte ou qu’il aurait eu le plaisir de découvrir par lui-même. Ces notes agissent comme des gardes-chiourmes au-dessus de notre épaule. Elles empêchent ce que toute lecture d’un roman devrait être : une lecture buissonnière. Pour inciter un ado à la lecture, peut-être faudrait-il déjà ne pas reproduire ce que font à merveille les notes en bas de page : nous comporter en trouble-fête de la lecture.
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