L’IA Showrunner, développée par Fable et soutenue par Amazon, permet à n’importe qui de créer des scènes de séries. Une innovation qui a de quoi inquiéter Hollywood.
Il y a deux ans, Hollywood était paralysé par une grève historique des scénaristes, inquiets de voir l’intelligence artificielle menacer leur métier. Des craintes ravivées aujourd’hui par l’arrivée de Showrunner, l’outil conçu par la start-up américaine Fable.
Cette IA permet à n’importe quel utilisateur de générer automatiquement des scènes, voire des épisodes entiers d’une série à partir de simples mots-clés. De l’écriture au rendu animé, l’outil automatise les étapes-clés de la création d’une série. Un concept qui soulève des questions fondamentales sur l’avenir des professions créatives dans l’audiovisuel.
Une inquiétude d’autant plus fondée que le projet a reçu le financement d’Amazon, acteur majeur du secteur… et producteur de contenu pour sa propre plateforme de streaming, Prime Video.
Une IA pour créer ses propres scènes
Concrètement, comment ça fonctionne ? Un utilisateur lambda envoie plusieurs mots-clés, selon un schéma prédéfini (personnages, actions, lieu, etc.), dans une discussion Discord dédiée. L’IA de la start-up se charge alors de créer la scène imaginée. Les scènes peuvent reprendre l’univers et les personnages d’une série existante, ou être entièrement inventées.
Le tout repose sur l’intelligence artificielle développée par Fable, Show-2. Celle-ci intègre des garde-fous censés bloquer automatiquement tout contenu offensant ou illégal, selon l’entreprise.
Pour l’instant, Showrunner ne permet de créer que du contenu animé. La génération d’images photoréalistes requiert une puissance de calcul que l’intelligence artificielle de Fable ne possède pas encore. Ce n’est d’ailleurs pas son objectif, affirme l’entreprise, qui préfère laisser ce domaine aux géants, tels qu’OpenAI, Google ou Meta.
Une nouvelle manière de vivre les histoires
La start-up a testé son concept pendant plusieurs mois auprès de 10 000 utilisateurs avant de lancer publiquement son outil. Pour l’heure, son utilisation est gratuite, mais Fable prévoit à terme de proposer des abonnements (entre 10 et 20 euros par mois), permettant de générer un certain nombre de scènes.
Les retours des testeurs se sont révélés particulièrement positifs, selon l’entreprise. Elle a cependant été surprise de constater que “les gens souhaitent s’intégrer, eux et leurs amis, dans ces histoires. Nous n’avons pas conçu ce système dans cet esprit. Les gens veulent évoluer dans des univers fictifs et raconter des histoires sur eux-mêmes”, a déclaré Edward Saatchi, fondateur de la start-up, au magazine Variety.
“La plateforme permet aux utilisateurs d’expérimenter leurs histoires en temps réel, en répétant et en affinant constamment leur vision. Showrunner redéfinit ce que peut être une série télévisée et j’ai hâte de voir les prochaines histoires émerger”, a ajouté Jacob Madden, responsable de la technologie chez Fable et cocréateur de Showrunner.
Une révolution en marche
L’arrivée de Showrunner pourrait bien rebattre les cartes du divertissement, en bouleversant aussi bien les métiers de la création que le rôle du public. Car l’ambition de Fable est claire : faire passer les spectateurs du statut de consommateurs passifs à celui de co-auteurs.
Le fondateur de la startup cite Toy Story pour illustrer le potentiel de l’outil. Grâce à Showrunner, les fans pourraient générer de nouvelles scènes dans l’univers de Woody et ses amis, sans empiéter – affirme-t-il – sur les droits d’auteur détenus par Disney. Des négociations avec la firme aux grandes oreilles seraient d’ailleurs en cours, en vue d’un partenariat.
“Les services de streaming hollywoodiens sont sur le point de devenir un divertissement interactif : les spectateurs qui regardent une saison de série et l’adorent pourront désormais créer de nouveaux épisodes en quelques mots et devenir eux-mêmes des personnages, grâce à une simple photo”, a-t-il déclaré à Variety. “Notre rapport au divertissement sera radicalement différent d’ici cinq ans.”
Le soutien d’un acteur aussi puissant qu’Amazon ne fait qu’accélérer cette mutation. Avec de tels moyens, Fable pourrait rapidement ouvrir la voie à d’autres plateformes. Et l’industrie du divertissement, à son tour, devra s’adapter.
La start-up tempère les inquiétudes
Le fondateur de Fable, qui a également cofondé Oculus Story Studio, adopte pourtant une posture prudente quant à l’accueil du public : “Peut-être que personne ne voudra de cela, et que ça ne fonctionnera pas”, admet-il.
Une déclaration qui soulève une question centrale : le public souhaite-t-il réellement devenir acteur de la création de ses séries ? Si l’idée semble séduisante sur le papier, elle pourrait bien s’essouffler face à une réalité plus complexe. Car une partie du plaisir réside aussi dans l’imprévu, dans la découverte d’un récit pensé par d’autres. L’illusion de contrôle pourrait ainsi diluer la magie de la narration.
Certes, le concept pourrait séduire les amateurs de fanfictions ou les utilisateurs désireux de s’inventer un rôle dans leurs univers favoris – une tendance confirmée par les premiers tests de la plateforme. Reste que cette personnalisation extrême ouvre un nouveau chapitre dans l’histoire du divertissement, où la frontière entre spectateur et créateur s’efface peu à peu.
Les IA de génération de contenu pourraient donc devenir une forme d’expression personnelle, plutôt qu’un substitut direct aux showrunners professionnels. Mais difficile de nier que le secteur audiovisuel sera durablement influencé par ces technologies. Netflix et d’autres s’y sont déjà essayés. Le mouvement est lancé – et rien n’indique qu’il s’arrêtera.