Une réforme du chômage sans financement ? Les CPAS sont pris au piège

Caroline Lallemand

La réforme du chômage entrera en vigueur le 1er janvier 2026, qu’il y ait un budget fédéral ou non. Mais sans budget, rien ne garantit que les compensations promises aux CPAS seront débloquées à temps. Résultat : les communes risquent de devoir gérer l’afflux de demandeurs d’aide sociale sans les moyens promis.

Alors que toutes les autres réformes phares de l’Arizona sont suspendues faute de budget (malus pension, flexibilisation du travail de nuit, taxation des plus-values), la réforme du chômage décidée sera bien en vigueur à partir du 1er janvier 2026. Entre janvier et juillet, 180.000 personnes perdront progressivement leurs allocations, dont 115.000 dès les quatre premiers mois. Mais il reste un point crucial à régler avant la mise en œuvre de la réforme. Les compensations financières promises aux CPAS pour accueillir ces nouveaux bénéficiaires pourraient rester bloquées si le gouvernement fédéral ne parvient pas à faire voter son budget pour Noël.

Où sont les 26 millions promis en 2025 ?

Le précédent n’est pas rassurant. En juillet dernier, la ministre fédérale de l’Intégration sociale Anneleen Van Bossuyt (N-VA) avait annoncé une première enveloppe de 26 millions d’euros destinée aux CPAS en 2025, afin de faire face aux premiers coûts liés à la réforme du chômage. Ces montants n’ont toujours pas été versés et l’inquiétude croît dans plusieurs CPAS bruxellois.

“Le gouvernement ne semble toujours pas s’être accordé sur l’exécution de son engagement, pourtant prioritaire”, commente la Fédération des CPAS bruxellois, dans La Libre. “Sans la compensation annoncée, le dernier filet de sécurité que sont encore les pouvoirs locaux va craquer”, ajoute Ahmed Laaouej, président de la Fédération bruxelloise du PS.

Le MR rassure

Seul le MR se veut rassurant. “Les 26 millions (prévus pour les communes) seront bien versés en 2025”, assure un ténor MR dans le média francophone. “On ne va rien reporter.” David Weytsman (MR), président du CPAS de Bruxelles, confirme au même média sa confiance dans le gouvernement pour libérer ces 26 millions d’euros en 2025, comme il l’avait annoncé. « Le cabinet de la ministre Van Bossuyt m’a assuré être en train de faire passer des textes en ce sens. Que cela soit fait en mai ou en décembre ne change pas grand-chose si cela est budgétisé », explique-t-il. Dans Le Soir, la porte-parole de la ministre Van Bossuyt a également assuré que l’aide financière aux CPAS – pour la Ville de Bruxelles, cela représente 1,08 million d’euros – n’était pas remise en cause.

Le piège des douzièmes provisoires

Mais au-delà de ces 26 millions prévus en 2025, c’est surtout le financement des CPAS pour 2026 qui inquiète. L’incapacité du gouvernement Arizona à voter un budget pour 2026 crée une situation inédite. Dès janvier, la Belgique fonctionnera en effet en douzièmes provisoires : chaque mois, seul un douzième du budget 2025 pourra être dépensé, sans possibilité d’engager de nouvelles dépenses.

Le gouvernement fédéral prévoit pourtant un budget global de 300 millions d’euros pour 2026-2027 destiné à compenser les coûts pour les CPAS. Mais en régime de douzièmes provisoires, ces moyens nouveaux ne seront pas disponibles. “En l’état, il n’y aura donc pas de moyens nouveaux pour compenser les dépenses qu’engendrera l’accueil par les CPAS”, alerte Sophie Rohonyi, présidente de DéFI.

Pour débloquer ces 300 millions, il faudrait un vote spécifique à la Chambre dans les prochaines semaines. Ce qui n’est pas exclu, mais n’est pas garanti non plus.

“Sans ça, ce sera le chaos”

Pour Sophie Rohonyi, les choses sont claires : “Avec les 12ᵉ provisoires, l’exclusion des chômeurs se fera dès janvier, mais sans compensation pour les CPAS, alors que c’était une condition sine qua non. Sans ça, ce sera le chaos. Soit le gouvernement fédéral trouve une solution, soit il doit reporter l’entrée en vigueur de sa réforme”, a-t-elle affirmé sur X.

Silence radio des ministres concernés

Contactés par Trends-Tendances, ni le ministre fédéral de l’Emploi David Clarinval (MR), ni le ministre wallon des Pouvoirs locaux François Desquesnes (Les Engagés) n’ont encore donné suite à nos demandes d’interviews. Un silence qui en dit long sur l’embarras politique face à cette équation budgétaire potentiellement explosive.

Sur le terrain, l’inquiétude grandit. La Fédération des CPAS bruxellois estime que 60 à 70% des exclus se présenteront aux guichets. Pour Bruxelles, cela représenterait 24.000 à 28.000 personnes supplémentaires, soit une augmentation de 38% du nombre de bénéficiaires du RIS (actuellement 62.300).

60 à 70% des exclus vers les CPAS ?

Les secrétaires généraux des 19 CPAS bruxellois ont écrit aux autorités pour alerter sur “un risque majeur” : de nombreux CPAS ne seront pas prêts “le 1er janvier 2026 et les mois qui suivent”.

Le ministre fédéral David Clarinval se montre, de son côté, plus optimiste. Il table sur un tiers des exclus seulement qui solliciteraient les CPAS. Il estime qu’une partie retrouvera un emploi et qu’une autre ne fera pas appel à l’aide sociale. Un écart d’estimation considérable qui alimente l’incertitude budgétaire.

Des appels au report qui se multiplient

Face à cette impasse, les appels au report de la réforme se multiplient. Le PS bruxellois a “requis le report de la réforme” sans attendre, constatant l’impasse dans laquelle se trouve l’Arizona pour la confection de son budget 2026.

Le ministre bruxellois de l’Emploi Bernard Clerfayt (Défi) a appuyé cette demande dans La Libre, estimant que “le blocage budgétaire fédéral et le risque de chute du gouvernement De Wever hypothèquent le versement de l’aide promise aux CPAS pour traiter les dossiers des chômeurs exclus”.

Appliquer la réforme sans budget ?

Même au sein des Engagés, parti membre du gouvernement fédéral, certains bourgmestres s’inquiètent. “Nous ne sommes pas rassurés pour l’instant. On craint les conséquences pour nos CPAS. C’est un peu la boîte noire et on n’a pas encore vu venir les 26 millions annoncés. Pourtant, le 1er janvier approche”, regrette Benoît Cerexhe (Les Engagés), bourgmestre de Woluwe-Saint-Pierre, dans La Libre. “Les communes bruxelloises sont un peu laissées à elles-mêmes. Nous sommes beaucoup de bourgmestres bruxellois à penser qu’on ne pourra pas beaucoup compter sur Actiris pour remettre les exclus du chômage à l’emploi…”

Sans vote parlementaire rapide pour débloquer les compensations, les communes se retrouveront donc prises au piège : obligées d’appliquer la réforme, mais privées des moyens pour y faire face.

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