“Un jour de grève en 14 ans”: l’Autriche possède-t-elle le secret du dialogue social ?
Loin des grèves qui se multiplient en Europe, le cheminot autrichien Martin Hofmann est fidèle à son poste: au pays du dialogue social, il a déjà reçu d’enviables augmentations de salaire.
“En quatorze ans de carrière, j’ai débrayé en tout et pour tout un jour et deux heures”, sourit cet employé de la compagnie de chemins de fer ÖBB, tout en contrôlant les voyageurs. Âgé de 35 ans, haute stature et yeux clairs, il a obtenu début décembre une hausse significative de salaire et tandis que les prix flambent. Il “s’estime heureux” avec cet accord trouvé avant que “les choses ne s’enveniment vraiment”. A la gare de Praterstern qui dessert la célèbre grande roue devenue le symbole de Vienne, il est rarissime que les usagers restent à quai. Dans ce pays prospère de 9 millions d’habitants, en plein emploi, patrons comme travailleurs ont la volonté de résoudre les conflits par la désescalade en amont.
“D’égal à égal”
Olivia Janisch, syndicaliste de 46 ans qui a négocié les récentes hausses de rémunération, salue “un modèle” observé et envié à l’étranger, au moment où la France se prépare à une journée de grève massive. Ici, les retraites ne sont pas un sujet et quand il y a des revendications, “on parle d’égal à égal” avec le patronat, dit-elle au siège de l’organisation Vida qui donne directement sur le Danube. Ici, pas de lutte entre chapelles: une seule structure réunit tous les employés des transports. Elle négocie pour les cols blancs comme pour les cols bleus et revendique plus de 80% d’encartés. Publics ou privés, tous les acteurs ont l’obligation d’appliquer l’augmentation, et ce dans chaque secteur d’activité. Car les discussions se font par branche et non pas dans les entreprises. Aucun employeur n’y échappe: l’adhésion à la Chambre de commerce est obligatoire et les conditions de travail de 98% des salariés sont définies par une convention collective régulièrement mise à jour. Une proportion bien supérieure à ce qu’on observe dans l’Allemagne voisine (55%) ou aux États-Unis (12%), remarque la sociologue Susanne Pernicka, spécialiste du sujet.
“Faire bloc”
“C’est un système qui intègre les plus faibles et qui demeure extrêmement stable en comparaison internationale”, explique cette experte de l’université de Linz, évoquant par exemple le faible nombre de travailleurs pauvres. Le modèle est né après 1945. “L’entre-deux-guerres a été très conflictuel et les conséquences dévastatrices du nazisme”, dans un territoire annexé par Adolf Hitler, “ont amené l’État, les salariés et les employeurs à trouver un moyen de relancer l’économie et garantir la paix sociale”, détaille Mme Pernicka. Le succès autrichien a été favorisé selon elle par “la petite taille” du pays.
Economie ouverte coincée entre Est et Ouest, il lui fallait dépasser les clivages et “faire bloc face aux défis” venus de l’extérieur. Même si la cohésion se craquelle parfois aujourd’hui sous les assauts de la mondialisation, les patrons jouent le jeu et la plupart y trouvent leur compte. “Les délégués du personnel vont m’adorer et je vais me faire gronder par la compta”, avait ironisé le négociateur côté employeurs Thomas Scheiber, cité par la presse. Mais lui aussi a obtenu une concession de taille: la charge est répartie sur les deux prochaines années, ce qu’avait catégoriquement refusé la partie adverse au premier tour de table.
Ce consensus “permet d’équilibrer les intérêts” pour Olivia Janisch, qui montre les dents et utilise la grève “en dernier recours”, pour envoyer un “signal clair” sur la détermination des troupes. Entre 2010 et 2020, la Confédération européenne des syndicats a recensé 22 jours non travaillés pour 1.000 salariés en Autriche contre… 1.170 en France.
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