Les dentistes déconventionnés: ils ont une dent contre le ministre
En début d’année, 43,03 % des dentistes belges ont refusé le nouvelle convention médico-mutualiste. C’est du jamais vu ! Sans un tour de passe-passe du gouvernement pour garantir la sécurité tarifaire, la convention n’aurait pas pu être appliquée. Il y a plusieurs raisons à ce mécontentement.
Comme tous les deux ans, les syndicats des dentistes et les mutuelles ont accouché, à la mi-décembre, d’une convention qui fixe les tarifs pour deux ans (2024 et 2025). L’accord est ambitieux puisqu’il prévoit une augmentation budgétaire de 142 millions d’euros, soit quasi 10 %. Des moyens supplémentaires qui visaient, entre autres, à revaloriser un certain nombre de prestations au bénéfice des dentistes (notamment pour rattraper l’inflation des coûts de personnel, du matériel et de l’énergie) sans toucher au coût réel pour le patient. Il est question notamment des prothèses amovibles (+30 %), des radiographies panoramiques, du détartrage sous-gingival, des extractions (+20 euros), etc. En plus d’une indexation linéaire de 6,05 % des honoraires. Mais, énorme surprise à la mi-mars, seuls 56,97 % des dentistes ont approuvé cette nouvelle convention. C’est historique. Comme le seuil de 60 % n’est pas atteint, la convention n’aurait pas dû entrer en vigueur. En fait, il manquait 343 dentistes.
“En cette année électorale, ce n’était pas simple pour un gouvernement de ne pas assurer la sécurité tarifaire des patients, explique Frédéric Bettens, responsable de la commission chargée des questions professionnelles à la Société de Médecine Dentaire (SMD). Les discussions ont été compliquées. La loi autorise le ministre de la Santé à conventionner d’office tous les dentistes. Cela a été appliqué une fois dans les années 1980 et la profession s’est mise en grève avant que le calme ne revienne. Cela a été mis sur le table cette fois-ci aussi mais finalement, un accord a été trouvé.”
Convention quand même appliquée
A la fin mars, le gouvernement s’est accordé pour abaisser le seuil nécessaire de 60 à 55 %. Une disposition uniquement applicable à l’actuelle convention médico-mutualiste. Il n’en demeure pas moins qu’environ 5 % de dentistes supplémentaires se sont déconventionnés en deux ans.
C’est la mode de la spécialisation du dentiste dans une discipline qui lui plaît le mieux.” – Frédéric Bettens
“Je suis déconventionné, sourit Frédéric Bettens qui, avec son épouse, gère un cabinet à Waterloo et un autre à Tertre dans le Hainaut. J’ai défendu la convention en tant qu’administrateur de la SMD car il y avait de belles avancées mais il demeure des points qui, dans ma pratique, me posent problème. En fait, tout dépend des actes et du temps que nous y passons. Dans certains cas, le tarif conventionné n’est pas suffisant comme quand on passe une heure sur une carie par exemple. C’était aussi le cas des prothèses amovibles. Les miennes, je les facturais 900 euros. Aujourd’hui, avec la revalorisation, la convention s’en approche. Mais on vient de 680 euros. Vous voyez le gouffre ?”
Si la convention est entrée en vigueur, il n’en demeure pas moins que pas loin de la moitié des dentistes ne sont plus conventionnés. Le patient est tout à fait libre de poser la question à son dentiste et d’en changer si les tarifs qu’il pratique ne lui plaisent pas. La plupart renvoient d’ailleurs chez des collègues qui le sont. Pour autant qu’ils acceptent encore des patients. Un autre gros souci actuel de la profession.
“Je n’ai que 40 ans et j’accepte toujours des patients, sourit Matthias Kokot dont le cabinet est situé à Gaurain-Ramecroix dans le Hainaut. C’est nécessaire pour le renouvellement de ma patientèle mais aussi pour accueillir des gens en souffrance. Tous les jours, nous recevons des appels de gens qui cherchent un dentiste. Avec la pandémie, nombreux sont les vieux dentistes qui ont, quasi collectivement, pris leur pension. La relève n’a pas suivi et, à un moment, l’élastique a lâché. Globalement, nous avons, tous, trop de patients. Moi, je m’en sors grâce à Christine, mon assistante qui m’accompagne depuis 17 ans. Elle gère tout de A à Z et je n’ai qu’à m’occuper des soins. J’ai deux fauteuils et donc il m’est possible de raccourcir le temps entre chaque patient et de prendre des urgences. C’est toujours gratifiant de soulager quelqu’un. Mais nos journées sont intenses.”
Cabinets collectifs
Dans la grande région de Tournai comme ailleurs, nombreux sont les jeunes dentistes qui ont, à l’instar des médecins généralistes, ouvert des cabinets collectifs. Evidemment, cela permet de mieux équilibrer vie privée et vie professionnelle mais, aussi et surtout, de mutualiser les coûts d’une installation et de l’achat du matériel. Un nouvel appareil de radiographie 3D coûte quand même 150.000 euros.
“Je ne pourrais pas faire ça, confie Matthias Kokot. Moi, je demeure un artisan dentiste et je connais la bouche de tous mes patients. Mais bon, je ne peux pas être malade.”
Les cabinets collectifs intéressent des groupes financiers privés, à l’instar de ce qui peut se passer dans le secteur des pharmacies.
Ces cabinets collectifs intéressent aussi beaucoup des groupes financiers privés, à l’instar de ce qui peut se passer dans le secteur des pharmacies. “Ces cabinets collectifs sont un phénomène assez récent, une petite dizaine d’années, explique Frédéric Bettens. C’est la mode de la spécialisation du dentiste dans une discipline qui lui plaît le mieux : soins pour enfants, prothèses, etc. Et donc, nous avons un peu l’impression que le métier de dentiste généraliste va se perdre au profit de petites cliniques dentaires. Ces cliniques, ce sont des soins haut de gamme et elles sont plutôt opposées à la convention. D’autant plus, et c’est surtout marqué en Flandre, qu’elles se font racheter par des groupes financiers comme Odontolia. Ils gèrent tout l’administratif et le dentiste, devenu salarié ou payé à la prestation ou que sais-je encore, n’a qu’à se focaliser sur les soins. La convention, ces groupes-là n’en veulent pas non plus évidemment.”
L’effet Bim
Deux autres phénomènes ont contribué au déconventionnement massif. D’une part, la féminisation de la profession. Il y a désormais plus de femmes dentistes que d’hommes et elles travaillent moins pour disposer de temps pour leurs enfants. Ce n’est pas pour cela qu’elles souhaitent gagner moins que les hommes. D’une façon générale, plus le dentiste est jeune, plus il risque d’être non conventionné. D’autre part, l’impact de l’effet Bim pour bénéficiaire de l’intervention majorée (l’ancien statut Vipo). Frank Vandenbroucke, le ministre de la Santé, souhaitait que ces Bim puissent obligatoirement recevoir le tarif conventionné même chez un dentiste non conventionné. Cette mesure, hors accord médico-mutualiste, était prévue pour le 1er janvier 2024, et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle a fâché toute la profession !
Globalement, nous avons, tous, trop de patients.” – Matthias Kokot
“Cette décision n’a fait l’objet d’aucune concertation avec nous, souligne Frédéric Bettens. Il faut savoir que ces Bim correspondent à 20 % de la population mais que fatalement, ils sont plus nombreux dans certains arrondissements que dans d’autres. Finalement, au terme de discussions âpres, nous avons réussi à obtenir un phasage de la mesure. Au 1er janvier 2025, ce conventionnement partiel forcé pour les Bim ne concernera que l’ensemble des actes qui ont été revalorisés avec la convention 2024-2025. Le reste suivra le 1er juillet 2026. Mais nous avons reçu la promesse que le solde des actes sera aussi revalorisé. La mesure passera mieux. Si, effectivement, le prochain gouvernement poursuit dans cette voie, je pourrais très bien, à titre personnel, me conventionner au moins partiellement.”
Le risque avec ce conventionnement partiel forcé est la ségrégation de patients. Avec des cabinets surchargés, privilégier les autres patients pourrait avoir du sens sur un plan financier. A condition de s’asseoir sur la déontologie.
“Cela pourrait se comprendre même si je ne l’envisage pas une seule seconde, conclut Matthias Kokot. Je n’ai jamais été conventionné depuis le début de ma carrière en 2007 et je pratique des prix globalement proches de la convention mais cette mesure Bim ne passe pas. Je m’explique : sur les bancs de l’unif, on m’a appris qu’une prothèse amovible nécessitait cinq étapes auxquelles on rajoute le service après-vente. L’un dans l’autre, cela prend entre six et huit rendez-vous assurés par un prix global. Chez moi, c’est 1.350 euros. Il m’arrive de devoir rattraper, autant que faire se peut, des prothèses réalisées par d’autres, plus rapidement et à moindre coût. C’est cela que je vais devoir faire ? M’asseoir sur ce que j’ai appris et la qualité de la prothèse pour rester dans les clous du conventionnement ? Car je ne pourrai pas réaliser les mêmes prothèses pour 890 euros. Je m’interroge alors : le patient aura-t-il le choix de son trajet thérapeutique ?”
Et dans les autres professions médicales ?
Les accords médico-mutualistes ne sont pas tous des échecs. Le 18 mars dernier, l’Inami a indiqué que, pour l’année 2024, 86,24% des médecins s’étaient conventionnés. Un chiffre qui grimpe encore si on ne considère que les généralistes : 92,59 %. Sur un an, ces deux taux sont restés stables.
Ces chiffres sont évidemment soumis à des différences régionales. A Bruxelles, 89,48 % des généralistes sont conventionnés, cela descend à 82,98 % pour les spécialistes. En Wallonie, ces deux chiffres deviennent, respectivement, 91,51 % et 87,16 %. Enfin, certaines spécialisations sont très sensibles au déconventionnement. Comme la chirurgie plastique (43,88 % de conventionnés seulement), l’ophtalmologie (39,16 %) et la dermatologie (30,96 %).
Les choses se compliquent pour les logopèdes et les kinés. 67,38 % des premiers ont accepté l’accord médico-mut et 66,11 % des seconds. L’accord rentre donc bien en vigueur mais comme le taux de 40 % +1 de déconventionnement n’a pas été atteint, l’Inami active, dans les deux professions, la discrimination des -25 %. Cela signifie qu’un patient qui consulte un logopède ou un kiné non conventionné, recevra un remboursement inférieur de 25 % à un remboursement normal. Autant le savoir…
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