L’économiste Stijn Baert explique pourquoi les salaires n’augmenteront pas comme prévu

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Sebastien Marien Stagiair Data News 

Nos salaires augmenteront mais nettement moins que ce qui était prévu. En effet, l’inflation en Belgique a baissé de 2,39% en septembre à 0,36% en octobre. L’économiste du travail Stijn Baert (UGent) explique pourquoi la hausse des prix de l’énergie ne change rien à cette situation.

La Commission paritaire 200 indexe les salaires des employés de 1,49 %. Les salaires des fonctionnaires, des flexi-jobbers, des prestataires et des travailleurs du secteur social augmentent eux de 2 %. Il s’agit d’indexations salariales inférieures aux projections qui avaient été faites pour 2023. Le dépassement de l’indice pivot était attendu depuis septembre, mais c’est désormais une réalité.

Actuellement, la Belgique connaît une déflation de -1,7 %, bien que l’inflation de base (celle qui ne tient pas compte de l’évolution des prix de l’énergie et des denrées alimentaires non transformées) reste élevée, à 6,55 %. Selon Statbel, le coût de la vie n’a augmenté que de 0,36 % en Belgique par rapport à l’année précédente. En septembre, les prix ont encore augmenté de 2,4 %.

La guerre et le froid

Néanmoins, une hausse des prix se profile à l’horizon. Avec l’approche de l’hiver et les importantes incertitudes géopolitiques, de nombreux analystes prévoient une hausse des prix de l’énergie dans les derniers mois de 2024. Cela ne joue-t-il pas un rôle dans l’indexation des salaires ?

“En principe, les modèles mathématiques du gouvernement fédéral tiennent compte de ces fluctuations”, confirme Stijn Baert, professeur d’économie à l’UGent. “C’est à ce moment-là que les prix de l’énergie font ce que l’on attend d’eux en hiver. Les modèles de calcul sont basés sur l’évolution des prix de l’énergie au cours des dernières années pendant la période hivernale.

Cependant, ces modèles tiennent nettement moins compte du contexte géopolitique incertain que nous connaissons actuellement. “Si une nouvelle guerre éclate soudainement dans un pays-clé pour l’approvisionnement en pétrole ou en gaz, les modèles et l’indexation des salaires n’y sont pas préparés. Il en va de même lorsque l’hiver devient de manière soudaine bien plus rude que prévu.”

Ne pas indexer les hauts salaires

Ce sont les entreprises qui vont pousser un soupir de soulagement à l’annonce d’une indexation des salaires plus faible que prévue. Néanmoins en 2024, notre pays devra à nouveau faire face à une inflation plus élevée. Bart Steukers, directeur général de l’organisation patronale Agoria, a donc fait une proposition étonnante : ne pas indexer les salaires les plus élevés, ceux qui passent de 5 500 à 6 000 euros.

“Je pense que cette bataille a été menée”, insiste M. Baert. “Je pense qu’il parle surtout pour sa propre position, parce que si nous avions voulu faire cela, il aurait fallu le faire au moment où l’inflation était très élevée. À l’époque où la crainte d’une spirale salaires-prix était très forte et où il y avait donc une certaine urgence à le faire. Aujourd’hui, l’inflation s’est normalisée. La Belgique maîtrise la situation beaucoup mieux que d’autres pays européens. Bien sûr, les 4 % prévus pour l’année prochaine sont supérieurs à l’objectif d’inflation de 2 % fixé par l’Union européenne. Cela pourrait avoir des conséquences importantes pour notre pays, mais en même temps, cette inflation attendue reste bien inférieure aux 12 % que nous avons défiés auparavant.

Soutenir les entreprises

Néanmoins, M. Baert n’est pas opposé à l’idée de M. Steukers.”Le fait de pouvoir indexer en centimes plutôt qu’en pourcentages présente de nombreux avantages. Cela permet de préserver les revenus les plus faibles, en termes de pouvoir d’achat, tout en étant bénéfique pour les entreprises dans ces conditions économiques compliquées”.

M. Baert reconnaît en outre qu’il est difficile de continuer à concilier le système (unique, rappelons-le) de l’indexation automatique des salaires en Belgique, avec les intérêts des employeurs. L’économiste du travail explique qu’en Belgique, il y a d’autres moyens de faire des efforts en faveur de nos grandes entreprises et nos PME. Il entend par là des efforts politiques, comme par exemple la déduction supplémentaire pour les investissements verts, qui est sur la table du gouvernement fédéral.

L’indexation des salaires fonctionne

“Il existe de nombreux moyens de soutenir les entreprises sans devoir toucher à l’indexation automatique des salaires, ce qui ouvrirait une boîte de Pandore. Le système est peut-être propre à la Belgique, mais il fonctionne bien pour notre pays si particulier. D’une part, notre pouvoir d’achat est resté fort en période de crise”.

“D’autre part, nous sommes un pays particulier pour deux raisons : la Belgique a l’économie la plus ouverte au monde, ce qui fait que nous nous intéressons beaucoup aux importations et aux exportations. Il est donc logique que nos salaires soient alignés sur ceux de nos voisins, qui sont nos principaux partenaires commerciaux. Deuxièmement, nous ne sommes pas le pays des grands accords, sans heurts, entre les syndicats et les travailleurs. Dans le dialogue social, il s’agit en général de petits accords. Si l’on s’attend soudain à de grands accords, cela ne peut qu’accroître le mécontentement social.

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