Le droit de grève est-il menacé? “Les juges sont de plus en plus prudents et mesurés”
Le droit de grève est-il menacé? Trois questions à Jérôme Aubertin (avocat au Cabinet STIBBE), alors que c’était une des causes de la mobilisation syndicale de ce lundi était notamment motivée par l’ordonnance du tribunal de première instance néerlandophone de Bruxelles qui, en réponse à la requête de Delhaize, a interdit les piquets de grève devant les magasins et les dépôts du groupe.
1. Le droit de grève est-il menacé en Belgique par cette décision?
Le phénomène des requêtes unilatérales n’est pas neuf. Il y a des débats sur le sujet depuis plus d’une vingtaine d’années. En 2001, lorsqu’elle était ministre de l’Emploi et du Travail, Laurette Onkelinx avait voulu supprimer ce recours. Cela n’a pas abouti. Le patronat y était évidemment opposé. Mais je crois que les syndicats y trouvaient aussi leur compte. Face à des actions sur la légalité ou l’efficacité desquelles les permanents syndicaux ont des doutes mais sont poussés par la base, le permanent peut expliquer: nous avons reçu cette ordonnance, nous sommes obligés de lever ces actions. Cela permet parfois de mettre fin à un conflit. Je crois, de plus, que si les juges peuvent avoir des sensibilités différentes, ils agissent assez bien. Ils sont prudents et mesurés. Ils le sont d’ailleurs de plus en plus. Il y a quelques années, vous pouviez obtenir assez facilement une ordonnance préventive interdisant un piquet si vous laissiez entendre qu’il pouvait y avoir un mouvement de grève et peut-être un blocage organisé. C’est devenu beaucoup plus difficile aujourd’hui. Nous n’assistons donc pas à une nouvelle judiciarisation du droit de grève.
2. La décision concernant Delhaize est-elle particulière?
Je suis étonné par deux éléments. Tout d’abord, ces requêtes sont d’une assez longue durée: elles sont renouvelées de mois en mois. En outre, d’habitude, pour emporter la décision du juge, il fallait prouver l’existence de voies de fait, de violations du droit d’autres travailleurs qui désireraient entrer dans l’entreprise, du droit de propriété de l’employeur, ou du droit d’entreprendre des fournisseurs. Ici, j’ai l’impression que les juges ont fait preuve d’une certaine souplesse et les syndicats n’y étaient pas habitués.
3. Qu’est-ce qui pourrait expliquer cette décision inhabituelle?
Cela peut s’expliquer parce que les syndicats ont eux- mêmes annoncé, dans les médias, sur les réseaux sociaux, qu’ils iraient “au finish” et que cela durerait le plus longtemps possible. Dans ce contexte, ils donnent des munitions à l’employeur qui peut expliquer au juge qu’un conflit social en temps normal ne dure pas longtemps parce qu’on essaie de dialoguer, mais que dans ce cas-ci, le conflit est amené à durer. Le juge estime donc que, compte tenu des circonstances, il n’est pas déraisonnable que l’entreprise demande d’interdire plus longuement les piquets de grève.
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