La psychologie financière aide à mieux comprendre les interactions entre l’argent et le comportement humain
L’argent a un effet particulier sur les gens. Grâce à la psychologie financière, nous comprenons de mieux en mieux la relation entre nos finances, nos sentiments et notre psychisme.
Dans la liste des tabous qui ont la vie dure, l’argent figure souvent en tête. Pour la plupart des personnes, il s’agit même d’un tabou plus fort et plus important que leur vie sexuelle, comme le montre une récente étude. Les tabous sont rarement positifs tant pour notre mental que pour notre côté émotionnel. Et afin de mieux comprendre les interactions entre l’argent, la psyché humaine et nos comportements, une branche spécifique de la psychologie est en train de voir le jour : la psychologie financière.
Il ne faut toutefois pas la confondre avec l’économie comportementale ou la finance comportementale. “L’économie comportementale est la théorie générale de la manière dont les personnes prennent des décisions dans des circonstances incertaines et la finance comportementale applique ces principes à la finance. Il s’agit donc du fonctionnement du cerveau et de la façon dont les individus prennent des décisions”, explique Meghaan Lurtz, qui enseigne la psychologie financière à l’université Columbia de New York et à l’université d’État du Kansas. “La psychologie financière va beaucoup plus loin. Elle s’intéresse également aux sentiments, aux expériences passées, au contexte familial, etc. Elle offre une vision plus holistique du comment et du pourquoi du comportement humain face à l’argent et ne se concentre pas uniquement sur le fonctionnement du cerveau et les comportements qui en découlent.”
Histoire d’argent
Le terme “psychologie” peut faire stresser certains, voire leur donner des sueurs froides, mais il n’y a pas lieu de s’en préoccuper. “Il existe différentes écoles de psychologie, et il en va de même pour la branche financière. En psychologie, il y a l’école qui observe les individus, cherche à diagnostiquer des troubles mentaux et tente d’y remédier. Mais il y a aussi une école qui se contente d’observer, d’essayer de faire de nouvelles découvertes et de les utiliser pour que les personnes qui se sentent bien se sentent encore mieux”, explique la chercheuse. “Nous devons veiller à ne pas problématiser un comportement normal. Il est tout à fait normal que les personnes gèrent mal l’argent, ou que l’argent les perturbe, mais sans qu’elles comprennent pourquoi. La psychologie financière consiste à découvrir et à comprendre ces comportements, et non à les transformer en syndromes”.
“Quelle est ma relation avec l’argent ? Comment cela affecte-t-il mes relations avec les autres ? Quelle est mon ‘histoire d’argent’ ? Cela permet de mieux comprendre ces questions. Il ne s’agit pas nécessairement de résoudre un problème en particulier. Parfois, il peut être positif d’avoir ces questions clairement à l’esprit et de rendre conscient ce qui était inconscient. Le problème est que les gens parlent très peu d’argent avec leur famille, leur partenaire ou d’autres personnes de leur entourage”, explique Meghaan Lurtz. “Par conséquent, un grand nombre de personnes n’ont pas le vocabulaire ou le bon état d’esprit pour voir leur histoire d’argent ou les croyances qui y sont liées. Lorsque mon père a compris que mon travail consistait à parler d’argent et de sentiments, sa réaction a été la suivante : “On dirait un cauchemar”.
Cela explique pourquoi notre relation avec l’argent peut être si perturbée. “Nous ne nous battons pas tant avec les chiffres qu’avec les probabilités. Les gens se débattent avec les probabilités et les incertitudes. Dire à quelqu’un qu’il devrait placer son argent dans tel produit financier et attendre vingt ans, cela ne fonctionne pas pour la plupart des individus. Il peut se passer tellement de choses au cours de ces vingt années. En outre, il existe toute une série de produits financiers… Sans oublier que le secteur financier n’est pas toujours un endroit sûr pour les épargnants et les investisseurs.
De génération en génération
En outre, de nombreux facteurs déterminent également nos convictions en matière d’argent, comme l’ambiance économique dans laquelle nous grandissons. “Le fait de grandir pendant une dépression économique ou au contraire durant une période de forte croissance économique fait une différence. Les chocs financiers sont souvent aussi des chocs sociaux, qui marquent durablement les gens “, explique Meghaan Lurtz.
Outre l’origine sociale, les événements de la vie personnelle sont certainement tout aussi déterminants. “Les événements importants qui vous arrivent, comme le fait d’être licencié ou de gagner au loto, ont une incidence sur la manière dont vous gérez votre argent”, explique la psychologue financière. “Lors d’un de mes cours, un étudiant s’est soudain exclamé qu’il comprenait pourquoi son réfrigérateur était plein à craquer. Il a grandi dans une famille où il n’y avait jamais assez à manger sur la table. Par conséquent, il veut toujours qu’il y ait plus de nourriture à la maison que lui et sa famille ne peuvent en manger. Lorsqu’il a perçu le lien existant entre les deux, je lui ai demandé si cela l’inciterait à acheter moins de nourriture, il a répondu par la négative. Il était simplement satisfait de savoir pourquoi et de comprendre. La connaissance de soi est un pouvoir”.
Les croyances en matière d’argent se transmettent également de génération en génération. “La façon dont vos parents parlaient de l’argent, à la maison quand vous étiez enfant, vous affecte, tout comme la façon dont leurs parents en parlaient les a affectés. C’est ainsi qu’apparaissent des scénarios générationnels autour de l’argent”, explique-t-elle. “J’ai grandi avec le message selon lequel, en tant que femme, vous devez pouvoir vous débrouiller seule sur le plan financier et ne jamais dépendre de quelqu’un d’autre. C’est pourquoi je suis devenue furieuse lorsque mon petit ami, devenu mon mari, a suggéré que nous ayons un compte bancaire commun. Je me suis dit : “Tu veux avoir le contrôle sur moi et sur mon argent”. Mais je n’ai jamais vraiment su pourquoi j’avais eu cette pensée, jusqu’à ce que j’apprenne par ma mère qu’elle-même, ainsi que mes grand-mère et arrière-grand-mère, avaient eu des difficultés financières parce que leurs maris buvaient ou les avaient abandonnées. Voilà l’explication, voilà pourquoi j’ai réagi si furieusement à la proposition de mon mari”, explique-t-elle.
Cette prise de conscience de cette conviction financière suffit souvent. Il n’y a aucune nécessité d’agir immédiatement. “Cela vous aide à comprendre pourquoi vous réagissez d’une certaine manière face à l’argent. Si vous le souhaitez, vous pouvez choisir de réagir différemment, mais vous n’êtes pas obligé de le faire. Mon mari et moi n’avons toujours pas de compte bancaire commun. C’est un choix conscient de ma part”.
Différent pour chacun
Au fil des ans, la psychologie financière a dégagé des traits communs entre les individus et leurs croyances en matière d’argent. Ces caractéristiques ont été regroupées en catégories, également appelées “scripts de l’argent” (voir l’encadré Les quatre scripts de l’argent).”Il existe plusieurs façons de décrire et de classer les tendances humaines en matière d’argent. Le concept des scripts monétaires est l’un d’entre eux, de plus il est soutenu par la recherche scientifique, mais c’est surtout un outil pour mieux comprendre le lien entre ce que les personnes croient et ce qu’elles font”, explique la chercheuse. “C’est la base de la psychologie : quelles sont vos croyances et comment agissez-vous en fonction d’elles ?
La psychologie financière n’a donc pas de réponses toutes faites pour tout le monde. La compréhension de son rapport à l’argent se déroule de manière différente pour chacun d’entre nous. Certains peuvent faire face à ces idées. Pour d’autres, s’y confronter est quelque chose de trop lourd et ils ont besoin d’aide pour le faire. D’autres encore s’en servent pour changer de cap, pour se débarrasser de leurs anciennes croyances financières et en développer de nouvelles, explique Meghaan Lurtz.
Il existe d’acquérir ces connaissances de plusieurs façons. De nombreux ouvrages de qualité ont été publiés sur le sujet (voir l’encadré “Liste de lecture sur la psychologie financière”). Ils peuvent déjà constituer une première invitation à approfondir la question pour soi-même. L’étape suivante peut consister à y réfléchir de manière très consciente. D’ailleurs, prenez une demi-heure pour y réfléchir tranquillement. Qu’est-ce que ma mère m’a appris sur l’argent ? Et mon père ? Qu’est-ce que leur relation m’a appris sur l’argent ? Pourquoi est-ce que je veux un certain travail ? S’arrêter pour réfléchir à ces questions peut s’avérer très utile.”
De plus en plus grand public
Dans sa recherche, Meghaan Lurtz se concentre sur le rôle des planificateurs financiers. Ils sont avant tout, et par extension, des conseillers financiers, les interlocuteurs appropriés pour entamer la conversation sur l’argent. “Jusqu’à ce que les gens parlent plus ouvertement d’argent, la recherche en psychologie financière, les planificateurs financiers et les autres conseillers en finance sont nécessaires pour les encourager à le faire. Ils peuvent offrir un espace sûr où les gens peuvent parler d’argent”, explique-t-elle. Mais le secteur financier a lui aussi un long chemin à parcourir à cet égard. “Il doit apprendre à parler d’argent tout autant.
Les connaissances en psychologie financière deviennent de plus en plus courantes dans le secteur financier, et certainement parmi les planificateurs, note la chercheuse. “Les consommateurs ont plus que jamais besoin d’une relation professionnelle avec quelqu’un qui les aide à gérer leurs finances”, dit-elle. “Un tel conseiller ne peut pas vous promettre ce que feront les marchés financiers, mais il peut vous aider dans vos projets et rester attentif à vos objectifs, quelle que soit l’évolution des marchés. Il ne doit pas non plus être le premier à donner des conseils. Cela peut paraître étrange, puisqu’il s’agit de conseillers financiers, mais le fait d’écouter sans essayer de résoudre quoi que ce soit est souvent très utile.”
Les rendements ne sont certainement pas en tête de la liste des priorités dans cette relation. “Les études montrent que la communication, ou son absence est la principale raison pour laquelle une personne quitte son conseiller financier. Si l’on demande aux gens de choisir entre un conseiller avec lequel ils visent le S&P 500 année après année ou quelqu’un qui les aidera à atteindre leurs objectifs personnels et émotionnels, tout le monde choisit le second. Ce n’est jamais qu’une question d’argent”.
Le nec plus ultra de la recherche en psychologie financière
Les théories de la psychologie financière sont de plus en plus étayées par des résultats concrets et des recherches scientifiques. Mais la recherche n’est pas toujours facile. L’argent est confidentiel et peu de personnes ou de conseillers financiers sont disposés à donner un aperçu aux psychologues.
Mais lorsqu’on lui demande quelle est la recherche qui lui semble la meilleure en matière de psychologie financière si l’argent et les ressources ne comptaient pas, Meghaan Lurtz n’hésite pas une seconde. “John Gottman est l’un des experts en relations amoureuses les plus célèbres des États-Unis. En quelques minutes, il peut dire avec une grande certitude si les couples resteront ensemble ou non. S’il est si bon, c’est grâce à son ‘laboratoire de l’amour’. Il s’agit d’un appartement truffé de caméras où des couples ont volontairement séjourné pendant un ou plusieurs jours pendant des décennies. “Il dispose ainsi d’une masse de données, quantitatives et qualitatives, sur le comportement des couples. Je voudrais pouvoir observer la même chose, mais dans un bureau de conseillers financiers, où plusieurs d’entre eux parlent de questions d’argent avec d’innombrables clients, jour après jour”.
Les quatre scénarios de l’argent
Brad Klontz, chercheur de renom en psychologie financière, est parvenu à quatre scripts de l’argent :
1. Eviter l’argent : les gens associent l’argent à des sentiments négatifs, tels que la peur ou l’anxiété. Ils pensent que l’argent est mauvais et évitent donc de s’occuper des questions financières, s’attirant souvent des ennuis.
2. Le culte de l’argent : les adeptes de ce scénario pensent que l’argent est la solution à tout. Ils sont matérialistes et veulent toujours plus.
3. L’argent est un statut : ces personnes font étalage de leur argent. Elles achètent des objets coûteux et tape-à-l’œil parce qu’elles associent leur valeur personnelle à leur réussite financière.
4. La prudence face à l’argent : elle concerne les maniaques du contrôle qui maîtrisent leur situation financière. Ils dépensent peu et travaillent dur de peur de perdre leur sécurité financière.
La liste de lecture de la psychologie financière
– Money Mammoth par Brad Klontz et Edward Horwitz
– Mind over Money par Brad Klontz et Ted Klontz
– La psychologie de l’argent par Morgan Housel
– La géométrie de la richesse par Brian Portnoy
– How I Invest my Money (Comment j’investis mon argent) par Joshua Brown et Ted Klontz
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici