La Belgique championne de la lutte contre la pauvreté… et des ménages sans emploi

Caroline Lallemand

En cinq ans, 350.000 Belges sont sortis de la pauvreté, une performance inégalée en Europe. Mais derrière ce succès se cache un paradoxe embarrassant: notre pays détient le record européen des ménages sans emploi.

Au cours des cinq dernières années, 350.000 personnes sont sorties de la pauvreté en Belgique. Il s’agit là d’un exploit car nulle part ailleurs en Europe la pauvreté monétaire n’a connu une aussi forte baisse, rapportent nos confrères du Knack.

En 2019, 15% de la population belge vivait sous le seuil de pauvreté (lire aussi l’encadré), selon le rapport du SPF Sécurité sociale. Aujourd’hui, 11,5 % ont un revenu trop faible pour vivre décemment. C’est le deuxième chiffre le plus bas d’Europe. Seule la République tchèque fait mieux, avec 9,5%, grâce à une combinaison de faible chômage, de taux d’emploi élevé et d’un solide filet de sécurité sociale. Le résultat de la Belgique est assez remarquable comparé aux pays voisins: 12% aux Pays-Bas, 15,5% en Allemagne et 16% en France, la moyenne de l’UE.

Dépenser moins, mais mieux

«Si le nombre de personnes en situation de pauvreté financière est si faible dans notre pays, c’est parce que notre sécurité sociale est très efficace», affirment Natascha Van Mechelen et Jeroen Horemans, experts en protection sociale au SPF Sécurité sociale au Knack. «Par rapport à notre PIB, nos dépenses sociales n’ont pas beaucoup augmenté ces dernières années, sauf très brièvement pendant la crise du coronavirus, explique Natascha Van Mechelen. Nos dépenses sociales sont restées pratiquement inchangées pendant toute cette période, mais les prestations sociales ont été davantage ciblées sur les groupes vulnérables, ce qui a entraîné une baisse de la pauvreté.»

L’argent a été versé aux groupes qui en avaient le plus besoin.

Jeroen Horemans confirme : «La politique menée a fait la différence. En plus de l’indexation, les allocations minimales ont par exemple été augmentées: les allocations d’intégration, les allocations de chômage et de maladie et les pensions. Ce n’est pas tant que l’on a dépensé plus d’argent par rapport à l’augmentation du PIB et donc à la prospérité générale, mais plutôt que l’argent a été versé aux groupes qui en avaient le plus besoin.»

Pauvreté monétaire

Les chiffres relatifs à la pauvreté mesurent combien de personnes vivent dans un ménage dont le revenu disponible est inférieur au seuil de pauvreté, un revenu trop faible pour subvenir décemment à leurs besoins. C’est ce qu’on appelle la pauvreté monétaire. En Belgique, une personne seule se trouve sous le seuil de pauvreté si son revenu net mensuel est inférieur à 1.522 euros. Pour un couple avec deux enfants, le seuil de pauvreté est fixé à 3.197 euros.

Les résultats sont probants pour chaque catégorie:

Les travailleurs pauvres ne représentent que 4% des actifs, soit moitié moins que la moyenne européenne. Même avec un temps partiel et des enfants à charge, le système belge protège mieux qu’ailleurs.

Les pensionnés voient leur taux de pauvreté passer de 13% à 11% grâce à l’arrivée à la retraite de couples ayant tous deux travaillé. Cette tendance devrait s’accentuer.

Les indépendants affichent un taux de pauvreté de 14%, mais il s’agit d’un “paradoxe statistique”, selon Horemans. “Ils se versent un salaire très bas tandis qu’une partie de leurs revenus reste dans la société. Leur niveau de vie réel n’est pas beaucoup plus bas que celui des salariés.”

Les inactifs (personnes au foyer, handicapés, malades de longue durée) connaissent la plus forte amélioration: leur risque de pauvreté chute de 30% à 22%, alors que les pays voisins stagnent à 30%.

Les chômeurs de longue durée restent les plus vulnérables (43% de pauvreté), mais la Belgique fait mieux que les Pays-Bas (50%) et l’Allemagne (60%).

Les groupes fragiles progressent aussi: les familles monoparentales passent de 35% à 25% de risque de pauvreté (contre 39% en France), les ressortissants de pays tiers de 38% à 28%, les personnes peu qualifiées affichent 23% (contre 30% en France).

11% de ménages sans emploi

Revers de la médaille : la Belgique détient le record européen des “ménages sans emploi” avec 11% des familles, soit des foyers où les adultes de 18 à 64 ans ont travaillé moins de 20% de leur temps sur une année. “C’est un problème structurel persistant depuis 20 ans”, déplore Jeroen Horemans. Ce phénomène touche particulièrement les parents isolés (difficultés de garde d’enfants), les seniors (peu prisés par les employeurs) et les personnes handicapées ou malades.

Paradoxe révélateur: en 2019, 60% de ces familles sans emploi vivaient dans la pauvreté. Aujourd’hui, elles sont 45%, grâce à l’augmentation des allocations. Le système compense efficacement l’absence d’emploi, mais ne favorise pas le retour au travail.

Les disparités régionales sont marquées. La Flandre affiche 8% de pauvreté et 7% de ménages sans emploi. La Wallonie 13% et 16%. Bruxelles concentre tous les défis: 26% de pauvreté et 20% de ménages sans emploi.

La réforme du chômage, un pari risqué

La limitation dans le temps des allocations de chômage arrive dans ce contexte ambigu. “Tout dépend où ces personnes vont se retrouver dans notre système”, prévient Horemans. Si la mesure pousse vers des emplois à temps plein, elle peut réduire la pauvreté. Mais un basculement vers l’aide sociale, moins généreuse, aurait l’effet inverse.

Pour progresser, les experts préconisent une “double stratégie”: renforcer la protection des plus vulnérables tout en favorisant l’emploi dans les familles inactives. “Un emploi ne protège contre la pauvreté que s’il s’agit d’un emploi régulier avec suffisamment d’heures et un salaire suffisamment élevé”, rappelle Van Mechelen.

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