La forte réduction de la marge de négociation salariale depuis la révision de la loi explique la hausse des mouvements de grève, explique les chercheurs. La protestation contre le gouvernement De Wever pourrait s’inscrire dans un nouveau record.
Kurt Vandaele, chercheur à l’Institut syndical européen, est une référence pour le calcul des jours de grève en Belgique. En mars 2024, il concluait une analyse historique par ces termes : “Les mouvements de grève en Belgique se caractérisent par leur volatilité. Mais nous n’observons pas pour l’instant une tendance structurelle à la baisse, comme dans d’autres pays européens. Les pics d’activité de grève sont principalement liés à des grèves nationales ou générales. Ces dernières faisant toujours partie du répertoire d’action des syndicats belges.”
“Les comparaisons internationales montrent qu’il y a en Belgique un nombre de jours de grève comparativement plus important, acquiesce Jean Faniel, directeur général du Centre de recherche et d’information socio-politiques (Crisp). C’est surtout vrai les années où les mouvements interprofessionnels augmentent. Ce fut le cas en 2012 avec le gouvernement Di Rupo, 2014 avec le gouvernement Michel et, incontestablement, ce sera encore le cas cette année après l’avènement du gouvernement De Wever.”
Ce sont surtout des grèves “défensives” face à des remises en cause d’acquis sociaux en matière d’emploi, de pensions, de services publics, etc.
Ardeur francophone et longue durée
Rien de comparable aujourd’hui avec la dimension de ces luttes sociales historiques du siècle passé. La fronde est toutefois repartie à la hausse. “Nous relevons relativement plus de jours de grève dans la deuxième décennie du 21e siècle par rapport aux années du début du nouveau millénaire, constate Kurt Vandaele. Les grèves dans le secteur public, en réponse aux mesures d’austérité, après la crise financière et la forte réduction de la marge de négociation des partenaires sociaux, après le durcissement de la loi sur la norme salariale en 2017, en constituent des explications importantes.”
La tendance est particulièrement sensible en Belgique francophone, ajoute le chercheur de l’Institut syndical européen, “avec un nombre nettement plus élevé de jours de grève dans les provinces de Hainaut et de Liège”. Forcément : ce sont les anciens bassins industriels en voie de reconversion, dans la souffrance.
“Je ne dirais toutefois pas que la Belgique est coupée en deux, analyse Jean Faniel. Il y a, certes, une expression de la colère qui n’est pas toujours la même. Mais tous les Flamands n’acceptent pas les réformes menées et tous les francophones ne les conspuent pas.” D’ailleurs, dit-il, lors de la grève générale du 29 avril, le port d’Anvers et l’aéroport de Zaventem étaient fortement affectés. Tout un symbole : ce sont deux poumons de l’économie belge, situés en Flandre.
Un mouvement social inscrit dans la durée
Par ailleurs, le directeur général du Crisp constate que le mouvement social de cette année semble s’inscrire dans la durée. “Il est difficile de prédire où cela nous mènera. Mais compte tenu de l’impact concret de mesures prises par l’Arizona, il n’est pas exclu qu’il reprenne en septembre. Le nombre de mécontentements exprimés, jusqu’aux magistrats, témoigne de l’ampleur de la contestation. Les projets des gouvernements affectent tous azimuts, que ce soit dans le privé et le public.”
Selon Jean Faniel, si la comparaison avec la situation grecque n’est pas toujours judicieuse en ce qui concerne l’épure budgétaire, elle pourrait l’être au regard de la profondeur des réformes menées et de leur amplitude. En conséquence de quoi, la Belgique, à l’entendre, risque de rester une terre de grèves tout au long de 2025.
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