Premium : des instruments d’écriture raffinés et luxueux
Une société sans papier ? Toutes les données dans le cloud ? Réputé pour ses crayons (de couleurs), le label allemand Staedtler joue la contre-offensive et lance une ligne de stylos de première qualité.
Qui, enfant, ne les a pas tenus entre les doigts, ces fameux crayons (de couleurs) Staedtler ? Ils sont indissociables de ces années de jeunesse, au même titre que la visite de Saint Nicolas et les histoires de Tintin ou Winnie l’Ourson avant le coucher. Peut-être même certains se souviennent-ils aussi d’avoir utilisé un stylo Staedtler au bureau. Mais, progressivement, la marque allemande a disparu au fur et à mesure que s’écoulait cette jeunesse. En 2013, le producteur d’instruments d’écriture de Nuremberg a décidé d’inverser la tendance. Tom Smet, directeur général de Staedtler Benelux : ” Nous voulons devenir le compagnon de toute une vie. Il est vrai que, jusqu’il y a peu, nous perdions la plupart de nos clients dès leur 25e anniversaire. La cible adulte nous échappait. “
Staedtler a dès lors émis l’idée d’exploiter sa notoriété pour lancer des instruments d’écriture raffinés et luxueux sous un nouveau label : Premium. Lorsque le fabricant allemand en a fait part à ses partenaires – les détaillants spécialisés -, l’accueil s’est avéré extrêmement positif. Car, selon eux, un renouvellement était nécessaire dans ce segment du luxe, le public en ayant assez de voir en permanence les mêmes matériaux et les mêmes concepts. En proposant des matériaux inhabituels – argile Fimo, cuir… – et en jouant ainsi l’atout de la différentiation, Staedtler pouvait y trouver sa place.
Beaucoup reviennent aux disques vinyles, aux appareils photo analogiques, etc. Mais ils exigent de la qualité.
En novembre 2012, lors d’un modeste événement dans le flagship store de Staedtler à Nuremberg (le berceau de la firme), le public allemand a eu l’occasion de découvrir les diverses collections de stylos, stylos-billes, rollers et porte-mines Premium. Il s’agissait là d’un test préalable au lancement qui aurait lieu au salon international Paperworld, deux mois plus tard. Claudia Hecker, responsable commerciale du démarrage de Premium : ” Les premières réactions ont été éloquentes. Les gens se sont montrés surpris, ne s’attendant pas à ce que Staedtler franchisse le pas vers des instruments d’écriture de luxe. “
Tom Smet : ” Une réaction qui n’a rien d’anormal. Il n’est pas facile de lancer une nouvelle marque sur un marché pratiquement saturé. Surtout lorsqu’on est connu pour des produits de bas de gamme de type crayons de couleurs. En outre, dans un tel marché de niche, quelques années ne suffisent pas à asseoir une marque. Notre politique marketing doit être très ciblée. Nous ne plaçons pas de publicités dans la presse populaire, lui préférant des magazines automobiles, par exemple. Nous pensons aussi à nous positionner dans les showcases de restaurants de haut de gamme. Nous devons nous montrer créatifs. “
Staedtler se mesure désormais à des marques établies telles que Parker et Montblanc, qui peuvent compter sur leurs propres flagship stores dans de nombreuses villes du monde. Un privilège dont le label devra provisoirement se passer (il n’existe qu’une boutique propre – à Nuremberg – mais un certain nombre sont en préparation). La conclusion de partenariats solides et encadrants avec des commerces d’instruments d’écriture de luxe permettra sans doute de compenser ce point faible. Tom Smet : ” Ils sont les principaux maillons de notre chaîne. Ce sont eux qui doivent encourager le consommateur à regarder au-delà des marques établies. Pour nous lier à ces partenaires, nous leur fournissons un matériel promotionnel de qualité – boîtes cadeau, papier cadeau, mobilier et présentoirs sur mesure destinés à mettre les produits en évidence. “
En Belgique, ces dernières années, nombre de magasins d’instruments d’écriture ont disparu. En reste-t-il encore suffisamment ? Tom Smet : ” L’époque où chaque ville en comptait une dizaine est, en effet, révolue. Seuls entre un et trois magasins ont pu survivre – les meilleurs. Nous travaillons étroitement avec la quinzaine de distributeurs que compte le pays. Notre accord implique que le magasin offre la gamme complète et pas seulement un certain nombre d’articles isolés. “
Pour Staedtler, les points de vente servent aussi de caisse de résonance pour la fixation des prix et le choix des matériaux et des coloris. La gamme Staedtler Premium comprend aujourd’hui deux collections – Initium (de 75 à 250 euros) et J. S. Staedtler (à partir de 750 euros). Les partenaires ont attiré l’attention sur le fait qu’il existe un hiatus entre l’offre traditionnelle, bon marché, de Staedtler (les crayons et stylos de moins de 10 euros) et la ligne Premium (à partir de 75 euros). A leur initiative, Staedtler mettra une ligne intermédiaire sur les rails dès septembre.
Les annales de Nuremberg mentionnent dès 1662 un fabricant de crayons nommé Friedrich Staedtler. Il fut le pionnier du ‘bleistift’, un crayon contenant du plomb.
Le design des stylos Premium respecte le style architectural du label : strict mais élégant, à la fois innovant et relié à la tradition. Par essence, Staedtler est une entreprise de traitement du bois, un atout qu’elle entend exploiter en choisissant, outre les résines destinées à l’entrée de gamme, des matériaux naturels tels que le bois. Ainsi le stylo Lignum se décline en deux versions : l’une en prunier (brun foncé) du Sud de l’Allemagne, l’autre en bois (blanc) d’érable. ” Nous conservons, bien sûr, la texture naturelle du bois, ce qui fait de chaque stylo un objet unique. Le bois n’étant pas traité, il évoluera avec le temps, devenant plus foncé et se patinant. ”
Dans la collection J. S. Staedtler – la plus coûteuse – figure le Princeps, un stylo en bois de noyer noir de Hongrie enchâssé dans une sorte de cage en métal. Un motif en embrasure est ménagé dans l’agrafe du capuchon, ce qui donne un certain style lorsque le stylo est placé dans la poche-veston. Le design a été conçu en Autriche mais le produit fini est assemblé en Allemagne. Tom Smet : ” Dans un petit atelier de la Forêt Noire, plus précisément. On peut établir une comparaison avec l’horlogerie en Suisse : les éléments peuvent venir de n’importe où, mais l’assemblage est confié exclusivement à un petit atelier maison. “
Gainé de cuir de boeuf posé manuellement, le Corium Simplex dégage une impression de chaleur. Le cuir est imprimé à l’aide d’une encre à base d’eau, puis recouvert d’une couche de laque de protection empruntée à l’industrie automobile (recouvrant le cuir de volant). Dans certains pays, il est possible de faire ajouter sur le cuir une signature ou une photo (un service accessible chez le revendeur, bientôt disponible aussi en Belgique). Les techniciens Staedtler examinent avec certaines marques automobiles – dont BMW – la possibilité de gainer aussi le stylo de cuir utilisé pour les sièges. Tom Smet : ” L’idée paraît intéressante. Pourquoi ne pas personnaliser son stylo au même titre que sa voiture ? “
Le Pen of the Season est, lui, très prisé par les collectionneurs (asiatiques). Ses concepteurs ont imaginé pour chaque saison une composition appropriée en argile Fimo – pâte à modeler plastique autrefois très en vogue auprès des enfants. Il s’agit d’un matériau très résistant, extrêmement malléable – on peut donc lui imposer toutes les formes souhaitées – et qui, en passant au four, devient aussi dur que la pierre. Les dessins (artisanaux) ornant ces stylos sont obtenus selon le même procédé.
HARO SUR L’EXCÈS NUMÉRIQUE
Etrange… alors que le monde entier tente de limiter l’ utilisation de papier et que les entreprises stockent leurs données dans le cloud, Staedtler investit massivement dans le matériel d’écriture. Tom Smet : ” En réalité, nous n’avons jamais vendu autant de crayons qu’actuellement. On assiste à un retour de beaucoup de choses : les disques vinyles, les appareils photos analogiques… Mais ceux qui renouent avec ces traditions exigent de la qualité. Et celui qui acquiert aujourd’hui un stylo, souhaite que celui-ci l’accompagne tout au long de sa vie “.
Claudia Hecker : ” La tendance actuelle des albums à colorier pour adultes est, elle aussi, très parlante. Selon moi, il s’agit d’une réaction à l’invasion excessive des médias numériques. Les gens souhaitent revenir à un certain calme. Dans ce contexte, dessiner ou écrire constitue une activité idéale. Dès lors, je ne pense pas que le crayon ou le stylo disparaîtront un jour. Nous croyons dans la force de la créativité. Que fait-on lorsqu’une idée surgit ? On la couche sur papier. “
Cela étant, personne chez Staedtler ne songe à nier la digitalisation. Ce que démontre The Pencil. Réalisé en WOPEX, un matériau novateur dont le bois est issu de forêts allemandes gérées durablement, ce crayon peut aussi faire office de stylet sur n’importe quel écran tactile. Son capuchon est multifonctionnel : une gomme et un taille-crayon y sont intégrés et il permet d’allonger le crayon. La partie stylet est en bois et en graphite – une excellente combinaison conductible.
Staedtler, qui a développé le WOPEX (pour Wood Pencil Extrusion) et déposé une licence, l’utilise également aujourd’hui pour la fabrication d’une partie de ses crayons (de couleurs). Tom Smet : ” Le WOPEX permet d’adopter une nouvelle manière de fabriquer des crayons. Traditionnellement, ceux-ci sont confectionnés à l’aide de planches de bois cannelées dans lesquelles la mine est collée et qui doivent être laquées cinq, voire sept fois. Cette façon de faire a été remplacée par un procédé impliquant une extrusion. Des granulats de toutes les composants – bois, liant, graphite, argile et couche extérieure – sont réunis dans une machine où ils sont soumis à une pression extrêmement élevée. De cette machine sort un très long crayon découpé ensuite en portions de 17 centimètres. Cette technique d’extrusion existe depuis longtemps, mais nous sommes les premiers à la mettre en oeuvre pour le bois. Ce nouveau mode de production est nettement plus écologique : auparavant, nous n’utilisions que 20% d’un arbre, contre 80% aujourd’hui dans les granulats. Seules les feuilles ne peuvent pas être intégrées dans le processus. “
Le matériau étant comprimé sous haute pression, le crayon obtenu est solide, difficilement cassable et plus facile à tailler – la mine ne risque plus de se briser si l’on taille trop loin. Tom Smet fait une courte démonstration, cassant en deux d’abord un crayon à l’ancienne – le bois vole en éclats et la mine grince – puis – et en devant y mettre plus de force – un WOPEX. Constat : la cassure est nette, chaque moitié reste entière, et l’intérieur, intact.
Le matériau étant comprimé sous haute pression, le crayon obtenu est solide, difficilement cassable et plus facile à tailler.
La plupart des articles Staedtler sont produits en Allemagne. Mais, après le scandale de Volkswagen, le Made in Germany est-il encore un label de qualité fiable ? Claudia Hecker : ” En tant que fabricant allemand, nous n’avons pas constaté le moindre changement de perception. Le public continue de demander la minutie allemande. “
Tom Smet : ” Décentraliser notre production vers l’Asie serait une mauvaise idée. Nos concurrents européens souffrent de l’avoir fait. Ils se rabattent vers l’Extrême-Orient pour y établir des usines. Nous avons fait inverse. Nous ne faisons plus intervenir nos unités de production en Malaisie, en Indonésie et en Thaïlande que pour alimenter les marchés locaux. Au moins 85% des articles Staedtler destinés à l’Europe sont produits en Allemagne. Cela représente un avantage considérable dans la mesure où cela permet d’anticiper la demande avec plus de souplesse. “
Claudia Hecker : ” La sécurité joue également un rôle capital. Nous avons la faveur du consommateur lorsqu’il est question de matériel destiné aux enfants. De nombreux parents préfèrent ne pas donner de produits chinois à leurs enfants, car ils ignorent ce qu’ils contiennent. En Allemagne, le contrôle de qualité est très strict. Tout est testé : si un enfant avale par accident une petite pièce, il ne court aucun risque en termes de santé. “
Staedtler demeure donc fidèle à Nuremberg, où la société a vu le jour. Tom Smet : ” Son sol contient le meilleur graphite qui soit. C’est la raison pour laquelle la plupart des fabricants allemands de crayons sont établis dans la région – Faber Castell, Stabilo, Lyra… “
La firme Staedtler y a été créée en 1835 par Johann Sebastian Staedtler. Mais dans les annales de la ville, on trouve trace dès 1662 d’un fabricant de crayons nommé Friedrich Staedtler. Tom Smet : ” C’était un artisan, un pionnier de ce que l’on appelait le bleistift, un crayon contenant du vrai plomb. Il ne s’agissait, en fait, que de deux pièces de bois entre lesquelles était coincé un mélange de plomb et d’argile. Friedrich Staedtler y ajoutait une latte de bois puis le tout était ficelé et pourvu d’un cachet portant son patronyme. C’était un peu comparable au crayon de charpentier que l’on trouve actuellement dans les rayons de bricolage. Aujourd’hui, nous offrons une réplique de ce crayon historique en guise de cadeau d’affaires dans les foires et salons. ”
TEXTE PETER VAN DYCK
PORTRAIT THOMAS DE BOEVER
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici