Pourquoi l’Italie résiste au salaire minimum

Giorgia Meloni, la Première ministre italienne issue de l’extrême droite, est courtisée par une Ursula von der Leyen avide d’un deuxième mandat à la tête de la Commission européenne. (photo: Giorgia Meloni) © getty

“On ne vit pas, on survit”: Aurelio Bocchi, 64 ans, vigile à Padoue dans le nord de l’Italie, gagne 3,96 euros net de l’heure. C’est le tarif de sa convention collective, dans l’un des derniers bastions en Europe à résister au salaire minimum.

Une fois payé le loyer mensuel de 610 euros, il lui reste 260 euros pour vivre. “Je ne fais pas de folies, je ne bois pas, je ne fume pas et j’économise sur tout”, raconte-t-il. Son rêve? Acheter une moto pour sillonner le monde, mais c’est hors de prix. Pour mettre fin à ces “salaires de misère”, l’opposition de centre gauche milite pour la création d’un revenu minimum, fixé à 9 euros brut de l’heure, mettant dans l’embarras la coalition de droite et d’extrême droite dirigée par Giorgia Meloni.

Unie (ou presque) pour l’occasion, l’opposition a soumis une proposition de loi visant à instaurer ce seuil légal, qui a donné lieu à de vives passes d’armes au Parlement entre partisans d’un “salaire digne” et représentants de la majorité criant à “l’assistanat”.

Farouchement opposée à un salaire minimum qui n’est pour elle qu'”un slogan qui risque de créer des problèmes”, Mme Meloni compte temporiser. Jeudi, le gouvernement a coupé court au débat en le renvoyant par un vote au Parlement à début octobre. Selon les sondages, 70% des Italiens, dont les électeurs du gouvernement Meloni, plébiscitent pourtant l’instauration d’un salaire minimum.

L’Italie figure parmi les cinq derniers pays de l’Union Européenne avec la Finlande, la Suède, le Danemark et l’Autriche où les revenus sont déterminés par la seule négociation collective entre patronat et syndicats. Une directive de l’UE en vigueur depuis novembre 2022 fixe des règles encadrant le salaire minimum, sans toutefois obliger les Etats réfractaires à adopter ce système.

Mesure “soviétique”

“Nous n’avons pas besoin d’un revenu minimum en Italie, nous ne sommes pas en Union soviétique où tout le monde avait le même salaire”, a tonné Antonio Tajani, chef du parti conservateur Forza Italia, membre de la coalition au pouvoir. A l’instar de Giorgia Meloni, il propose d’étendre les conventions collectives aux quelque 20% des salariés non couverts par les près de 1.000 accords en vigueur. Or, de nombreuses conventions restent nettement en dessous des 9 euros brut, comme celles des services de nettoyage (6,52 euros), de la restauration (7,28) ou encore du tourisme (7,48).

L’Italie est selon l’OCDE le seul pays européen où les salaires réels (hors inflation) ont diminué entre 1990 et 2020 (-2,9%). Le salaire moyen annuel brut est de 28.781 euros, inférieur à la moyenne de l’UE.

Pourquoi cette résistance à un salaire minimum?

“Les PME-PMI sont omniprésentes en Italie, pour elles la flexibilité du travail et des salaires est très importante”, explique à l’AFP David Benassi, professeur de sociologie à l’Université Bicocca de Milan. “Les syndicats y sont beaucoup moins représentés que dans les grandes entreprises industrielles où les conventions garantissent un salaire adéquat”, a-t-il ajouté.

“Salaires de misère”

“Il y a une opposition de fond de ce gouvernement au salaire minimum, car sa base électorale sont ces micro-entreprises qui font des profits grâce à la réduction des coûts du travail”, surenchérit Simone Fana, auteur du livre “Halte aux salaires de misère!”.

Parmi cette clientèle, des petits commerçants, restaurateurs et agriculteurs sont opposés au salaire minimum et au “revenu de citoyenneté” destiné aux pauvres, qui les empêchent selon eux de recruter du personnel. Aurelio Bocchi fait partie des plus de trois millions de salariés en Italie à gagner moins de 9 euros de l’heure. Il a intenté un procès à l’encontre de son employeur, Civis, déjà condamné par le tribunal du travail de Milan pour des salaires jugés contraires à la Constitution.

Une existence libre et digne

La Constitution italienne prévoit en effet que le salarié a droit à une rémunération “suffisante pour lui assurer, ainsi qu’à sa famille, une existence libre et digne”. En juillet, la paie de M. Bocchi a été augmentée de tout juste 28 centimes de l’heure. Mais il refuse de percevoir le “revenu de citoyenneté” pour ne pas “vivre sur le dos de la communauté”. Giorgia Meloni a d’ailleurs raboté cette prestation sociale, et 159.000 familles ont d’ores et déjà été averties par un simple SMS qu’elles en ont été exclues.

Quant aux syndicats, ils n’ont guère fait campagne pour un salaire minimum, redoutant que l’Etat n’empiète sur leurs prérogatives. Le premier syndicat, proche de la gauche, la CGIL, a fini par s’y convertir. A l’inverse, la CISL, l’autre grand syndicat, y est opposée, redoutant “la sortie de milliers d’entreprises des conventions collectives” et “une augmentation exponentielle du travail au noir”.

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