Zelensky, nouvel exemple du leader charismatique?
Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a rendez-vous avec l’histoire. En peu de temps, il est devenu le visage de l’outsider, pris à parti dans un combat injuste.
Chaque bataille évitée est une victoire. Mais ce message pacifiste ne passe plus auprès du président ukrainien Volodymyr Zelensky. Lorsqu’il a pris ses fonctions, il avait opté pour des négociations afin de résoudre le conflit dans l’est de l’Ukraine. Ces dernières semaines, la rhétorique de M. Zelensky s’est muée en un discours patriotique qui ne déparerait pas dans de nombreux films de guerre. Avec le peuple à ses côtés, il veut défendre sa patrie jusqu’à la dernière goutte de son sang, voilà qui souligne son intransigeance.
Cette rhétorique guerrière s’explique en grande partie par la tentative russe de renverser le régime de Kiev par la force des armes. Mais l’opération militaire de Poutine ne se déroule pas aussi bien et aussi vite que Moscou l’avait espéré, ce qui a le don de faire monter en flèche les tensions entre l’Occident et la Russie.
L’ancien acteur Zelensky joue un rôle de premier plan dans ce scénario et s’en sort étonnamment bien sur la grande scène de la politique mondiale. Zelensky est désormais une “marque” reconnue mondialement. “Il est un exemple de leader charismatique”, déclare le spécialiste des marques Fons Van Dyck. “En tant que super-influenceur, qui utilise aussi bien les médias classiques que les médias sociaux, il représente un nouveau type de leader. Son style est très éloigné du modèle de leadership autoritaire que la Russie et la Chine connaissent bien.”
Se connecter de manière authentique
Si Volodymyr Zelensky est avocat de formation, c’est surtout en tant qu’acteur qu’il s’est fait connaître avant de devenir président. Un président élu sans véritable programme politique. Zelensky a justement séduit de nombreux Ukrainiens parce qu’il n’appartenait pas à “l’establishment corrompu”. Il est d’ailleurs aujourd’hui tenu en haute estime par les Ukrainiens. “Cela est lié aux circonstances dramatiques”, déclare Ria Laenen, professeur de politique russe et eurasienne à la KU Leuven. “Les différences d’opinions passent au second plan sous la menace existentielle de la guerre. Pourtant, je remarque que de nombreux Ukrainiens qui n’avaient pas voté pour Zelensky pensent aujourd’hui qu’il fait un travail plus qu’honorable en tant que président : il a réussi à éliminer temporairement les divisions politiques qui existaient.”
Selon Ria Laenen, Zelenski a su trouver le ton juste. “Il dit et fait les choses dont les Ukrainiens ont besoin maintenant”, estime-t-elle. Pour Jan Callebaut, spécialiste du marketing politique, ce ton repose avant tout sur la crédibilité. “Zelensky communique de manière authentique”, dit-il. “Il s’assure qu’il y a une unité dans la perception de son discours. Il ne parle pas des erreurs des sous-groupes, mais répond à partir d’une identification avec le peuple. C’est ce qui rend son message si fort.”
La notion de patriotisme en Ukraine est remarquablement forte. Cela tient au fait que le pays existe, en tant qu’État indépendant, depuis à peine trois décennies, mais probablement aussi au personnage de Zelensky. Il est le premier président a remporté les élections en gagnant les votes de tout le pays. En général, il y avait un clivage politique entre les Ukrainiens russophones et les autres. Les Ukrainiens russophones soutiennent également Zelensky. Le fait qu’il ait été élevé en russe, qu’il ait des ancêtres juifs et qu’il symbolise la nouvelle Ukraine est un atout incontestable. “C’est une conséquence concrète de la révolution de Maidan”, dit Laenen. “Ensuite, beaucoup d’Ukrainiens ont fait le choix, quelle que soit leur langue, d’un avenir plus orienté vers l’Europe.” Zelensky en est l’incarnation, estime Callebaut. “Il est l’enfant de l’histoire passée, mais symbolise l’identité de ceux qui sont en route vers quelque chose de nouveau”.
De l’émotion
Le style de communication de Zelensky semble également toucher une corde sensible au niveau international. “Zelensky tient un discours clair, simple et parle toujours avec émotion. Vous ne le surprendrez pas facilement à raisonner en termes de stratégie ou de tactique”, déclare M. Callebaut. Mais la soi-disant finalité supérieure qui court comme un fil conducteur dans son discours est également importante. Selon Van Dyck : “Il faut avoir un but pour mobiliser de larges groupes de personnes. Zelensky fait clairement remarquer aux autres pays qu’une attaque contre un État souverain démocratique est aussi leur problème.”
De facto, il a également réussi à susciter une solidarité mondiale avec cette tactique. La manière dont il s’y prend est comme tirée d’un manuel, estime Van Dyck. “Si vous pouvez associer une menace claire à l’image d’un ennemi précis, il est plus facile de galvaniser les personnes pour qu’elles agissent”, explique-t-il. “De plus, Zelenski a présenté un ensemble de demandes très concrètes dès le premier jour. Elles allaient des sanctions aux livraisons d’armes. Et il a réussi. C’est une incitation supplémentaire pour la population locale à le suivre. Ses derniers plaidoyers en faveur de l’adhésion à l’UE et d’une zone d’exclusion aérienne sont plus difficiles.
Les prochains jours seront cruciaux pour Zelensky, selon Callebaut. “Jusqu’à présent, Zelensky a dû faire peu de compromis”, dit-il. “Pour susciter la sympathie, il a dû se présenter clairement comme l’outsider qui se fait dominer. Maintenant que la guerre s’éternise, il doit s’occuper d’autres aspects, comme trouver une solution pour les habitants des villes assiégées. La façon dont il répondra à cela déterminera sa crédibilité.”
Un coup de poker
En tout cas, la position indisciplinée de Zelensky est un pari. La résistance locale et le soutien de l’Occident vont-ils durer ? Poutine essaie de semer la peur et de répandre le doute avec de la propagande et des bombes. Pour l’instant, cela a peu d’effet et Zelensky reste la figure unificatrice de la résistance ukrainienne. Mais la question de savoir s’il peut tirer profit de ce succès à la table des négociations est une autre gageure. Parce que tout comme Poutine, Zelensky joue aussi au poker. Au final, son équipe compte beaucoup de néophytes en politique.
M. Laenen déclare : “Ma grande préoccupation était que l’équipe Zelensky pouvait avoir de bonnes intentions, mais elle était si inexpérimentée sur le plan diplomatique qu’elle serait renversée par les politiciens occidentaux et russes. Mais il semble que cette ouverture d’esprit ait jusqu’à présent plutôt joué à leur avantage.”
Il est indéniable que Zelensky a rendez-vous avec l’histoire. La façon dont on se souviendra de lui est encore incertaine. Ici et là, on peut entendre une comparaison avec Churchill ou encore avec Robin des Bois. Pour Laenen, il est encore trop tôt pour établir de tels parallèles. “Nous ne savons pas encore comment cela va se terminer. Pas même pour lui personnellement”, dit-elle. “Jusqu’à présent, son authenticité séduit. Zelensky n’est pas impressionné par les dirigeants mondiaux qui lui rendent visite et il préfère des munitions pour ses troupes plutôt qu’un avion pour sa famille. Il fait preuve d’un certain type de courage que tous les dirigeants d’Europe occidentale n’auraient pas spécialement. Cela fait de lui une figure fédératrice, une sorte de Robin des Bois, mais il n’est certainement pas irréprochable. Depuis sa nomination, la gestion des principaux problèmes de corruption suscite bien des frustrations. Toutefois, de nombreux Ukrainiens préfèrent ne pas se plaindre de ses défauts en tant que dirigeant, ils préfèrent se concentrer sur ce qu’il fait bien.”
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