L’agriculture wallonne plus durable et résolument numérique

© Getty Images

Sous l’impulsion du plan de relance, des outils numériques innovants et ultra-performants sont en passe d’être déployés à grande échelle en Wallonie. Parallèlement, des entreprises mettent sur le marché des produits révolutionnaires à impact mondial qui visent une plus grande durabilité.

En 2022, dans le cadre du plan de relance et de Digital Wallonia, le gouvernement wallon a validé un budget de 7 millions d’euros pour accélérer l’adoption et le déploiement du numérique dans le secteur agricole. Un certain nombre de projets ont été sélectionnés. Au centre de ce dispositif, on trouve la plateforme WALLeSmart qui sera officiellement déployée en juillet lors de la prochaine Foire de Libramont. Ce projet central est porté par l’Awé, l’association wallonne de l’élevage.

“Nous collectons des données depuis la nuit des temps, explique Carlo Bertozzi, directeur de l’innovation à l’Awé. C’est une mission historique dont le premier arrêté royal remonte à 1919. Nous nous sommes rendus compte qu’avec toutes les données que nous collections, il était possible de développer des outils de gestion et de suivi d’un troupeau. L’Awé s’est rapidement tournée vers les nouvelles technologies.”

L’Awé est une coopérative destinée à aider les agriculteurs. Ils en sont à la fois les décideurs et les clients. De nos jours, l’association interconnecte les bases de données liées à l’élevage au sein du portail MyAwenet et d’AweSmart, son pendant mobile. Sur les 4.000 membres de l’Awé, 1.400 utilisent déjà MyAwenet. Soit un solide taux de pénétration.
“WALLeSmart sera une couche supplémentaire à notre plateforme, poursuit Carlo Bertozzi.

Elle sera destinée tant aux éleveurs qu’aux agriculteurs du secteur végétal. Le plan de relance a servi d’accélérateur à un projet de recherche que nous menions avec la Faculté Polytechnique de Mons. WALLeSmart a pour but de casser les silos. Jusqu’ici, nos données, mais aussi celles liées aux satellites, aux parcelles ou à la météo, nécessitaient de se rendre sur des plateformes différentes. Tout va être agrégé pour stocker, valoriser et interpréter les données en temps réel via un certain nombre d’applis disponibles.”

Collier connecté

Avouons-le, l’interface de WALLeSmart est impressionnante. Après s’être connecté via itsme ou sa carte d’identité, l’agriculteur arrive sur un dashboard personnalisé où des widgets lui fournissent une foule d’informations : composition du lait produit, composition du cheptel, intervalle de vêlage, données issues des robots de traite (litrages quotidiens…), etc. On y trouve aussi les colliers connectés. Une nouveauté qui se déploie à très grande échelle. Tout en veillant à protéger les données des éleveurs, l’Awé commercialise Sensehub, le collier développé par Allflex, un fleuron de la tech française aujourd’hui entre les mains du groupe pharmaceutique Merck via MSD santé animale.

“Le collier développé par Allflex est un appareil peu invasif, mais ultra-performant, qui étudie le déplacement tridimensionnel des bêtes.”
Carlo Bertozzi

Carlo Bertozzi

“C’est un appareil peu invasif, mais ultra-performant, qui étudie le déplacement tridimensionnel des bêtes, explique Carlo Bertozzi. Si la vache s’éloigne de son comportement normal, cela peut indiquer un problème moteur ou, au contraire, un état d’excitation. Sensehub est donc un outil qui permet de déterminer précisément les animaux en chaleur et le moment optimal pour les inséminer. Parallèlement, le collier mesure la rumination, mais peut écouter la respiration des animaux. Autant d’indications qui permettent de gérer la santé des bêtes au plus près. MSD a la propriété des données, mais nous récupérons les alertes générées. Avec WALLeSmart, il va être possible de réconcilier ces alertes avec nos propres données et les modèles prédictifs.

C’est aussi avec Allflex que l’Awé a, il y a quatre ans, réalisé une première mondiale. Leader mondial de la boucle auriculaire d’identification, l’entreprise française a permis la création d’une biothèque wallonne via le prélèvement d’ADN lors de la pose. Les données collectées permettent toute une série de prédictions sur la santé et le développement futur de l’animal.

Pousse de l’herbe

Dans WALLeSmart vont aussi se retrouver des applis comme le cahier de champ connecté ou Agromet II, un autre projet issu du plan de relance. Il s’agissait de réconcilier le réseau Pameseb du Centre wallon de recherches agronomiques (CRA-W) et ses 30 stations ultra-performantes et celui de WalDigiFarm (200 stations dans les champs) pour, notamment, fournir aux agriculteurs un bilan météo très précis sur son exploitation. WALLeSmart proposera aussi W@llherbe, un concept développé par la CRA-W.

“W@llherbe fournit à l’agriculteur des données sur la hauteur de l’herbe dans les différentes parcelles qu’il exploite.”
Cozmin Lucau-Danila

Cozmin Lucau-Danila

“Il s’agit de fournir à l’agriculteur des données sur la hauteur de l’herbe dans les différentes parcelles qu’il exploite, explique Cozmin Lucau-Danila, senior researcher au CRA-W. En se basant sur des images satellites, un modèle prédictif de croissance tient compte de la météo, du sol, de la flore et des mesures prises sur le terrain. Il est ainsi possible de déterminer la quantité de biomasse disponible, mais aussi sa qualité. L’intérêt est multiple. D’une part, l’agriculteur peut déterminer quelle parcelle faucher ou quand changer les bêtes de pâture. On optimalise ainsi le rendement des parcelles, mais aussi les rations des bêtes. D’autre part, le système autorise une gestion fine de l’apport de fertilisants. C’est un outil qui vise à la valorisation de ressources cruciales à l’heure du changement climatique.”

Lutte contre le mildiou

La Wallonie se montre tout aussi avant-gardiste dans la lutte durable contre les maladies. Créée en 2023 comme spin-off de l’UCLouvain, Biocsol vient de lever 10 millions d’euros pour développer ses activités. Fondée par Simon Caulier, chercheur, et dirigée par Denis Payen, Biocsol (pour Biocontrol Solutions) s’est basée sur le travail entamé en 2008 par trois chercheurs de l’UCLouvain et sur la thèse de doctorat du fondateur.

“L’idée est de trouver des alternatives bios dans la lutte contre le mildiou, précise Simon Caulier. Non pas en amenant des organismes vivants sur le champ, mais bien les substances qu’ils produisent et qui sont biodégradables. L’avantage est d’atteindre des cibles différentes avec des molécules bien précises et d’éviter le développement de résistances. Nous avons déjà réalisé des tests sur champ en Belgique, en France, en Allemagne et aux Pays-Bas sur la pomme de terre, la vigne et la laitue. L’efficacité est prouvée dans différentes circonstances et environnements. Nous nous positionnons de façon efficiente jusqu’à un certain stade du cycle de la maladie ou dans une phase plus tardive.”

La solution de Biocsol permet de sérieusement diminuer l’apport de produits phytosanitaires dont la réduction va être rendue obligatoire par l’Union européenne. À titre d’exemple, cette année, le mildiou a été très virulent vu les conditions météo et a nécessité, dans nos contrées, entre 22 et 24 passages de produits phytosanitaires. On voit donc tout l’intérêt que le produit wallon peut générer au niveau mondial.

“Outre le développement de nouveaux produits dont un antifongique destiné aux céréales, la levée de fonds va nous permettre d’envisager une mise sur le marché en Europe et aux États-Unis vers 2031, souligne Denis Payen. Il va s’agir aussi de préparer la mise à l’échelle de la production, avec des sous-traitants. À un moment, la question de la production en interne se posera. Nous pourrions agir différemment en fonction de la culture et de la région. Produire l’anti-mildiou en Belgique pourrait avoir du sens pour alimenter l’Europe. Mais pour les États-Unis, une cible majeure, ce business model ne marchera pas. Il faut produire sur place. Pour des raisons de durabilité et de réalité commerciale. Pour réussir, il faut s’y adosser à un grand groupe.”

Des biostimulants wallons

Créée en 2020, Agricells est une autre pépite de l’agritech wallonne. Elle a mis au point des micro-organismes bactériens capables de stimuler la croissance de la plante. Aujourd’hui, le biostimulant Agricells Growth, disponible en différentes versions, est commercialisé dans 10 pays européens. Un bon début.

“L’Afrique du Sud, la Zambie et le Zimbabwe arrivent sous peu, souligne Vincent Vandamme, cofondateur et COO. Nous avons fait partie de la récente mission princière au Brésil et le potentiel y est très prometteur. Des essais sont également prévus aux États-Unis, au Canada et au Maroc. Nous sommes une entreprise B to B et vendons nos produits à des coopératives et des distributeurs nationaux ou supranationaux. Notre premier client, c’est Rovensa Next, un distributeur espagnol très présent sur l’ensemble du pourtour méditerranéen. Parallèlement, nous travaillons avec Bayer et Syngeta qui, originellement, sont des généticiens de la semence. L’idée est d’enrober leurs semences avec notre biostimulant.”

Indépendamment du gain financier via un moindre épandage de produits fertilisants (une étude sur la pomme de terre évoque un gain de 200 euros à l’hectare), le biostimulant d’Agricells augmente le rendement des cultures dans une proportion qui varie entre 3 et 24% ! Le tout à un prix très concurrentiel qui favorise son adoption par les agriculteurs. Agricells table sur 500.000 euros de chiffre d’affaires cette année. Elle est un peu en retard sur ses prévisions.

“Nous avons perdu un an, admet Maxence Semacoy Albertini, cofondateur et CEO de l’entreprise. Mais cela n’enlève rien au travail gigantesque accompli en quatre ans. Nous avons validé toute la chaîne end-to-end, de la recherche à la commercialisation. C’est très rapide. Et nous avons des prévisions réalistes, mais très agressives pour une jeune société : 2 millions d’euros en 2026 et 5 en 2027.”

Agricells estime le potentiel maximal de son biostimulant à 12 millions d’euros annuels. Pour les produits de biocontrôle qu’elle développe en ce moment, le potentiel est 20 fois plus grand. Il est question d’un produit à la fois antifongique et anti-nématodes qui combine deux bactéries qui ne sont pas mutuellement compatibles. Les tests sur champ démarrent au printemps. Agricells travaille aussi sur un bio-insecticide dont le principe actif est une création exclusive au niveau mondial. Les tests in vivo ont débuté.

Les fondateurs d’Agricells, dont le biostimulant pourrait rapporter jusqu’à 12 millions d’euros par an. © PG

Vers un Agripark en Wallonie ?

À ce jour, Agricells dispose d’une production, via des sous-traitants, de biostimulants capables de traiter un million d’hectares. À titre d’exemple, la Wallonie dispose de 700.000 hectares agricoles. Une ferme type au Brésil, c’est 500.000 hectares. À un moment donné, l’entreprise basée à Marche-en-Famenne devra, elle aussi, se poser la question de la production interne. Une production qu’elle désire en Wallonie pour de multiples raisons.

“Ce serait bien de créer un Green Biotech Park ou Agripark en Wallonie, conclut Vincent Vandamme. À l’image du Biopark de Gosselies. Il s’agirait de regrouper toutes les sociétés intéressées, notamment celles qui souhaitent s’industrialiser dans les trois à cinq ans. Nous avons poussé le dossier au sein de Wagralim, le pôle de compétitivité wallon lié à l’agriculture. Il a entamé le projet et la recherche de la meilleure implantation possible.”

Botalys à l’assaut du marché américain

Installée à Ath, Botalys, grâce à un procédé gardé secret et des fermes verticales, produit des plantes de façon durable. Aujourd’hui, elle en produit quatre variétés : le ginseng, la sauge du Tibet, une espèce rare de basilic utilisée en cosmétiques et la rhodiole ou herbe des Vikings, une plante en voie d’extinction qui augmente l’énergie physique. Pierre-Antoine Mariage, le CEO et cofondateur avec Paul-Evence Coppée, est aujourd’hui basé à Austin au Texas.

“Je suis wallon et je crée de l’emploi en Wallonie. C’est fondamental pour moi. Sans oublier toute l’aide que la Région wallonne nous a fournie. Mais si je suis aujourd’hui aux États-Unis, alors que toute la production et la recherche (30 personnes, ndlr) demeurent à Ath, c’est que le pays de Donald Trump est devenu notre marché principal. L’an dernier, nous avons signé des contrats importants avec Brightseed, une biotech située dans la Silicon Valley qui développe les ingrédients du futur pour une meilleure santé, et avec Thorne, la marque américaine de référence en termes de compléments alimentaires. À ce jour, elle achète notre ginseng.”

Parallèlement à la production, Botalys travaille à Ath au développement de 20 autres plantes dont le sourcing est compliqué ou impossible. Un travail qu’elle effectue, en partie, avec le groupe L’Oréal, avec lequel elle a signé un contrat l’an dernier. L’idée est de développer les ingrédients cosmétiques de demain.

“Nous avons réalisé 1,4 million d’euros de chiffre d’affaires l’an dernier et prévoyons 2 millions pour cette année. Nous sommes en pleine mise à l’échelle de nos activités. Un processus qui demande beaucoup d’argent, mais nous sommes bien soutenus par nos investisseurs auprès desquels nous avons levé 17 millions d’euros. Il y a la Région wallonne via Win4Company et Wallonie Entreprendre, mais aussi un certain nombre d’investisseurs privés ou mixtes dont Wapinvest et Air Liquide.”


PG

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content