La Wallonie mise sur les friches d’ArcelorMittal

ArcelorMittal. Le site de Chertal (186 ha) a été acheté par Wallonie Entreprendre. La finalisation de l’achat a été annoncé début mai. © BELGA
Olivier Mouton
Olivier Mouton Chef news

La Région wallonne a racheté cette friche industrielle de 282 hectares, via son bras financier, Wallonie Entreprendre. Une vaste étude identifie quatre priorités économiques pour sa réaffectation. Mais il faudra attendre 2030, après l’assainissement.

Dans les locaux de la nouvelle salle culturelle OM, ce vendredi 4 mai, un parfum d’histoire flotte dans l’air. Au menu des concerts à venir dans cette Ancienne Belgique en bord de Meuse, les Pretenders ou Front 242 rappellent un autre temps, d’autres plaisirs. Dehors, les vestiges indu­striels de l’ancien Cockerill Sambre semblent endormis. Le stade du Standard de Liège espère revivre des soirées de fièvre européenne, mais les derniers résultats sont bien en deçà des attentes. La région liégeoise est à la croisée des chemins. Elle entretient l’espoir.

“Cette salle accueillait les cadres de Cockerill, c’est ici qu’avaient lieu les fêtes du personnel”, se souviennent ceux qui ont connu le bâtiment de l’OM, bien avant sa réaffectation. C’était au début des années 2000, quand la sidérurgie a peu à peu délaissé la région liégeoise, rachetée dans un premier temps par les Indiens, puis dépassée par les productions moins chè­res des puissances émergen­tes. Aujourd’hui, les friches industrielles sérésiennes pourraient offrir de nouvelles perspectives. Du moins est-ce le pari fait par les autorités wallonnes, qui ont annoncé, le 4 mai, le rachat des lieux à ArcelorMittal.

“A l’horizon 2030, 30% des zones d’activité devront être situées dans d’anciennes friches industrielles.” – Willy Borsus, ministre wallon de l’Economie et de l’Aménagement du territoire

“Un moment historique”

“C’est un moment historique”, n’hésite pas à déclarer Willy Borsus (MR), ministre wallon de l’Economie et de l’Aménagement du territoire. L’ensemble du site représente 282 hectares, divisé en quatre parcelles. L’opération de rachat avait été initiée en 2020, l’annonce de sa finalisation est bienvenue à un mois des élections régionales du 9 juin.

La partie principale, à savoir les 186 hectares de Chertal, est achetée par Wallonie Entreprendre, le bras financier de la Région wallonne, à travers une société ad hoc créée à cette fin, Sorecher. Les sites de la cokerie et du haut fourneau B sont l’objet d’un partenariat public-privé avec, respectivement, Ecoterres et le promoteur européen MG Real Estate. Une discussion a toujours lieu avec un consortium pour le haut fourneau 6, mais Wallonie Entreprendre pourrait, là aussi, le reprendre en intégralité si celle-ci échoue.

“Ces terrains, et singulièrement Chertal, sont des leviers particulièrement importants pour la relocalisation stratégique d’activités, insiste Willy Borsus. L’opération permet la préservation des héritages de notre passé industriel. Il s’agit de la plus grande opération de ce type jamais menée en Wallonie. Elle ouvre des perspectives particulièrement importantes, à savoir ramener de l’activité économique sur ces sites et permettre à toute la région liégeoise d’être un acteur majeur du redéploiement industriel wallon. C’est en cela que le moment est historique.”

“30% des zones d’activités du futur”

A l’échelle de la Wallonie, 3.224 hec­tares sont actuellement répertoriés comme des sites à réaménager, soit 0,19% de son territoire. Une série de liens ont été listés en 2021, tant pour préserver des témoins du passé que pour créer de nouveaux écosystèmes d’innovation, à l’image de cette opération d’envergure. Ces terrains sont, pour leur grande majorité, situés à des endroits stratégiques, à proximité des vil­les ou des grands axes de communication. L’idéal pour réintégrer une chaîne de valeurs territoriale axée vers la priorité politique de réindustrialisation.

BASF. 
Les travaux de réaffectation vont bientôt commencer 
sur le site 
de Feluy. © BELGA

“Le nouveau schéma de développement du territoire que nous venons d’adopter vise à optimiser les espaces, complète Willy Borsus. A l’horizon 2030, 30% des zones d’activité devront être situées dans d’anciennes friches industrielles.” Le libéral insiste aussi sur l’importance des travaux qui vont commencer sur les sites BASF à Feluy, Carsid à Charleroi ou Duferco à La Louvière.

L’annonce de la reprise de ces importants sites à Seraing rappelle aussi le projet de l’avionneur Safran Aero Boosters, à Marchin. Une nouvelle usine va voir le jour sur un ancien site d’ArcelorMittal, là aussi, où plusieurs lignes d’élec­trozingage étaient à l’arrêt depuis des années. Un investissement d’une cinquantaine de millions d’euros financé en partie par la Région et le fédéral. L’entreprise produira des ailettes pour moteurs d’avion dès 2025. Il s’agit de préserver un secteur stratégique. Et de montrer la voie, aussi…

80 millions pour assainir et équiper

Pour les vastes terrains de Seraing, l’horizon est davantage orienté vers 2030. “C’est une première étape importante, décisive, mais ce n’est qu’une première étape”, insiste Olivier Vanderijst, président du Comité de direction de Wallonie Entreprendre.

Les négociations ont démarré il y a quatre ans, 400 réunions ont été nécessaires et des milliers de pages de contrat ont été rédigées. “Nous sommes fiers d’être partie prenante de ce deal”, sourit Olivier Vanderijst. Les négociations avec ArcelorMittal ont été “longues, complexes et ardues, reconnaît Willy Borsus. Mais chacun a joué le jeu et assumé ses responsabi­lités”. Le montant total de l’opération n’a pas été dévoilé.

S’il ne s’agit que d’une première étape, c’est bien parce que les travaux de démolition des bâtiments existants et d’assainissement des sites doivent encore avoir lieu. Quatre-vingts millions d’euros sont dégagés dans le cadre du plan de relance wallon pour accompagner ces opérations.

“Mais que les choses soient claires, l’assainissement des sites est à charge d’ArcelorMittal selon le principe du pollueur-­payeur, précise le responsable de Wallonie Entreprendre. Ces 80 millions couvrent la valeur du foncier et l’équipement des sites, étant entendu qu’il s’agit d’un investissement que nous espérons retrouver au moment de la commercialisation de ces sites.”

Concrètement, la reconversion des terrains va se poursuivre avec un démantèlement qui doit être finalisé d’ici 2027. Des étu­des complémentaires seront alors effectuées sous les bâtiments existants pour déterminer l’ampleur de la tâche d’assainissement. “L’objectif consiste bien à permettre une réoccupation des lieux à l’horizon 2030”, confirme Olivier Vanderijst.

Si la Wallonie dispose de terrains libres, elle ne dispose pas toujours des acteurs et des capitaux indispensables pour les faire fructifier.

Quatre priorités pour l’affectation future

Que deviendront ces sites? Un master plan est en cours d’élaboration, via une équipe pluridisciplinaire emmenée par le bureau urbaniste et paysager Agence TER. L’outil financier wallon Wallonie Entreprendre se lance, de la sorte, dans une opération structurante en matière d’aménagement du territoire. Là aussi, une opération inédite. “Ce n’est pas propre à la Wallonie, précise le président de WE. Notre homologue fédéral, la SFPI, procède aussi de la sorte.”

Un document de 488 pages a déjà été rédigé pour synthétiser les travaux de réflexion menés depuis 2020. “Ce master plan a été l’occasion de requestionner la place de l’économie industrielle dans la ville du futur, et la manière de mobiliser chaque site, ses spécificités et qualités, pour y développer un usage industriel moderne, précisent ses auteurs. Il s’agit aussi d’inventer un urbanisme industriel dura­ble, sensible aux crises sociales, climatiques, écologiques, qui traversent le territoire de façon parfois violente, en témoignent les derniers événements de crues dramatiques en Wallonie.”

La “co-construction” avec les acteurs de la région a déjà permis d’identifier des axes de développement : “L’approche économique identifie quatre axes stratégiques (aciers et industries décarbonés, la filière bois, la logistique et les industries de loisirs et créatives) et deux fondamentaux (l’économie circulaire, énergies renouvelables et hydrogène), mais elle ne se départit pas pour autant des approches urbanistique et territoriale (multiplicité des fonctions) ainsi que des approches environnementale et climatique qui revêtent une importance évidente aujourd’hui.”

“La localisation est idéale, tout près de la Meuse et à proximité de l’aéroport, se félicite Ignace Tytgat, CEO de MG Real Estate, qui prendra en charge le haut fourneau B. Il y a des connexions directes avec le rail et le terminal de Liège Conteneurs. Sur ce terrain de 33 hectares, il y a de la place pour de nouvelles industries et de nouvelles logistiques.”

Il reste à espérer que cette réaffectation annoncée ne s’éternise pas et que les projets futurs ne connaî­tront pas des déboires compara­bles à ceux vécus pour la reconversion du site Caterpillar, à Charleroi. Car si la Wallonie dispose de ces trésors non négligea­bles que sont les terrains libres, elle ne dispose pas toujours des acteurs et des capitaux indispensables pour les faire fructifier.

“Une page qui se tourne”

“C’est une page importante de l’histoire wallonne qui se tourne, mais aussi une nouvelle ère qui s’ouvre”, se félicite Francis Lefevre, administrateur d’ArcelorMittal Belgium, visiblement soulagé. L’entreprise se réjouit de ces transactions qui lui permettent “de se concentrer pleinement sur ses projets d’avenir, qui prévoient notamment la neutralité carbone de ses procédés de fabrication de l’acier d’ici 2050”.

“Pour atteindre cet objectif, nous travaillons sur trois axes, précise Francis Lefevre. Premièrement, une amélioration continue de l’efficacité des matériaux et de l’énergie, en développant notamment la capacité d’énergie renouvelable (87 MW actuellement). Deuxièmement, en réduisant la demande de carbone fossile. Troisièmement, en développant des concepts Smart Carbon: au travers de projets comme Steelanol, ArcelorMittal Belgique est actif dans le domaine de la capture et utilisation du carbone (CCU) et participe à des projets relatifs à la capture et stockage du carbone (CCS).”

Autant de concepts dont on ne parlait guère au temps de la révolution industrielle, voire quand la Wallonie faisait tout pour tenter de sauver l’industrie qui a fait sa richesse et sa gloire. Le prochain gouvernement wallon aura, lui, la lourde tâche de continuer à réinventer l’avenir de la Région en tenant compte de cet objectif de décarbonation, mais dans un contexte budgétaire délicat.

A l’heure d’imaginer l’avenir, on ne pourra pas s’empêcher de se replonger dans cette évocation faite par Théophile Gautier dans son Tour en Belgique et en Hollande, publié en 1836, et reprise en introduction de l’étude réalisée pour le site. “A quelques pas de Liège, fume et bouillonne Serin (sic), où M. Cockerill a ses usines. Les for­ges de Lemnos, avec leurs trois pauvres Cyclopes, étaient peu de chose à côté de cet immense établissement, toujours noir de charbon, toujours rouge de flamme, où les métaux coulent par torrents, où l’on puddle, où l’on cingle le fer, où se fabriquent ces énormes pièces, ossements d’acier des machines à vapeur ; là l’industrie s’élève jusqu’à la poésie, et laisse bien loin derrière elle les inventions mythologiques.”

Voilà une belle page du passé. Place à demain.

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