Agricells, la start-up verte qui veut révolutionner l’agriculture
Agricells développe des engrais et pesticides biologiques. Ses produits seront commercialisés l’an prochain et intéressent déjà les grands pays agricoles. Le chiffre d’affaires pourrait rapidement se compter en dizaines de millions d’euros.
L’un était consultant, l’autre cadre dans l’industrie pharmaceutique. Ils se sont retrouvés autour d’un projet de solutions naturelles, basées sur l’action de bactéries pour remplacer les engrais chimiques et les pesticides dans l’agriculture. Agricells est née en 2020 à Marche-à-Famenne et trois ans plus tard, ses premiers produits s’apprêtent à débarquer sur les champs des principaux pays agricoles d’Europe.
“Quand vous voulez réellement faire changer les choses, le mode start-up vous permet d’aller beaucoup plus vite que dans un grand groupe, se réjouit le cofondateur et COO Vincent Vandamme, qui a travaillé pour GSK, Orgenesis et Catalent. C’est pour cette raison que j’ai décidé de devenir entrepreneur. Je suis par ailleurs issu d’une région agricole et ça me tenait à cœur de développer ce projet et, peut-être, de construire un jour une usine en Wallonie.”
Quand il parle d’aller vite, ce n’est pas une image: Agricells vise les 2 millions de chiffre d’affaires en deux ans et pourrait rapidement jongler avec les dizaines de millions, voire atteindre la barrière des 100 millions. “Les biostimulants existent depuis 15 ans mais c’est aujourd’hui qu’il faut y aller car il y a une pression sociétale et régulatoire, estime Maxence Semacoy Albertini, l’ingénieur français qui a cofondé Agricells et en est le CEO. Commencer dans cinq ans, ce serait trop tard. Aujourd’hui, il y a une vraie demande pour des alternatives aux produits chimiques.”
Le produit d’Agricells s’appuie sur des recherches aux Etats-Unis et à l’université de Mons sur des micro-organismes bactériens capables de stimuler la croissance des plantes. “Nous avons compris la génomique de la bactérie, son mode de fonctionnement, l’origine de ses propriétés particulières”, explique Vincent Vandamme. Ces bactéries aident les plantes à mieux utiliser les nutriments présents dans le sol (azote, phosphore, potassium) qu’il ne faut dès lors plus épandre sous forme d’engrais pour augmenter les rendements.
Un gain écologique… et financier
Un gain écologique évident mais aussi financier car, à rendement équivalent, ces bactéries coûtent nettement moins cher que les engrais chimiques. Agricells a chiffré le gain à 200 euros l’hectare pour la culture des pommes de terre. “Si nos produits coûtaient plus cher, les cultivateurs ne les utiliseraient pas, dit Maxence Semacoy Albertini. Nous savions dès le départ que nous devions être compétitifs, non seulement sur la réduction des intrants mais aussi sur les prix.” Le passé dans l’industrie pharmaceutique fut ici très précieux puisque Agricells s’est inspirée des process dans la pharmacie pour optimiser sa production et alléger ses poudres en les lyophilisant.
“Nous visons en priorité les grandes cultures industrielles, pas le petit producteur bio.”
Agricells produit ses bactéries par bio-fermentation de levures et les délivre ensuite sous forme de poudres, de solutions huileuses ou de micro-granules. Il s’agit de produits à très haute concentration qui seront soit épandus dans les semis ou directement enrobés sur la semence. Ils sont en test depuis deux ans et s’avèrent efficaces pour à peu près tous les types de culture, du maïs aux salades, en passant par les fruits (un bémol pour la vigne).
Leur utilisation est compatible avec une labellisation “bio” mais ce n’est toutefois pas la cible privilégiée par l’entreprise. “Nous nous adressons aux grandes cultures industrielles, c’est là qu’il y a de gros changements à susciter pour réduire les intrants, poursuit le CEO d’Agricells. Le petit cultivateur bio, il a souvent déjà ses propres solutions, avec du compost par exemple. La population mondiale croît, il faudra la nourrir. Nous pouvons y aider avec des solutions écologiques qui apporterons une vraie valeur ajoutée à l’agriculture industrielle.”
L’an prochain, Agricells démarrera la commercialisation de ses produits en Europe (Belgique, France, Pays-Bas, Allemagne, Pologne, Italie, Espagne) ainsi qu’en Amérique du Sud, via un distributeur espagnol. C’est l’une des particularités de cette entreprise basée à Marche-en-Famenne: elle se concentre sur ce qu’elle fait bien (le développement des biostimulants et, nous y viendrons, des biocontrôles) et sous-traite le reste, des services juridiques à la distribution internationale. Cette ambitieuse PME n’emploie directement que six personnes (quatre équivalents temps plein) et devrait juste atteindre les dix employés dans les deux ans.
Si le succès est au rendez-vous et qu’il faut construire une usine de production de bactéries (sans doute en joint-venture avec un acteur industriel), l’entreprise franchira alors un nouveau palier avec une trentaine d’emplois supplémentaires. “J’espère que ce sera toujours en Wallonie”, glisse Vincent Vandamme. Actuellement, la production est répartie entre la Wallonie, la France et la Slovénie. Les laboratoires de recherche sont, eux, hébergés à l’université de Mons.
Agricells mise sur les partenariats
Dans ces laboratoires, on travaille notamment sur le biocontrôle, c’est-à-dire la protection naturelle des plantes contre des pathogènes, toujours grâce aux propriétés bactériennes. Les recherches confirment l’efficacité du procédé mais les étapes d’homologation sont beaucoup plus longues que pour les biostimulants. Il faudra attendre encore quelques années avant une mise sur le marché qui pourrait potentiellement faire exploser les ventes d’Agricells grâce à cette double indication qui démarquerait clairement le produit de ses concurrents.
L’entreprise mise également sur de nouvelles solutions combinées, qui mêleraient la fameuse bactérie maison à d’autres substances actives. Encore une fois, Agricells choisit de se concentrer sur ce qu’elle fait bien et développera ses “combos” avec des “partenaires stratégiques” qui amèneront les substances complémentaires. Les accords en ce sens sont en cours de négociation avec de grands groupes du secteur, nous assure-t-on. “De très gros noms de l’industrie chimique nous ont contactés, confie Vincent Vandamme. Nous sommes même un peu étonnés de susciter aussi vite un tel intérêt.” Les réglementations de plus en plus strictes sur l’utilisation des intrants dans l’agriculture jouent évidemment en ce sens.
“Nous sommes un peu étonnés de susciter aussi vite un tel intérêt.”
Toujours dans cette optique de partenariat, on ne sera pas surpris d’apprendre qu’Agricells s’est déjà intégrée dans des projets du pôle de compétitivité Wagralim. Elle y travaille sur un projet de recherche concernant les biostimulants et la résistance des plantes au stress climatique, avec les entreprises Minagro et Société coopérative agricole de la Meuse, ainsi que la Haute Ecole Condorcet et le centre de recherche Celabor.
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En 2020, Agricells avait levé 2 millions d’euros auprès d’investisseurs familiaux et d’invests publics (Sambrinvest, Investsud Tech et Luxembourg Développement). Elle vient d’y ajouter 3,5 millions, obtenus auprès des mêmes actionnaires, rejoints par de nouveaux investisseurs familiaux (il y a aussi une aide régionale à la recherche) pour financer son passage à l’échelle industrielle. “Nous avons été approchés par des fonds de venture capital, indique Vincent Vandamme. Mais nous voulons d’abord créer de la valeur pour notre entreprise, grâce à la confiance des investisseurs familiaux et des fonds publics.”
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