Vacances d’été ou relance économique: faut-il choisir?
Les entreprises vont reprendre leurs activités et reconstituer leurs carnets de commandes… Pour mieux ralentir tout de suite avec les vacances de juillet-août.
Soyons optimistes, faisons le pari que l’économie belge reparte correctement en suivant les étapes du déconfinement. Les commandes reviennent, les machines tournent et… les vacances arrivent. Les Belges prennent leurs congés et les usines se mettent en sous-régime, voire en arrêt total, quelques semaines après avoir redémarré. Après le choc du coronavirus, l’économie belge pourrait-elle supporter le ralentissement classique de l’activité en juillet-août ? , se demandait dans nos colonnes l’administrateur délégué de la FEB, Pieter Timmermans. Les entreprises auront besoin de chiffres d’affaires et l’Etat de recettes fiscales. ” Pouvons-nous envisager de reporter ou d’étaler des congés ? Sincèrement, je n’ai pas la réponse, confiait Pieter Timmermans. Nous sommes dans une période inédite qui bouscule tous nos schémas de réflexion habituels. ”
Nous pensons que les commandes ne vont revenir qu’à la fin de l’été. Il n’y aura pas beaucoup de boulot en juillet-août et donc aucun besoin d’étaler les congés.” Fa Quix (Fedustria)
Cette question, nombre d’employeurs se la posent. C’est notamment le cas dans le secteur de la construction, qui connaît traditionnellement un arrêt après la troisième semaine de juillet. Mais cette année, de nombreux chantiers ont déjà connu un ou deux mois d’arrêt au printemps. Vu cette situation, ne faudrait-il pas étaler les congés d’été afin de maintenir l’activité en juillet et rattraper ainsi le retard accumulé durant le confinement ? La réponse n’est pas simple et devrait être collective. En effet, ce n’est pas par hasard si 90 à 95% des entreprises de construction se mettent en pause l’été durant deux ou trois semaines. Cette fermeture simultanée simplifie l’organisation de chantiers où les corps de métier se succèdent dans un ordre souvent techniquement requis et où les sous-traitants sont nombreux.
Des congés “recommandés”
” Cette période fixe de congé n’est toutefois pas une obligation mais une recommandation, précise Jan Vochten, directeur du département social de la Confédération construction. Elle est déterminée dans chaque province par un accord entre les employeurs et les représentants syndicaux. ” Le terme ” recommandation ” prend tout son sens dans la situation exceptionnelle de cette année 2020. Les employeurs, du moins ceux dont le carnet de commandes est toujours bien fourni, auront sans doute moins envie de la suivre… ” Il y a une demande de flexibilité, reconnaît Jan Vochten. Mais les éventuelles adaptations du calendrier des congés, nous les ferons ensemble avec les délégations syndicales, ou directement en négociant avec les travailleurs là où il n’y a pas de représentation syndicale. Il ne s’agit pas de remettre en cause l’organisation classique des congés, ni bien entendu le droit aux congés, mais de trouver des solutions spécifiques pour cette année très particulière. ” Le directeur ajoute que les fournisseurs de matériaux ont déjà fait savoir qu’ils pourraient servir les entreprises durant tout l’été, si elles devaient décider de continuer.
Le débat n’en demeure pas moins très délicat. D’un côté, chacun comprend la gravité de la situation économique et la nécessité pour les entreprises de retrouver des recettes, y compris pendant l’été. De l’autre, les représentants des travailleurs redoutent légitimement de créer un précédent et d’ouvrir ainsi la porte à un détricotage du régime des congés payés. ” Je suis convaincu que des aménagements sont possibles, sans pour autant sacrifier quoi que ce soit dans notre protection sociale, assure Arnaud Deplae, secrétaire général de l’Union des classes moyennes. Nous devons évoquer cela en Groupe des 10. Je croise les doigts pour que nous puissions discuter de ces aménagements en dépassant les positions idéologiques rigides. ”
Mais comment consentir à quelques concessions, et créer dès lors une forme de précédent, sans être totalement sûr de leur nécessité ? Pour l’heure, personne ne peut prédire la vigueur de la reprise, ni si elle sera déjà palpable cet été. Or, qui a vraiment envie d’anticiper une question délicate qui, peut-être, ne se posera jamais ? ” Le problème ne se posera concrètement que si, et j’insiste sur le ‘si’, les carnets de commandes se remplissent, ajoute Arnaud Deplae. Les besoins risquent de varier très fort d’un secteur à l’autre, d’une entreprise à l’autre. Il faudra vraiment trouver des solutions au cas par cas. ”
Des commandes pendant l’été ?
La construction n’est pas le seul secteur à s’arrêter l’été pendant plusieurs semaines. C’est le cas aussi dans l’industrie textile. Faudrait-il reconsidérer les choses cette année, quand la moitié des entreprises ont cessé de produire en raison du coronavirus ? ” Je ne le pense pas, répond Fa Quix, directeur général de Fedustria. Dans le textile, 80% du chiffre d’affaires provient de l’exportation (70%, si l’on inclut le bois et l’ameublement, qui relèvent aussi de Fedustria). Peu d’entreprises pensent que le commerce mondial va repartir en flèche dans les prochaines semaines. Nous pensons que les commandes ne vont revenir qu’à la fin de l’été. Il n’y aura pas beaucoup de boulot en juillet-août et donc aucun besoin d’étaler les congés. ”
Fa Quix s’attend à une reprise très lente. Il faudra d’abord que les clients retrouvent le chemin des magasins, avant que ceux-ci ne relancent des commandes et que les usines ne traduisent cela en production. ” Cela sera très progressif, prédit-il. A mon sens, il n’y a dès lors aucune raison de modifier des pratiques conventionnelles de périodes de congés que nous suivons depuis des années. Cela n’empêche évidemment pas d’envisager des solutions ponctuelles et personnalisées pour les entreprises qui en auraient besoin. ” Par exemple, et nous bouclons la boucle, si la construction devait rester très active durant l’été. Un tiers de la production textile (tapis, tentures, etc.) dépend en effet de ce secteur. Les entreprises actives dans ce créneau précis pourraient avoir besoin de dispositions spécifiques.
” D’habitude, nous réduisons un peu la voilure d’un de nos deux sites durant l’été. Cette année, il sera peut-être utile de continuer à tourner pleinement. ” A Verviers, Stéphane Delmoitiez dirige l’entreprise d’entretien et réparation de moteurs industriels Nadin-Mathonet, une PME de 25 personnes active depuis 90 ans. Le CEO s’attend à un regain d’activité dans son domaine, en quelque sorte grâce à la crise. ” Beaucoup de sociétés ont reporté l’achat de nouveaux engins ou de nouvelles machines, explique-t-il. Elles devront sans doute nous appeler plus souvent pour des réparations ou des entretiens. Avec la qualité, la motivation et la polyvalence de mon personnel, je sais que nous y arriverons. ”
Le problème, c’est que ce personnel a déjà bien souvent reporté ses congés de Pâques et que personne n’a souhaité prendre l’un ou l’autre jour à l’occasion des ponts du mois de mai. Le volume de congés restants devient donc imposant. Stéphane Delmoitiez esquisse plusieurs pistes : négocier des reports de congés en 2021, payer un complément pour transformer des jours de chômage économique (50 à 60% du personnel a été touché) en jours de congé, etc. ” J’aimerais bien que les autorités clarifient rapidement ce qui est autorisé et ce qui ne l’est pas, dit le CEO. Dans une PME, nous sommes tous dans le même bateau. Des ouvriers sont prêts à faire un geste pour aider l’entreprise dans cette période très difficile, d’autres sont prêts à abandonner quelques jours de congé pour compenser la perte de revenus due au chômage économique. Des solutions existent mais je dois savoir ce que nous pouvons négocier. ”
” Peut-être devrons-nous envisager quelques aménagements ponctuels. Mais de là à plaider pour reporter les congés prévus en juillet, non ! Cela ne ferait que déplacer le problème. ” Christophe Wanty, CEO du groupe familial éponyme, ne souhaite pas changer toute l’organisation de son entreprise pour cette sortie de crise sanitaire. Il n’a pas envie de se retrouver avec des équipes incomplètes pendant plusieurs mois en raison des congés des uns et des autres.
Wanty n’a pas été complètement mise à l’arrêt avec le confinement. L’entreprise a assuré environ 60% de ses activités. Dans les chantiers de démolition et de terrassement, les ouvriers sont dans leurs engins et respectent donc les règles de distanciation sociale. En revanche, les ateliers de préfabrication d’éléments en béton (Ronveaux, société reprise par Wanty) ont dû arrêter. ” Il y a donc un retard à rattraper et on peut éventuellement le compenser en juillet, dit Christophe Wanty. Mais même là, je ne suis pas sûr que ce soit la décision la plus intéressante. ”
Deux éléments apportent au groupe hainuyer une flexibilité bien utile aujourd’hui et lui permettent, le cas échéant, de faire face à un regain d’activité en juillet. D’une part, des équipes affectées au monde industriel travaillent toujours en juillet, car elles interviennent quand les usines sont à l’arrêt. D’autre part, un accord interne réduit la pause estivale d’une semaine, les congés sont alors déplacés à Pâques. Une partie du personnel de Wanty s’est ainsi retrouvée en congé en plein confinement.
Ce qui inquiète aujourd’hui le patron de Wanty, ce n’est pas l’organisation des congés de ses travailleurs mais bien l’état de son carnet de commandes. L’état des finances publiques conjugué au ” Béton Stop ” instauré en Wallonie à l’horizon 2050 laisse augurer d’un recul des marchés publics. ” Le privé devait compenser mais de gros clients ont suspendu ou reporté des investissements, pointe Christophe Wanty. Les reprendront-ils rapidement ? Je m’interroge quand je vois ce qui se passe chez Trafic ou Pairi Daiza par exemple. Est-ce que cela va repartir ? Sincèrement, cette période après la crise sanitaire m’inquiète beaucoup. ”
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