Une hausse de la TVA ou un saut d’index ? “On fait payer la population pour les privilèges des happy few”

Paul De Grauwe © belga
Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

Le professeur de la London School of Economics renvoie notamment vers la fiscalité des revenus, la fiscalité du deuxième pilier des pensions et vers les subsides aux entreprises.

Dans une opinion parue dans De Morgen avant que Bart De Wever ne se rende au Palais, Paul De Grauwe, ancien sénateur (OpenVld), professeur émérite d’économie de la KULeuven et professeur à la London School of Economics estime que les mesures qui étaient en discussion pour assainir le budget de l’État sont inéquitables.

« Des propositions sont sur la table, qui demandent à la plus grande partie de la population de payer pour les privilèges des happy few sous forme d’augmentations de TVA, de sauts d’index et de sacrifices sur les pensions. Ces mesures, si elles passent, mineront complètement la confiance de la population dans l’équité de l’opération budgétaire », dit-il.

Pour  rétablir l’équité, il faudrait mettre réellement en œuvre l’objectif du gouvernement qui était que les épaules les plus solides portent les charges les plus lourdes. « Il est aujourd’hui clair que ce principe de capacité contributive n’est pas appliqué ou l’est de manière très déficiente, juge l’économiste. Pourquoi je dis cela ? Il y a pas mal de groupes de personnes qui échappent à l’assainissement budgétaire », observe-t-il.

Le top 5%

Trois groupes échappent aujourd’hui à l’équité fiscale.

Le premier est le top 5% des revenus, pour une raison très simple, c’est que les 5% les plus riches, et surtout les 1%, ont des revenus qui proviennent davantage du capital que du travail, et que notre système fiscal ne globalise pas les revenus. Dès lors, et l’étude sur la distribution des revenus de la Banque Nationale le montre, « le Belge moyen cède 43 % de son revenu à l’État via impôts directs, indirects et cotisations sociales. Pour le top 5 %, ce taux tombe à 37 %; pour le top 1 %, à peine 23 %, rappelle Paul De Grauwe.

Ces fortunés gagnent un multiple du revenu moyen – quinze fois plus pour le top 1 % – mais supportent une pression fiscale moindre, dit-il. Ce privilège découle de revenus tirés du capital (patrimoine) ou de constructions sociétales complexes, comme les sociétés de management. Je n’ai rien contre les inégalités issues du marché libre, dont je reste partisan. Mais accorder des taux d’imposition extra-bas simplement parce qu’on est riche est inacceptable. »

Le deuxième pilier

Un autre groupe, proche du premier, est celui qui bénéficie le plus des pensions complémentaires du deuxième pilier, payées par l’employeur. « La majorité des gens doit se contenter de la pension légale (le premier pilier). Il existe aussi un deuxième pilier. Celui-ci est bourré d’avantages fiscaux et parafiscaux (moins de cotisations à la sécurité sociale, presque pas d’impôt sur les rendements réalisés) », dit Paul De Grauwe. « Le premier pilier a été durement attaqué par la coalition gouvernementale actuelle. Le deuxième pilier à peine. Celui-ci contient surtout des personnes à hauts revenus. Celles-ci bénéficient donc de privilèges fiscaux qui sécurisent leur pension », ajoute-t-il.

Des subventions trop importantes

Le troisième groupe de contribuables est celui des sociétés qui bénéficient de subventions trop importantes. « Des subventions massives sont accordées au monde des entreprises. Celles-ci s’élèvent, selon la Banque Nationale, à 25 milliards d’euros. C’est plus que les dépenses totales pour l’éducation en Belgique (24 milliards d’euros). Viennent s’ajouter encore les milliards de subventions que la Banque Nationale distribue aux banques », poursuit Paul De Grauwe qui fait ici référence aux liquidités que les banques recevaient bon marché de la Banque centrale européenne et replaçaient auprès de cette même BCE au taux de la facilité de dépôt, qui était de 4% en 2023  et qui procure encore aujourd’hui 2%. Un mécanisme que Paul De Grauwe fustige depuis plus de deux ans et qui a rapporté, depuis 2023, plus de dix milliards d’euros aux banques belges.

« Certaines de ces subventions peuvent être utiles, ajoute l’économiste, par exemple les subventions pour l’innovation. Une grande partie ne l’est pas et finit finalement dans les poches des actionnaires des entreprises ».

Attaquer les privilèges

En résumé, donc « soumettre le top 5 % des revenus au même taux d’imposition que celui du Belge moyen nous propulserait près de l’équilibre budgétaire, estime Paul De Grauwe. L’alignement de la fiscalité sur le premier et le deuxième pilier rapporterait des milliards.  Le nettoyage de l’étable des subventions atteindrait le même résultat, poursuit-il. Au lieu d’attaquer ces privilèges, des propositions sont maintenant sur la table, qui demandent à la plus grande partie de la population de payer pour les privilèges des happy few sous forme d’augmentations de TVA, de sauts d’index et de sacrifices sur les pensions. Ces mesures, si elles passent, mineront complètement la confiance de la population dans l’équité de l’opération budgétaire »  avertit l’économiste qui craint que sans mesures équitables, la crédibilité du politique ne s’érode encore un peu plus.

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