Une cinquantaine de pays pourraient faire défaut sur leur dette
Les dettes publiques atteignent une ampleur inédite et leur restructuration paraît très aléatoire. Heureusement, les taux d’intérêt montent beaucoup moins vite que l’inflation.
1.Quelles sont les zones où se situent les risques les plus aigus?
Huit pays ont fait défaut ces derniers mois sur le remboursement de leur dette. Mais une cinquantaine d’autres pourraient suivre, fragilisés par la poussée inflationniste mondiale, la hausse du dollar et la remontée des taux d’intérêt. Parmi eux, on retrouve le Ghana, le Cameroun, le Sri-Lanka, le Pakistan ou le Liban. “Un pays qui fait défaut, c’est dramatique pour lui. Mais si plusieurs dizaines de pays font défaut, l’impact global devient alors très conséquent”, souligne Pascaline Della Faille, risk manager chez Credendo. “Une cinquantaine de pays sur le point de faire défaut, c’est colossal, abonde Sylviane Delcuve, économiste chez BNPP-Fortis. Le total de ces dettes à haut risque atteindrait les 250 milliards de dollars.”
Nous basculons vers un système à la japonaise, dans lequel les banques achètent les obligations émises par les Etats qui ont trop dépensé.” SYLVIANE DELCUVE (BNPP-FORTIS)
2.Quelles sont les zones où les choses s’améliorent?
“Je ne vois malheureusement aucune amélioration, répond Sylviane Delcuve. Les gouvernements ont été appelés à l’aide lors de la crise du covid et, depuis, personne n’a pu réajuster le tir et redresser ses finances publiques.” Il y a, certes, eu une brève reprise en 2021 mais aujourd’hui, les Etats doivent aider les ménages et les entreprises à résister à la hausse des prix énergétiques, investir dans la transition écologique et, comme si cela ne suffisait pas, l’invasion de l’Ukraine a fait prendre conscience à de nombreux pays européens du besoin de refinancer le secteur de la Défense. “Même l’Allemagne, d’ordinaire garante de l’orthodoxie budgétaire, a vu ses finances se dégrader, poursuit Sylviane Delcuve. Le système tient la route car les banques centrales sont devenues des planches à billets et financent cette hausse des dettes publiques.”
L’exception, ce sont évidemment les pays producteurs de matières premières et singulièrement ceux qui exportent les produits énergétiques, comme le Qatar bien entendu, l’Angola ou l’Indonésie.
3.A quelles évolutions s’attendre dans les prochaines années?
Le gros défi sera d’éviter une accumulation de défauts, ce qui aurait fatalement de gros impacts systémiques. “Le problème, c’est que cela devient très compliqué de restructurer les dettes, pointe Pascaline Della Faille. Dans les années 1990, les créances étaient surtout détenues par le Fonds monétaire international. Aujour-d’hui, elles sont détenues par des banques, des fonds de pension, l’Etat chinois…” Réunir tous ces acteurs, aux intérêts parfois divergents, pour éviter l’emballement ne sera effectivement pas simple.
Ne croyons pas que l’Europe sera épargnée. Sylviane Delcuve rappelle ici que la dette italienne a atteint les 3.000 milliards d’euros. “C’est plus que la dette allemande pour un PIB qui fait la moitié du PIB allemand, dit-elle. Si les taux d’intérêt montent, c’est impayable pour l’Italie. Au vu de l’importance de cette économie, on ne pourra pas la sauver comme la Grèce. C’est une menace sur la zone euro.”
La Chine n’est pas forcément mieux lotie. “La bulle de l’endettement chinois est en hausse constante, constate Raphaël Cecchi, risk analyst chez Credendo. Les autorités essaient d’éviter un effondrement du marché immobilier mais rien n’est acquis. C’est un gros point d’interrogation sur le futur économique de la Chine.”
4.Quelles actions entreprendre pour éviter que ces risques ne se matérialisent?
On l’a vu, la restructuration des dettes publiques semble très aléatoire aujourd’hui, même si le G20 semble vouloir essayer de jouer un rôle de pilotage en la matière. Réduire les dépenses publiques s’avère tout aussi aléatoire, au vu des défis climatiques et désormais militaires aussi. “On peut toujours rogner sur quelques dépenses en jouant de la râpe à fromage mais, fondamentalement, je ne vois personne se lancer maintenant dans des politiques d’austérité”, concède Sylviane Delcuve.
Pour elle, nous basculons, sans le dire clairement, vers un système à la japonaise, dans lequel les banques centrales et les banques privées achètent les obligations émises par les Etats qui ont trop dépensé. “Le Japon a trouvé un point d’équilibre entre le système bancaire et le gouvernement, qui fonctionne depuis une trentaine d’années, dit-elle. Ils ont commencé avec une dette de 120% du PIB, elle est aujourd’hui de 250% du PIB mais ça tourne et cela ne semble embêter personne.”
L’une des caractéristiques de ce système, c’est la décorrélation entre les taux d’intérêt et l’inflation. C’est ce qui existe au Japon et c’est ce que nous voyons désormais chez nous. Cette année, l’inflation a bondi de 1 à 12% tandis que les taux d’intérêt à long terme ne grimpaient que de 0 à 2%. “C’est totalement inédit chez nous, affirme Sylviane Delcuve. Depuis les années 1960, les courbes d’évolution de l’inflation et des taux à 10 ans se suivent de manière fidèle. Il y a aujourd’hui une cassure. Et la seule explication, c’est le rôle des banques centrales qui ont acheté les obligations émises par les Etats. Nous avons, je pense, changé de modèle économique.”
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