Jean Hindriks, professeur à l’UCLouvain, a participé au Comité d’experts qui insistent sur des efforts plus importants en Fédération Wallonie-Bruxelles. Mais selon lui, il est indispensable d’aller plus loin encore. Par nécessité. Et parce que la démographie parle. Cela implique de lever des tabous. Un argumentaire édifiant.
Selon Jean Hindriks, professeur à l’UCLouvain et chercheur à Itinera, le monde politique met la poussière sous le tapis en Fédération Wallonie-Bruxelles. En limitant l’effort à réaliser pour stabiliser le déficit, il oublie que la situation est pratiquement hors de contrôle. Et il ne tient pas compte des faits.
Auteur de rapports qui secouent régulièrement les idées reçues, Jean Hindriks publie donc un “contre-rapport” expliquant pourquoi il faut agir d’urgence. Et pourquoi la démographie l’exige, aussi.
“La Fédération Wallonie-Bruxelles est confrontée à un double défi silencieux, mais structurel: le vieillissement accéléré du personnel enseignant et la baisse progressive de la population scolaire, écrit-il. Ces tendances appellent aujourd’hui des décisions responsables et courageuses pour garantir un enseignement de qualité, soutenable financièrement et équitable pour nos enfants.”
Un tabou à lever
Jean Hindriks n’hésite pas à s’attaquer à un tabou d’envergure: “Alors que la natalité continue de baisser, entraînant une réduction des ressources budgétaires, le vieillissement du personnel enseignant accentue la pression sur les dépenses, notamment via l’augmentation des coûts salariaux liés à l’ancienneté. Paradoxalement, malgré une baisse de la population scolaire ces dix dernières années, les effectifs enseignants ont continué d’augmenter dans l’enseignement obligatoire, alourdissant la charge financière globale.”
Traduction: “Dans les dix prochaines années, la population scolaire devrait encore diminuer de 10 à 15 %. Le système éducatif devra ainsi gérer une transition délicate, passant d’une pénurie d’enseignants à une pénurie d’élèves. Il s’agira d’ajuster les effectifs dans un paysage scolaire fragmenté, où toutes les écoles ne seront pas affectées de la même manière.”
Deux dynamiques fortes
Pour transformer la contrainte en opportunité, il s’agirait de mieux prendre la question en mains pour répondre précisément au défi budgétaire, de taille. Cela passerait par deux dynamiques courageuses à entamer ou prolonger, selon lui.
Un: “Le remplacement naturel des départs à la retraite par de jeunes enseignants, moins coûteux, génère un gain budgétaire significatif estimé à 60 millions d’euros en 2024. La pyramide des âges indique que cette dynamique s’accentuera dans les prochaines années.”
Deux: “La baisse des effectifs scolaires permet de ne pas remplacer certains départs, générant des économies supplémentaires évaluées à 80 millions d’euros, sans nuire à la qualité de l’enseignement.”
Voilà qui fera grincer des dents.
Le poids des “hors fonction”
Mais il est un tabou plus fort encore.
“Les bénéfices du renouvellement démographique sont cependant largement absorbés par le coût croissant des enseignants en disponibilité ou détachés, écrit-il. En 2025, ce coût atteint 230 millions pour les disponibilités (pour prépension enseignant ou maladie) – soit l’équivalent de 20 % du déficit hors charges d’intérêt de la FWB. À cela s’ajoutent les détachements non compensés, souvent à la charge du budget de l’enseignement, contrairement à la Flandre qui a réformé ce modèle. Au total cela représente près de 13% des effectifs enseignants qui sont « hors fonction » mais toujours à charge du budget de l’enseignement.”
Alors, le chercheur d’Itinera estime qu’il faut “renforcer l’efficacité pédagogique” en assurant la présence d’un enseignant par classe.
Mais il convient aussi d’optimiser l’allocation des ressources: révision des normes d’encadrement, rationalisation des petites classes et des offres d’options, meilleure gestion de la répartition des enseignants entre écoles.
Et aussi de mobiliser le personnel inactif: favoriser le retour au travail ou la reconversion du personnel en disponibilité. Limiter les détachements du personnels enseignants et facturer ces détachements aux organisations d’accueil (y compris les détachements « politiques »).
Enfin, maîtriser la croissance des coûts du personnel : adoption d’une norme encadrant la progression des dépenses en fonction de l’évolution des recettes.
Selon lui, le “statu quo n’est plus une option“. Tout le monde ne l’entend visiblement pas de cette oreille.