Paul Vacca
Streaming: la musique en ligne doit être intégrée à part entière aux questions environnementales
La musique en ligne doit être intégrée à part entière aux questions environnementales. Tout ce qui semble n’être qu’un désir inoffensif, l’ivresse de l’hyperchoix, laisse des cicatrices à la Terre.
Ecouter de la musique sur les plateformes de streaming relève d’une forme de casuistique toute contemporaine. Une façon de combiner les joies de l’illimité issues du piratage avec la bonne conscience d’une rémunération grâce à l’obole consentie mensuellement aux musiciens via notre abonnement. Comme de se vautrer dans la surconsommation tout en se drapant dans sa vertu écologique (exit les tas de vinyles, CD ou blisters en plastique), persuadés que notre écoute est magiquement dématérialisée transmise par les ondes immatérielles.
Concernant ce dernier point, Kyle Devine, professeur au département de musicologie de l’université d’Oslo et auteur de Decomposed: The Political Ecology of Music, démontre évidemment qu’il s’agit d’une illusion confortable. Les vertus de l’écoute sans frottement en ligne comportent des vices cachés. Comme tout ce que nous faisons sur internet qui semble en apesanteur, le streaming requiert un apport constant d’énergie. Au point que, selon Devine, le coût environnemental de la musique est aujourd’hui plus élevé qu’il ne l’a jamais été.
Certes, l’auteur montre que cette industrie de la musique enregistrée a toujours eu des accointances affirmées avec les produits polluants. A son origine, Thomas Edison fut même pionnier dans la fabrication de matières chimiques avec le celluloïd pour ses cylindres phonographiques. Au mitan du siècle dernier, c’est le chlorure de polyvinyle tiré de l’hydrocarbure éthylène qui s’invite dans la fabrication du disque vinyle, prenant part à l’épopée de l’énergie carbonée.
Quant au CD apparu dans les années 1980, conspué dès ses débuts par les audiophiles comme une dégradation de l’expérience audio – vendant l’âme de l’analogique pour la froideur du numérique -, il constitue pourtant le support le moins nocif de l’histoire, le polycarbonate étant moins polluant que le chlorure de vinyle et l’emballage (à l’origine en polystyrène, annulant de fait cet avantage) étant de plus en plus fait de matériaux recyclables. Il faudra un jour procéder à la réhabilitation du CD, ce mal-aimé.
Enfin, aujourd’hui est advenue l’ère de la musique “dématérialisée” dans les “nuages”. Une bien jolie fantasmagorie vendue par les big techs car les soi-disant nuages sont en réalité des entrelacs de kilomètres de câbles, des amas de serveurs et de gigantesques routeurs terriblement énergivores. Le streaming musical a besoin d’une quantité gargantuesque d’énergie pour alimenter ses serveurs. Selon ses propres calculs issus de plusieurs sources, Kyle Devine montre qu’en 2016 déjà, le streaming avait généré 194 millions de kilos d’émission de gaz à effet de serre. Soit 40 millions de plus que pour l’année 2000, tous formats musicaux confondus. Est-il besoin de préciser que depuis 2016, le chiffre n’a pu qu’augmenter substantiellement?
Kyle Devine ne cherche pas à culpabiliser mais à faire prendre conscience que la musique en ligne n’est pas un univers éthéré. Il estime que celle-ci doit être intégrée à part entière aux questions environnementales. Ne faut-il pas remettre en question nos attentes en matière d’accès et de stockage infinis? Tout ce qui semble n’être qu’un désir inoffensif, l’ivresse de l’hyperchoix, laisse des cicatrices à la Terre. Il appelle à un changement de conscience du même ordre que celui qui s’opère vis-à-vis de la nourriture. Lorsque nous écoutons de la musique, nous pouvons nous demander: dans quelles conditions celle-ci a-t-elle été produite? son mode de distribution est-il équitable? qui est payé et combien? et de quelle quantité de musique avons-nous vraiment besoin? Logique. Ne sommes-nous pas, avec le streaming, face à ce que nous appelions il y a peu un “buffet à volonté”?
Romancier, essayiste et consultant
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