Déjà ciblées à plusieurs reprises ces derniers mois, les sociétés de management se retrouvent une nouvelle fois dans le viseur. Dans sa chasse aux milliards, le gouvernement De Wever a décidé de réduire encore leurs avantages. Pourquoi un tel acharnement ? Quel impact pour les indépendants en société ? Voici quelques clés pour mieux comprendre et réagir.
Après les plus-values, c’est au tour des sociétés de management de faire les frais de l’Arizona, gouvernement pourtant censé être pro-business. Cette fois-ci, l’offensive est venue de Vincent Van Peteghem, ministre du Budget (CD&V), qui entend décourager le recours à ces structures parce que trop souvent utilisées à des fins purement fiscales. Dans son collimateur : des dizaines de milliers de chefs d’entreprise, de titulaires de professions libérales, de consultants, mais aussi certains salariés bien rémunérés qui choisissent de facturer leurs services par le biais d’une société. Un mécanisme qui permet d’échapper, du moins en partie, à l’impôt des personnes physiques (IPP). Et donc, d’être taxé à 35% au lieu de subir une ponction allant parfois jusqu’à… 60% !
Voilà pourquoi, aux yeux de certains partis du gouvernement, les sociétés de management représentent non seulement une injustice fiscale, mais aussi un manque à gagner pour les caisses de l’État. Peu importe si cette vision réductrice oublie plusieurs réalités, notamment que les indépendants ne bénéficient pas de la même couverture sociale que les salariés, qu’ils prennent davantage de risques et que leur pension reste souvent très faible. Peu importe aussi si la nouvelle croisade jette l’opprobre sur l’attitude naturelle de tous ceux qui, sans enfreindre la loi, essayent de réduire leurs coûts fiscaux.
Rien de tout cela n’a pourtant dissuadé l’Arizona dans l’élaboration de son accord budgétaire. Non, il faut forcer davantage de revenus à repasser par la case IPP, rendre les sociétés de management fiscalement moins attrayantes. Comment ? En s’attaquant, cette fois-ci, au régime favorable dont elles bénéficient pour la distribution de dividendes.
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Indépendants et TPE
Concrètement, le précompte mobilier préférentiel appliqué aux dividendes versés par ces entreprises à leurs actionnaires sera modifié. Jusqu’à présent, ce taux favorable était fixé à 15%. À partir de 2026, il passera à 18%. Objectif : 300 millions d’euros de rentrées fiscales supplémentaires d’ici 2029. Officiellement, la mesure cible “les épaules les plus larges”. En réalité, elle touche toutes les PME : sociétés de management, sociétés industrielles, PME familiales, start-up… Toutes les entreprises créées à partir de l’an prochain seront ainsi directement soumises à ce nouveau taux réduit de 18%. Pour Denis-Emmanuel Philippe, avocat associé chez Bloom Law, la manœuvre a des allures de volte-face. “Rien ne laissait penser que le gouvernement s’attaquerait au dispositif, lance-t-il. Au contraire, l’accord de l’été l’avait conforté en harmonisant les délais d’attente et les taux d’imposition !”
“Les sociétés de management sont le symptôme d’un mal plus profond.” – Emmanuel Degrève (Deg & Partners)
Le dispositif dont parle Denis-Emmanuel Philippe est celui grâce auquel les petites sociétés peuvent distribuer leurs dividendes à un taux réduit (désormais 18%), au lieu des 30% standard sur une distribution de bénéfice classique. Le système permet par ailleurs aussi de constituer une réserve de liquidation, qu’il est ensuite possible de distribuer également à taux réduit. À condition de payer une cotisation spéciale de 10% sur les bénéfices transférés dans cette réserve. Une cotisation qui permet par la suite de bénéficier sur la distribution de dividendes d’un taux de précompte de 6,5% (depuis l’accord de l’été, contre 5% auparavant) si la réserve est utilisée après trois ans (contre cinq ans auparavant).

Grignotage progressif
Le nouveau tour de vis fiscal adopté par le gouvernement s’inscrit clairement dans un mouvement de grignotage progressif de ces avantages dont bénéficient les sociétés de management, mais hélas aussi toutes les PME qui constituent des réserves et versent des dividendes. “Beaucoup de dirigeants de PME (exerçant une activité commerciale ou opérationnelle, ndlr), de professions libérales (avocats, médecins, etc., ndlr), de managers et de consultants exerçant leur activité en société, de sociétés patrimoniales (holdings, sociétés immobilières, ndlr) profitent en effet du régime VVPR-bis et de la réserve de liquidation pour faire remonter du cash de la société en direction de leurs actionnaires à des taux d’imposition réduits”, rappelle Denis-Emmanuel Philippe.
Emmanuel Degrève, président de l’Ordre des experts-comptables et conseillers fiscaux (OECCBB) et fondateur du cabinet Deg & Partners, estime que le coup porté est ainsi “plus aigu” que la mesure qui figurait initialement au menu des discussions budgétaires. “Franchement, cela me sidère, dit Emmanuel Degrève. Même avec un gouvernement de centre-droit, c’est encore la classe moyenne qui trinque. Qu’on demande aux régimes les plus favorables de contribuer, soit. Mais ici, ce sont une fois de plus les entrepreneurs, les chefs d’entreprise et les investisseurs – bref, ceux qui créent la richesse du pays – qui sont particulièrement appelés à la solidarité.” La surprise est effectivement mauvaise pour les indépendants en société, les TPE, etc., qui seront touchés dès le premier euro de dividendes versé. Ils paieront 3% d’impôt en plus, alors qu’un plafond de 100.000 euros de dividendes, comme initialement envisagé, les aurait en grande partie épargnés.
Un vrai gruyère
Conseiller fiscal, Pierre-François Coppens se montre tout aussi critique. “On a déjà une série d’avant-projets et de projets de loi très complexes à transposer, et on vient ajouter, dans un moment d’humeur ou d’électoralisme, une mesure qui grignote à nouveau les avantages des sociétés de management.”
Le fiscaliste ajoute à ce propos que le cumul de l’impôt des sociétés et du précompte sur les dividendes se rapproche progressivement du taux pour la première tranche de revenu à l’IPP. “L’avantage relatif de la structure sociétaire s’amenuise ainsi d’année en année. Il ne faut pas oublier qu’il y a deux ans, les limites applicables aux primes d’engagement individuel de pension ont été fortement réduites. Or, c’était un des piliers essentiels pour les indépendants en société. Là aussi, l’avantage a été sérieusement érodé. On grignote partout, ça devient un vrai gruyère : les avantages disparaissent petit à petit. Je peux comprendre qu’il faille faire des économies, mais au final, ce sont toujours les mêmes qui paient.”
Mal-aimées
Force est de constater que “cette augmentation du taux réduit d’imposition sur les dividendes vient en effet s’ajouter à deux autres mesures récentes visant à combattre l’utilisation ‘abusive’ des sociétés de management déjà annoncées par l’Arizona dans les accords de l’été”, rappelle Denis-Emmanuel Philippe.
Mal-aimées de l’Arizona, les sociétés de management devront dorénavant compter avec l’augmentation de la rémunération annuelle minimale du dirigeant, portée de 45.000 à 50.000 euros. De quoi accroître mécaniquement la base imposable à l’IPP, puisque cette augmentation impose aux dirigeants de se verser davantage de revenus personnels pour continuer à bénéficier du taux réduit à l’impôt des sociétés. Avec en plus une indexation annuelle, ce qui n’est “pas très sympathique”, glisse Pierre-François Coppens.
À cela s’ajoute le plafonnement des avantages en nature (voiture, logement, GSM, ordinateur, stock-options, etc.). Désormais, leur montant total ne pourra excéder 20% de la rémunération annuelle brute. Sous peine là aussi de perte du taux réduit à l’impôt des sociétés. But ? “Modérer le recours à ces modes de rémunération alternatifs et inciter à verser davantage de rémunérations en cash, imposables pleinement à l’IPP”, explique Denis-Emmanuel Philippe, qui note que certains ont adapté leur package de rémunération.
“Ces annonces à répétition de mesures visant les sociétés de management inquiètent leurs dirigeants.” – Denis-Emmanuel Philippe (Bloom Law)
Pierre-François Coppens souligne qu’il existe pourtant déjà de nombreuses mesures qui limitent les excès, comme la rémunération minimale pour bénéficier du taux réduit de l’impôt des sociétés, mais aussi les requalifications possibles en cas de faux indépendants. “L’administration dispose de tous les moyens, y compris l’intelligence artificielle. Les abus sont déjà détectés.” Le fiscaliste critique aussi la définition même de société de management. “De quoi parle-t-on ? D’un directeur commercial poussé à se mettre en société ? Du chauffagiste qui devient indépendant en société ? De la société unipersonnelle d’un avocat ou d’un consultant ? Ce ne sont pas les mêmes réalités.”

Réserves de liquidation
En attendant, que faire face à cette nouvelle offensive synonyme de coût plus élevé pour sortir des bénéfices d’une société sous forme de dividendes ? Pour Denis-Emmanuel Philippe, c’est évident, la prudence s’impose. “Les sociétés visées doivent suivre attentivement le fil de l’actualité, car les modalités exactes de ce rehaussement du taux réduit de 15% à 18% font encore l’objet d’âpres discussions entre les partis de la majorité.”
Selon le fiscaliste, une chose était néanmoins sûre au moment d’écrire ces lignes. “Si de nouvelles actions sont émises suite à des apports en cash à partir du 1er janvier 2026, par exemple dans le cadre de la constitution d’une nouvelle société, les dividendes se rapportant à ces nouvelles actions seront soumis au nouveau taux réduit de 18% après l’écoulement de la période d’attente de trois ans.”
Le gouvernement semble aussi s’être accordé pour augmenter le taux d’imposition des nouvelles réserves de liquidation, constituées après 2026 et distribuées après la période d’attente de trois ans. Celui-ci serait augmenté de 6,5% à 8,9%, afin de porter, là aussi via la réserve de liquidation, la charge fiscale totale à 18% (contre 15% auparavant).
Clause de sauvegarde
Quid de toutes les sociétés de management qui ont déjà constitué des réserves de liquidation ? “Il semblerait que le gouvernement soit également sensible à leur sort, poursuit Denis-Emmanuel Philippe. Ainsi, il serait question d’insérer une clause de grand-père (clause de sauvegarde, ndlr) pour les réserves de liquidation constituées avant 2026. Celles-ci pourraient ainsi être distribuées au taux réduit de 6,5% après trois ans.
“En revanche, il est loin d’être sûr que le gouvernement prévoira une clause de grand-père pour les actions existantes (émises avant 2026, ndlr) éligibles au taux VVPR-bis. En l’absence de pareille clause de sauvegarde, on pourrait assister à des distributions en urgence avant la fin de l’année, afin de bénéficier encore du taux réduit de 15% !”, précise l’avocat, pour qui il faudra attendre la toute fin des négociations gouvernementales avant d’y voir plus clair aussi en ce qui concerne les nouvelles mesures anti-abus, dont les régimes VVPR-bis ainsi que la réserve de liquidation pourraient être assortis.
“C’est décourageant pour celui qui investit, qui engage, qui développe.” – Pierre-François Coppens, conseiller fiscal
“La pression fiscale et parafiscale énorme”
Finalement, au-delà de toutes les considérations techniques et des ajustements fiscaux annoncés, une question demeure : tout cela va-t-il décourager le recours aux sociétés de management ? Pour Emmanuel Degrève, la réponse est claire : le gouvernement nourrit volontairement une atmosphère anxiogène visant à faire peur. Mais le mécanisme annoncé n’aura pas d’impact sur le passage en société, selon lui. Pourquoi ?
“Parce que la nouvelle disposition est purement budgétaire et ne gomme pas totalement l’avantage de la taxation en société. Pour cela, il aurait fallu carrément supprimer le système du VVPR-bis. Et pour cause : les sociétés de management sont en réalité le symptôme d’un mal plus profond.”
À savoir ? “La pression fiscale et parafiscale énorme sur les revenus du travail pousse inexorablement les gens touchant une rémunération confortable à se ‘mettre en société’. Ce n’est pas plus compliqué que cela. Tout part de cette frustration d’avoir à payer tellement d’impôts !”, abonde Denis-Emmanuel Philippe. Ce dernier note que ces annonces à répétition de mesures visant les sociétés de management inquiètent leurs dirigeants.
Instabilité fiscale
Pierre-François Coppens partage ce constat et pointe, lui aussi, la stigmatisation persistante. “Depuis 15 ans, on entend les mêmes déclarations intempestives. On jette l’anathème fiscal sur ces structures, alors qu’elles ont aussi une utilité en droit des sociétés. Lorsque des administrateurs ont des divergences quant à la politique salariale, la société de management constituée par chaque administrateur s’avère même indispensable et règle de nombreux problèmes.”
Il déplore surtout les effets délétères de ce discours répété sur l’environnement entrepreneurial. “Quand on dit à un indépendant qu’il pourrait être taxé par translucidité, comme si la société n’existait plus… On traverse la personne morale ! C’est décourageant pour celui qui investit, qui engage, qui développe.”
Pour lui, c’est là que le bât blesse, on nourrit une véritable instabilité fiscale. “C’est comme au Parlement français, on tire dans tous les sens et l’entrepreneur ne sait plus ce qui va se passer dans trois semaines.”
Le gros atout du passage en société
En principe, les dividendes versés à une personne physique sont taxés à 30%. Mais les petites sociétés et leurs actionnaires peuvent bénéficier de taux réduits de précompte mobilier, ce qui allège fortement leur fiscalité.
D’une part, le régime VVPR-bis permet d’abaisser le précompte à 15% sur les dividendes liés à des actions nominatives émises par une petite société depuis le 1er juillet 2013, en échange d’un versement en cash. Une petite société peut en outre bénéficier d’un taux réduit de précompte mobilier à condition qu’elle transfère une partie ou l’ensemble de son bénéfice comptable après impôt à un compte distinct du passif. Cette constitution d’une réserve de liquidation est soumise à un impôt des sociétés distinct de 10%. Suite aux modifications apportées au régime par la loi-programme du 18 juillet 2025, il est possible de bénéficier d’un taux réduit de 6,5% si le montant distribué a été affecté à la réserve de liquidation pendant au moins trois ans.
L’un des avantages de ce régime est qu’il est possible de distribuer la réserve de liquidation sans impôt à l’occasion de la liquidation de la société. Combinés au taux réduit d’impôt des sociétés de 20% sur la première tranche de 100.000 euros de revenu imposable, ces dispositifs permettent aux sociétés de management de distribuer des liquidités à une pression fiscale globale d’environ 35%.
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