Samuel Cogolati a pris son bâton de pèlerin pour convaincre des patrons désormais persuadés, plus que les politiques, de la nécessité de “rehausser le niveau d’ambition climatique”. Le jeune leader écologiste nous présente le fruit de ses réflexions qui allient économie et environnement, avec un État stratège, des investissements importants, un protectionnisme vert et la fin de la subsidiation de l’énergie fossile.
Ecolo parle aux entrepreneurs. Le nouveau coprésident Samuel Cogolati, arrivé à la tête du parti en juillet 2024, après une lourde défaite électorale, mène le chantier du renouveau vers une “écologie populaire”. C’est dans ce cadre qu’il expose à Trends-Tendances le volet économique de cette réflexion, contenu dans une note de 15 pages, présentée récemment chez Akt for Wallonia, l’organisme représentant le patronat wallon. Quelque chose a changé chez les verts.
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TRENDS-TENDANCES. Cette nouvelle vision économique d’Ecolo rompt-elle avec le passé ?
SAMUEL COGOLATI. C’est au contraire un retour aux fondamentaux de l’écologie politique. L’autonomie industrielle et la souveraineté énergétique sont depuis toujours au cœur de ce que nous appelons, dans notre note, “l’économie du tournant”. Le monde a complètement basculé avec la situation géopolitique, le développement des empires… Un premier sursaut européen avait eu lieu après la crise du covid. On évoquait alors l’importance de reprendre notre destin en main. On se rendait compte qu’il est impensable de laisser filer de la sorte toutes nos chaînes de valeur, au point d’être incapable de produire des masques. Mais très vite, un an après, tout cela s’est estompé.
La crise énergétique consécutive à la guerre en Ukraine a malmené l’Europe… et les écologistes…
La crise énergétique a polarisé les positions, c’est vrai. Mais le vrai problème, que nous épinglions, c’est que l’Europe est ultra-dépendante, de façon toxique, d’importations d’énergie fossile, avec des prix dont on ne maîtrise pas le cours. Il y a une nécessité pour notre pays de reprendre le contrôle. C’est vraiment la base.
“On ne va pas réussir la transition écologique avec 5% de la population. Il faut embarquer tout le monde. Cela signifie aussi les industriels et les entreprises.”
D’où cette reprise de contact avec le monde économique ?
Nous partons de la conviction que l’on ne va pas réussir la transition écologique avec 5% de la population. Il faut embarquer tout le monde. Cela signifie aussi les industriels et les entreprises. C’était d’ailleurs passionnant de confronter notre vision économique à des décideurs économiques qui vivent ces enjeux au quotidien. Je peux désormais irriguer cette vision avec des exemples concrets.
N’assiste-t-on pas à un retour en arrière environnemental ?
Il y a un retour en arrière écologique au niveau politique, assurément. Cela ne fait pas l’ombre d’un doute. La Commission européenne n’a même plus de commissaire européen au Green Deal et réalise plutôt un pacte brun avec l’extrême droite de Giorgia Meloni en Italie. Au niveau belge, les retours sont assez glaçants avec la diminution des primes à l’isolation, la non-extension du tram à Liège… En revanche, au niveau industriel, on assiste plutôt à un appel à rehausser le niveau d’ambition. Nous sommes confrontés à des entrepreneurs qui nous supplient d’accélérer la transition énergétique et d’améliorer notre souveraineté pour mieux contrôler les prix. C’est un game changer.
Ecolo, de son côté, était tenté par une logique décroissante…
Pendant longtemps, on a opposé de façon stérile économie et écologie. Soit on vantait la nécessité de protéger la biodiversité, soit celle de créer de la valeur. Mais c’est évidemment les deux qu’il faut faire ! Cela dit, l’écologique politique, c’est aussi estimer que l’on doit changer de matrice. Nous devons cesser avec cette économie qui consomme toujours plus de ressources naturelles, forcément limitées. Nous devons nous orienter vers une économie davantage circulaire. C’est ce que font spontanément les entreprises. Nous avons rencontré, chez Akt, le patron de Knauf qui dispose de plusieurs usines en Wallonie, dont une pour produire de la laine de verre, à Visé. Ils ont lancé un projet pilote pour la recycler et éviter qu’elle ne file à la décharge. Mais le problème, c’est qu’aujourd’hui encore, cela coûte plus cher. Voilà pourquoi nous avons besoin d’un État stratège qui peut réorienter l’économie vers ce qui est vertueux, créateur d’emplois et de prospérité soutenable.
Comment faire ?
Il y a plusieurs leviers d’action. Le premier, c’est la fiscalité. Aujourd’hui, nous dépensons toujours plus de 13 milliards d’euros par an dans les aides publiques pour l’énergie fossile. C’est ridicule. En d’autres termes, on subsidie l’ancien monde. On devrait, au contraire, soutenir les innovations technologiques qui vont amener de la prospérité verte soutenable pour demain. Un shift fiscal est indispensable. Nous nous sommes battus pour cela au sein de la Vivaldi, mais nous faisons face à des partis de droite qui prétendent défendre la valeur ‘travail’. Dans les faits, celle-ci est écrasée. C’est incohérent. Nous sommes le pays le plus taxé au niveau des revenus du travail en Europe, mais nous restons un paradis fiscal pour les plus grandes fortunes.
Faut-il aussi sanctionner les comportements qui ne sont pas vertueux sur le plan environnemental ? Ecolo en a souvent payé le prix, électoralement…
D’où la nécessité d’avoir un État stratège qui va encourager les choix les plus vertueux et rendre le vert moins cher, notamment via la TVA pour favoriser la sobriété, les circuits courts, l’efficience énergétique… Cette fiscalité positive doit également doper cette prospérité partagée. Mais il faut être clair : la transition vers une économie décarbonée va coûter de l’argent. Les entrepreneurs sont soucieux de savoir, à juste titre, ce que cela représenterait. Cela a été calculé par l’Institut Rousseau, une institution française renommée : dans un rapport concocté par des économistes européens de haut vol, il précise qu’il faudrait consacrer 2,3% du PIB chaque année d’ici 2050 pour décarboner notre économie.
N’est-ce pas énorme ?
À première vue, cela peut sembler beaucoup : on parle de 260 milliards d’euros. Mais c’est aussi deux fois moins que ce que l’on consacre aux subsides dans les énergies fossiles et c’est trois fois moins que ce que l’on a investi dans le plan de relance post-covid. C’est moins aussi que ce que l’on va investir dans la défense. Et c’est bien moins que le coût potentiel des dommages climatiques. Ce ne sont pas, en outre, des dépenses courantes, mais ce sont de vrais investissements. S’il n’y a qu’une chose à retenir de notre vision, c’est bien de considérer que chaque euro dépensé aujourd’hui dans les énergies fossiles est un euro perdu, qui n’est pas investi dans la décarbonation de notre économie. C’est un euro qui va, en outre, chez nos adversaires politiques, qui nous sont hostiles : la Russie, les régimes pétroliers du Golfe ou encore les États-Unis de Trump. Il est capital de réinvestir ces euros dans ce qui va créer de la richesse pour nos pays. Voilà le message central !
C’est aussi une façon de retourner le message que l’on vous renvoie souvent sur l’écologie punitive ?
Absolument. Ce qui est vraiment punitif, c’est de ne pas vouloir prendre ce tournant et de continuer à jouer l’autruche qui se met la tête dans le sable. Les entrepreneurs sont les premiers à considérer que face au dérèglement climatique, nous sommes dans une voiture qui roule à 200 km/h droit dans le mur. Nous devons changer de modèle ! Soit on le fait de manière forcée en prenant le risque d’être les derniers en étant derrière la Chine, les États-Unis ou l’Inde. Soit on décide de s’investir dès maintenant pour garantir notre autonomie.
Que demandaient principalement les entrepreneurs lors de vos rencontres ?
La leçon la plus marquante que j’ai retenue, c’est qu’ils souhaitent un cap. Quand ils prennent leurs décisions, quand ils vont devant leur conseil d’administration pour défendre un investissement dans une nouvelle filière ou la construction d’une usine sur le sol wallon, ils doivent avoir une clarté de la part du politique. Nous, écologistes, avons mis en place une expérience vers une shifting economy lors de la précédente législature à la Région bruxelloise. En Wallonie, c’est là que le bât blesse : il y a un ‘stop and go’ permanent, avec des invests qui ne vont pas tous dans la même direction, un gouvernement qui change d’avis au moins tous les quatre ou cinq ans. Or, en ce qui concerne la décarbonation, nous devrions tous pouvoir nous rassembler en Europe. Ce défi climatique, nous sommes obligés de le relever ensemble. Je le répète, ce qui change, c’est que les entreprises privées sont désormais les premières à demander que l’on rehausse le niveau d’ambition climatique. Des sociétés comme Unilever, Ikea ou la banque Degroof ont écrit à la Commission européenne pour lui demander d’abaisser les émissions à – 90% d’ici 2040. C’est dingue !
Le sociologue François Gemenne disait que les entreprises seraient les vrais acteurs de changement, davantage que les politiques…
À tout le moins, cela bouge de ce côté-là. David Eloy, du Groupe Eloy, m’a parlé de leur expérience du ciment décarboné, une première : c’est encourageant ! Je pense aussi à Colruyt qui était le premier à investir dans l’éolien offshore, à hauteur d’un milliard et demi. Il y a des entreprises qui montrent la voie, c’est une évidence, et le rôle de l’État consiste à donner le cap pour encourager les changements positifs.
Êtes-vous favorable à la nationalisation des secteurs stratégiques ?
Non, mais nous sommes dans une logique de protection de notre économie. Prenons le secteur du photovoltaïque : nous avions une industrie prospère, surtout en Allemagne, mais aussi chez nous. Toute cette industrie a déménagé vers la Chine, qui contrôle 90% de la filière et utilise de la main-d’œuvre bon marché, notamment dans le Xinjiang. C’est de l’esclavage moderne. Forcément, dans un tel contexte, nous ne pouvons pas être compétitifs.
Il en va de même pour les voitures électriques, d’ailleurs…
Bien sûr. Décide-t-on de laisser nos industries partir en pleurant tous les six mois le départ d’un de nos fleurons ? Ou décide-t-on d’arrêter les frais en réindustrialisant et en protégeant notre industrie via des barrières douanières sociales et environnementales. Je ne parle pas de barrières aveugles à la Trump, décidées à la tête du client. Nous osons parler de protectionnisme vert. Nous avons été beaucoup trop naïfs en Europe, ces dernières décennies. C’est un défaut de cohérence : nous imposons des normes sociales et environnementales très rigoureuses à nos acteurs économiques, mais en les mettant en concurrence avec des acteurs qui n’ont pas ces mêmes règles. Cela ne va pas.
“Les énergies fossiles nous rendent ultra-vulnérables à l’égard d’empires qui nous veulent du mal.”
Que manque-t-il pour générer une prise de conscience politique ? De nouvelles situations d’urgence ?
Pendant longtemps, on a parlé de transition écologique par anticipation, pour éviter des étés caniculaires et pour respecter l’environnement. Mais ce dont on parlait trop peu, c’est de notre autonomie stratégique. Les énergies fossiles nous rendent ultra-vulnérables à l’égard d’empires qui nous veulent du mal. Il faut reprendre le contrôle. Les entreprises, désormais, ont parfaitement pris la mesure de cette urgence.
Profil
• 1989 : Naissance le 12 mars à Huy
• 2013-14 : Master en droit international à la KULeuven et à Harvard
• 2019-2024 : Député fédéral
• Depuis 2024 : Coprésident d’Ecolo