Typhanie Afschrift
Salman Rushdie: défendre nos valeurs
Chacun pense ce qu’il veut de l’oeuvre de Salman Rushdie, et notamment de son livre Les Versets sataniques. On a le droit de penser que l’auteur n’est pas destiné à recevoir le prix Nobel de littérature et que cette oeuvre doit surtout sa notoriété aux menaces qui pèsent sur lui. Mais c’est là un problème de critique littéraire.
La vraie question de civilisation est que nous ne pouvons tolérer, dans un régime qui revendique les libertés, qu’une personne fasse l’objet d’une tentative d’assassinat pour ce qu’il a écrit et qu’un dignitaire religieux, lié au régime iranien, ait appelé et maintenu depuis 30 ans un appel au meurtre contre lui.
Aujourd’hui, l’acte de l’assassin est condamné par beaucoup de dirigeants occidentaux. C’est fort bien, même si certains restent dans un silence coupable et que d’autres se refusent à désigner l’islamisme radical comme le vrai responsable.
Cela fait des années que l’on voit une extrême timidité chez les dirigeants lorsque de tels actes sont commis. Pire, certains réseaux sociaux censurent ceux qui s’expriment contre les fanatiques. Ce fut encore le cas il y a quelques jours de la jeune Française Mila, elle-même victime de menaces de mort de la part de réseaux islamistes, et qui s’est vue, dit-elle, censurée par Instagram simplement pour avoir écrit “Tous avec Rushdie”.
Il est temps de rappeler que si tous les êtres humains, quelles que soient leur religion, leurs pensées et leurs croyances, ont des droits naturels et inaliénables, les opinions n’en ont aucune. Toutes les opinions doivent pouvoir être critiquées, raillées, méprisées dans le cadre d’un débat pacifique mais où tous les arguments sont permis. C’est cela la liberté d’expression.
Certes, l’on nous dira qu’un ouvrage comme celui de Rushdie a “blessé” certaines personnes en raison de sa manière de mettre en scène un personnage considéré par elles comme saint. Elles prétendent devoir être protégées contre la “blessure” qui résulte de l’expression d’opinions qui ne sont pas les leurs. Il est malheureux que dans notre société, de telles revendications aient trouvé un écho.
La liberté d’expression ne doit certes pas servir à porter atteinte à des droits de personnes, ni à susciter des discriminations. Mais on ne peut toucher à la liberté de critiquer les opinions d’autrui, en ce compris les croyances religieuses. La liberté de religion comporte celle de critiquer les religions. Et ceux qui se considèrent comme “blessés” simplement parce qu’on porte atteinte à leurs croyances sont en réalité intolérants parce qu’ils n’acceptent pas que d’autres expriment un point de vue différent.
Cela s’inscrit dans un contexte où les pays occidentaux se croient en devoir de restreindre eux-mêmes la liberté d’expression. Il faut au contraire réaffirmer celle-ci comme une valeur absolue, qui devrait avoir une portée universelle et à laquelle personne, ni nos Etats, ni les assassins, ni d’autres Etats, ne devrait pouvoir porter atteinte.
Il faut cesser de relativiser nos valeurs, comme une certaine sous-culture woke paraît le vouloir. Il faut pouvoir redire qu’un système qui protège les libertés est meilleur qu’un autre, et que ceux qui nient ces libertés doivent être combattus. Salman Rushdie doit pouvoir écrire librement ce qu’il veut, non seulement en Angleterre ou aux Etats-Unis, mais partout ailleurs, y compris en Iran. Parce que son droit à la libre parole n’est pas à la merci d’une autorité, mais résulte du fait qu’il est un être humain.
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