Lire la chronique d' Amid Faljaoui
Rivalité entre Berlin-Paris: ne nous trompons pas d’ennemi
Lorsqu’on livre une guerre même indirecte comme c’est le cas avec la Russie, le plus important, c’est de ne pas se tromper d’ennemi. Vous me direz, “merci de nous rappeler une évidence”. Et pourtant, cette évidence, la France et l’Allemagne sont en train de la perdre de vue…
C’est pourtant à un divorce discret, mais réel qui se déroule en ce moment. Je parle de divorce parce que l’Union européenne a été bâtie, ces dernières décennies, sur ce qu’on a appelé le couple “franco-allemand”. Aucune grande décision n’a été prise sans l’aval des 2 premières puissances économiques de l’Europe. Seulement, voilà, ce couple “franco-allemand” bat de l’aile devant nous et ce couple ne cache plus sa mésentente. Ce qui doit, hélas, faire plaisir à Vladimir Poutine.
Je vous donne quelques exemples de cette mésentente : ce vendredi, le chancelier allemand se rendra en Chine. Ce n’est évidemment pas pour visiter la Grande Muraille, mais pour défendre les intérêts de son industrie. Emmanuel Macron lui avait proposé d’y aller à deux pour montrer au président chinois que l’Europe est solidaire. Sa demande a été refusée par les Allemands. Autre exemple : il y a quelques jours, on a appris que l’Allemagne allait bâtir son bouclier antimissile en faisant appel à des fournisseurs militaires américains et israéliens, alors que des fournisseurs similaires existent en France et en Italie. Et plus récemment encore, c’est le commissaire européen Thierry Breton qui s’étonnait que l’Allemagne accepte de vendre 25% du port de Hambourg à un groupe chinois, alors même que la Commission européenne scrute à la loupe les investissements chinois dans des entreprises ou infrastructures stratégiques. Or, un port, surtout celui de Hambourg, est par définition stratégique.
Cela, c’est pour les griefs, vus de France, mais les Allemands sont aussi méfiants : ils pensent que sur le plan de la défense européenne les Français parlent beaucoup, mais visent, en réalité, à défendre leur propre industrie de l’armement. La preuve, selon eux, c’est que Dassault avance à reculons dans le projet d’avion de combat européen. De même sur le plan énergétique, la France est aussi soupçonnée de défendre avant tout sa filière de centrales nucléaires, sinon comment expliquer qu’elle ait été réticente au projet de gazoduc entre l’Espagne et l’Allemagne ?
En fait, la question qui se pose aujourd’hui est assez simple : cette mésentente, est-elle le fruit de quelques maladresses, de quelques incompréhensions ou est-ce autre chose ?
Et cette autre chose, c’est que l’Allemagne aurait compris qu’elle avait une opportunité historique de devenir le véritable centre de l’Europe, non seulement sur le plan économique, mais aussi sur le plan politique. Comme le Royaume-Uni a quitté l’Europe, comme la menace russe a soudé, comme jamais, les pays baltiques, les pays d’Europe centrale et de l’Est, qui ont en commun de partager des frontières et un passé douloureux avec la Russie ; tout cela contribue à ce que Berlin devienne le nouveau centre de gravité de l’Europe de demain.
Et si vous ajoutez à cela, que plusieurs sondages montrent que les citoyens allemands ne portent plus le fardeau moral du régime nazi, car ils estiment que ni eux, ni leurs parents ne sont concernés par ces agissements d’un autre temps, alors vous voyez surgir une nouvelle Allemagne décomplexée sur le plan politique. Margaret Thatcher disait des Allemands que si vous ne les aviez pas à genoux, vous les aviez à la gorge. Ce genre de propos d’un autre temps n’a plus lieu d’être, et donc, le grand défi aujourd’hui, c’est de reconnaitre la place politique légitime de l’Allemagne, mais sans que cette dernière oublie son rôle de solidarité envers les autres pays européens. Et surtout, s’il vous plaît, ne nous trompons pas d’ennemi : l’ennemi n’est pas à Berlin, mais à Moscou.
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