Renaud Witmeur, de cabinettard au poste de CEO intérimaire de Nethys
Pour démêler les tentacules de la pieuvre Nethys, il faut autant d’expertise juridique et financière que de flair politique. Et surtout un sang-froid à toute épreuve. Renaud Witmeur, 51 ans, était taillé pour la fonction.
Une journée de Renaud Witmeur commence par un bon footing. Si possible très tôt le matin. “Quand tu as couru comme cela, rien ne va t’énerver dans la journée, assure-t-il. Cela va t’aider à garder un calme absolu, de la distance face aux contrariétés. Courir le matin, c’est un peu ma drogue.” Après ça, il peut réorganiser un hôpital déficitaire, négocier des investissements sidérurgiques et même dénouer le sac de noeuds de Nethys. Oui, le président du comité de direction de la Sogepa peut faire tout cela en une journée. “Du temps, nous en avons tous, il faut savoir l’utiliser à bon escient”, résume-t-il humblement.
Je ne suis pas doctrinaire, je regarde les résultats.
Cette carrière, Renaud Witmeur ne l’avait pas prévue. A vrai dire, il n’avait prévu aucune carrière. Il s’est lancé dans des études de droit “de manière non réfléchie”, parce qu’il voulait quelque chose de généraliste qui ne balise pas trop strictement la voie professionnelle future. Il a apprécié cette formation, en particulier “tous les pans du droit liés à l’action politique”, comme le droit public ou le droit constitutionnel. Rien d’étonnant à ce qu’il se retrouve ensuite au cabinet de l’avocat et constitutionnaliste Marc Uyttendaele et assistant à la faculté de droit. A l’ULB, bien entendu. Renaud Witmeur est en effet un libre-exaministe convaincu. Durant ses études, il a milité au sein du Cercle du libre examen où il a côtoyé des Philippe Close (bourgmestre de Bruxelles), Karim Ibourki (président du CSA) ou Eric Mercenier (chef de cabinet du ministre-président de la Région bruxelloise, Rudi Vervoort) qui sont toujours des amis très proches. “On a un lien différent avec les personnes que l’on a connues en dehors du monde professionnel, explique-t-il. Nous avons vécu des choses marquantes ensemble et ce sont des relations qui n’ont strictement rien à voir avec la carrière des uns et des autres.”
Guy Verhofstadt et les Affaires sociales
Vous l’aurez sans doute noté, les copains d’unif cités par Renaud Witmeur sont tous socialistes. Lui-même s’est engagé très tôt dans cette voie puisque, à 15 ans, il présidait les Jeunes socialistes de Uccle. “J’ai donc connu un PS assez minoritaire, sourit-il. Mon engagement n’a jamais dévié : la gauche, libre-exaministe et laïque.”Le Parti socialiste se souviendra de cet engagement : à la fin des années 1990, le bras droit d’Elio Di Rupo, Frédéric Delcor (encore un ami d’unif…) lui propose un poste de conseiller pour les questions de Justice au cabinet du vice-Premier.” Je croyais y entrer pour deux ans, à mi-temps, et je suis financement resté 13 ans dans les cabinets ministériels, raconte Renaud Witmeur. Ce que l’on fait de sa vie, c’est une succession de hasards et d’opportunités, jamais de choix fondamentalement réfléchis.”
Après les élections de 1999, il comptait donc reprendre sa vie d’avocat et d’assistant universitaire. Mais le boulevard de l’Empereur l’appelle alors pour épauler un jeune ministre dans lequel il fonde beaucoup d’espoir. Et c’est ainsi que le tandem Rudy Demotte-Renaud Witmeur – qui ne se connaissaient absolument pas – est formé. Les deux travaillent ensemble au fédéral, à la Région wallonne et à la Communauté française. “Mon meilleur souvenir politique, ce sont les années aux Affaires sociales et à la Santé publique, confie-t-il. La sécurité sociale, le financement des hôpitaux, la lutte contre le tabac, ce sont pour moi des enjeux essentiels.” Des enjeux qu’il continue ensuite à suivre en président notamment l’hôpital Brugmann puis le réseau Iris qui regroupe les hôpitaux publics bruxellois.
De cette époque, il retient aussi l’enthousiasme de Guy Verhofstadt. “Beaucoup occupent le pouvoir pour gérer le quotidien, explique Renaud Witmeur. Lui, il essayait vraiment d’utiliser son pouvoir pour faire changer les choses. Son volontarisme était impressionnant.” Il a aussi conservé des contacts avec Piet Vanthemsche, CD&V bon teint qui a dirigé l’Agence fédérale pour la sécurité de la chaîne alimentaire (Afsca) et préside l’un des groupes d’experts qui conseillent le gouvernement dans la crise du Covid-19. “La collaboration avec Piet fut superbe, assure-t-il. Gérer des crises avec lui, c’est passionnant.” On le voit, l’horizon de Renaud Witmeur ne s’est (heureusement) pas limité aux socialistes francophones… “Débarquer au fédéral, c’est un bel exercice de modestie, analyse-t-il. Vous êtes dans votre petit milieu, où plein de choses semblent évidentes à tout le monde. Et tout d’un coup, vous découvrez que les évidences ne sont pas les mêmes pour tous. C’est intellectuellement très stimulant.”
L’adrénaline de la gestion de crise
Sa période fédérale s’est terminée pendant la longue négociation de l’Orange bleue. Son parti était alors sur la touche et cela lui a laissé un peu de temps pour s’occuper de l’hôpital Brugmann. Mission : sauver une institution qui perdait 16 millions par an. “Cinq ans plus tard, nous en gagnions 11, se félicite Renaud Witmeur. C’est là que j’ai découvert que j’aimais bien ce côté gestion de crise et d’entreprise. Il y a une adrénaline incroyable.” Alors quand une opportunité s’est ouverte à la Sogepa (outil de la Région wallonne pour le soutien aux entreprises en redéploiement), l’homme n’a guère hésité. “Treize ans de cabinet ministériel, c’est déjà trop, dit-il. Ce job doit rester temporaire pour ne pas se couper du monde réel, pour ne pas s’atrophier intellectuellement.” Il découvre le monde des entreprises, des conseils d’administration, des négociations financières. “Je rencontre plein de personnalités formidables, comme Philippe Bodson avec qui j’ai passé des heures et des heures pour relancer Hamon, dit-il. Je me suis forgé une conviction : ce qui fait la différence, ce n’est pas le business plan, c’est la qualité du management.”
Mes amis, j’ai leur numéro de téléphone. Pourquoi aurais-je besoin de Facebook pour rester en contact avec eux ?
Aujourd’hui, tout en dirigeant la Sogepa, Renaud Witmeur a été mandaté par le gouvernement wallon pour assurer le poste de CEO intérimaire de Nethys, le temps de mettre de l’ordre dans les tentacules de la pieuvre liégeoise. “J’essaie d’enlever tout le côté irrationnel de ce dossier, de me baser sur les chiffres réels et sur l’intérêt général, explique-t-il. Je ne suis pas doctrinaire, je regarde les résultats. Pour quelqu’un qui, comme moi, croit en l’initiative industrielle publique, ce dossier est vraiment désolant. Parfois, on était vraiment loin de la recherche de l’intérêt général. Mais bon, il y a moyen de tourner la page et de repartir sur d’autres bases. L’enjeu en vaut la peine.”
Concentré sur les autres
“Si tous les Belges étaient comme moi, l’horeca se porterait bien mieux. J’adore aller au resto“, lâche Renaud Witmeur, dont la ligne ne trahit absolument pas cette passion. Il s’attable plus volontiers dans de sympathiques petites gargotes que dans de grands restaurants étoilés. Par exemple à L’Altro Maccheroni, un italien du centre de Liège, pas très loin des bureaux de la Sogepa. “On a le choix entre deux ou trois plats, des pâtes fraîches, un bonheur”, sourit-il. “J’aime aller au resto, poursuit-il plus sérieusement, car c’est par définition un endroit où l’on est concentré sur les personnes avec qui l’on est. On prend le temps de parler, de rigoler. En famille avec les enfants, c’est super. Mais, c’est aussi très important dans le cadre professionnel. Si vous voulez nouer des relations de confiance avec des investisseurs étrangers, il est important de manger avec eux et de parler de tout et de rien autour de la table.”
Les réseaux sociaux, pourquoi faire ?
“Mes amis, j’ai leur numéro de téléphone. Pourquoi aurais-je besoin de Facebook ou d’Instagram pour rester en contact avec eux ?” Vous l’avez compris : ne cherchez pas Renaud Witmeur sur les réseaux sociaux. Le patron de la Sogepa ne s’y aventure pas, sauf sur LinkedIn pour des raisons professionnelles. “Quand je vais rencontrer un interlocuteur que je ne connais pas, je vais lire son profil LinkedIn avant, dit-il. Et le plus souvent, cela m’est bien utile. Mais pour le reste, je ne vois pas trop l’intérêt.” Le temps qu’il ne perd pas sur les réseaux sociaux, il peut notamment le consacrer à la lecture de la presse. “Chaque matin, je dévore quatre ou cinq titres, j’adore ça.” Ce ne sont pas les journalistes de presse écrite qui le lui reprocheront… Il lit aussi volontiers des romans, surtout des auteurs anglo-saxons (Celeste Ng, par exemple). “J’ai appris l’anglais sur le tard, alors je me rattrape en lisant les versions originales”, précise-t-il.
Ce qu’ils pensent de Renaud Witmeur
Jeanne Brunfaut, Directrice du Centre du cinéma et de l’audiovisuel de la Fédération Wallonie-Bruxelles
“Je connais Renaud depuis l’école secondaire et nous avons continué à nous voir ensuite à l’université. Nous étions dans la même bande de copains et c’est toujours le cas ! Il est le parrain de mon fils aîné et je suis la marraine d’un de ses enfants.
Dans son boulot, Renaud est soumis à de fortes pressions. Le calme avec lequel il y résiste est vraiment impressionnant. Il essaie toujours de remettre les choses dans leur contexte et de rester très raisonné. Avec lui, vous n’avez jamais des avis à l’emporte-pièce. C’est pareil dans les conversations privées. Quand j’ai besoin de conseils professionnels, je fais volontiers appel à lui. Discuter avec Renaud, c’est un bonheur. Il est curieux de tout et donne son avis avec beaucoup d’humilité. Quand il fait une suggestion, ce n’est jamais sur un ton péremptoire. Il est vraiment très respectueux des gens, très attentif aux autres. C’est assez rare de voir des personnes qui abattent un tel boulot et qui restent aussi longtemps dans l’ombre. Il bosse pour faire avancer les dossiers, pas pour faire un ramdam autour de sa personne.”
Philippe Close, Bourgmestre de Bruxelles
“Renaud, je le connais depuis ma première année à l’université. Nous étions ensemble au Cercle du libre examen de l’ULB. Tout ce petit groupe de l’époque est d’ailleurs resté très soudé. Avec Renaud, on se parle quasiment chaque jour. Nos familles partent en vacances ensemble. Dans la politique, nous sommes souvent sur un registre de passion, de séduction. Lui, jamais. Il est toujours très rationnel. Il n’avance pas dans ses dossiers au feeling mais avec méthode, en objectivant les choses pour justement dépassionner les discussions. C’est peut-être pour cela qu’il s’en sort si bien chez Nethys. Il a franchi un cap depuis qu’il est à la Sogepa. Il s’est forgé une belle crédibilité dans le monde de l’entreprise. Renaud est doté d’une intelligence supérieure et d’un très grand esprit de synthèse. Mais ce n’est pas un homme de pouvoir – encore une différence avec le politique : il fonctionne en équipe et sait d’ailleurs très bien s’entourer. Je suis heureux de pouvoir compter sur lui pour mener la réforme des hôpitaux bruxellois. C’est un grand défenseur du service public et un excellent connaisseur de notre système de soins de santé.”
Laurent Levaux, président d’Aviapartner et de la Sogepa
“Nous avions déjà été en contact mais c’est en devenant président de la Sogepa que j’ai vraiment appris à le connaître. J’ai insisté auprès du gouvernement wallon pour qu’il soit désigné CEO intérimaire de Nethys. C’est l’un des meilleurs négociateurs que j’ai croisés dans ma carrière. Juriste, Renaud a aussi acquis de remarquables connaissances financières. Il aurait sans problème pu faire carrière dans une grande banque d’investissements. Renaud a non seulement l’intelligence mais aussi l’éthique. Il travaille, gère et négocie en poursuivant toujours l’intérêt général. C’est vraiment le prototype du grand commis de l’Etat. En riant, je l’appelle Eliott Ness. C’est un incorruptible, il est totalement insensible aux pressions et influences diverses. Par son action, Renaud a gagné le respect de tous les partis. On sait qu’il vient avec ce qu’il considère comme la base stratégique d’une solution juste. C’est un homme d’action, il veut des résultats, pas de la réflexion en chambre. En plus, on le sait peut-être moins, mais il est très drôle. C’est le genre de type qu’on a tous envie d’avoir à sa table.”
Marie-Hélène De Coster, Managing partner de Heidrick & Struggles Belgium
“J’étais en charge du domaine de la santé chez Heidrick & Struggles, je travaillais pour différents hôpitaux belges et Renaud a demandé à me rencontrer. Entre nous, ça a tout de suite bien accroché. Depuis lors, on s’appelle régulièrement pour un avis, un éclairage, un conseil. Une telle relation de confiance, avec un respect total de confidentialité, c’est rare dans notre milieu. Renaud dispose d’un réseau incroyable, il voit et entend énormément de choses. Aujourd’hui, je côtoie aussi Renaud au CA d’Arceo. Je peux y apprécier son intelligence émotionnelle, son calme, son humour, son courage aussi quand il faut aborder des points plus difficiles ou poser et reposer une question tant qu’on n’obtient pas de réponse. Il est alors assez cash, il dit clairement les choses mais toujours de façon constructive et respectueuse. L’essentiel pour lui est de pouvoir faire avancer les choses et d’obtenir des résultats. Notez, il accepte l’inverse aussi : il ne se contente pas de noter les remarques et les interrogations des administrateurs indépendants, il les intègre vraiment dans sa réflexion.”
Philippe Lallemand, CEO d’Ethias
“Je connais Renaud depuis la fin des années 1990. Je dirigeais l’Institut Emile Vandervelde et j’avais engagé son épouse comme collaboratrice pour les Affaires sociales. Renaud travaillait, lui, au cabinet d’Elio Di Rupo. Lors de la constitution des cabinets après les élections de 1999, nous avons pensé à lui pour épauler Rudy Demotte et le tandem a parfaitement fonctionné. Renaud est intelligent mais aussi très tactique. Il parvient à rester calme en toute circonstance. Cette gestion du stress, chez quelqu’un qui a un débit de parole hyper-rapide, est impressionnante. La conversion de la vie politique à la vie économique est parfois compliquée, les chefs d’entreprise regardent ces anciens chefs de cabinet avec un peu de circonspection. Renaud a pourtant rapidement été reconnu par le monde économique. Son sang-froid est précieux pour les gestions de crise. Je ne vois pas beaucoup d’autres personnes capables de réussir le toilettage du dossier Nethys, avec ses composantes politiques, économiques, voire judiciaires. Lui, il maîtrise tout cela et il peut faire le dos rond face aux attaques ad hominem.”
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