“Rappelez-moi la dernière fois que la Chine a accepté de jouer un rôle de médiation internationale ?”
Est-ce que la Chine peut jouer un rôle pour faire cesser la guerre en Ukraine ? Pour ces experts, la réponse est non.
Ce vendredi, sous le patronage de l’association Centre franco-autrichien pour le rapprochement en Europe, plusieurs diplomates et chercheurs ont parlé des relations entre l’Europe et la Chine. Avec bien sûr une question centrale : est-ce que la Chine peut jouer un rôle pour faire cesser la guerre en Ukraine ? Et pour ces experts, la réponse est non, car la vision que l’on a de la Chine sur cette question est souvent erronée.
Pékin ne fait aucune pression sur Moscou pour l’empêcher à utiliser l’arme nucléaire. Vouloir embarquer la Chine dans une médiation pour faire cesser l’agression russe est illusoire, note Marc Julienne, chercheur responsable des activités chinoises auprès de l’IFRI (Institut français des relations internationales). “Le problème majeur en Europe est que les dirigeants européens entendent ce qu’ils souhaitent entendre dans le discours chinois. L’exemple le plus évident est l’usage de l’arme nucléaire, poursuit Marc Julienne. Xi Jinping a répété hier avec Charles Michel ce qu’il avait déjà dit lors de sa rencontre avec le président français Emmanuel Macron, c’est-à-dire l’opposition de la Chine à l’usage de l’arme nucléaire. Les dirigeants européens veulent entendre une position sur la guerre en Ukraine, alors que Xi ne fait que réitérer les principes généraux de doctrine nucléaire chinoise, doctrine constante depuis des décennies, dit-il. En aucun cas, cela n’implique une quelconque pression sur Moscou pour l’empêcher d’utiliser l’arme nucléaire sur le théâtre ukrainien. Si Poutine devait recourir à cette arme, Xi Jinping pourrait toujours prétexter un contexte particulier ou des provocations du monde occidental. Pourtant, les leaders occidentaux présentent ces propos comme un gain”.
La Chine n’a pas intérêt à se mêler de l’Ukraine. Quand on regarde le conflit en Ukraine, la raison pour laquelle la Chine n’a pas intérêt à s’y mêler est parce qu’elle n’a rien à gagner pour faire avancer son problème principal, qui est la question de sa relation avec les États-Unis, abonde Hans Dietmar Schweisgut, ancien chef de la délégation de l’Union européenne en Chine. Car la Chine se préoccupe d’abord de la lutte pour l’hégémonie mondiale. “La Chine se voit de plus en plus confrontée à une politique américaine qui vise à limiter son influence et à freiner ses développements technologiques, développements importants pour sa stratégie militaire et ses développements futurs. Or, jouer le jeu des Américains (en Ukraine) ne changerait pas la politique américaine. Pour la Chine, la Russie est un partenaire indispensable dans cette lutte pour l’hégémonie, et un partenaire indispensable pour les aspirations de la Chine à bâtir un nouvel ordre international. Pour la Chine, ajoute Hans Dietmar Schweisgut, une Europe forte faisant alliance avec les États-Unis n’existe pas. Une Europe isolée est, en revanche, quelque chose qu’elle aimerait voir se développer”.
La Chine n’aime pas les Nations Unies. “Les relations sino-russes sont tout sauf ce que l’on décrit”, poursuit Jean-Maurice Ripert, ancien ambassadeur de France en Chine. La vision du monde de la Chine est celle d’une double rupture”, explique-t-il. Rupture avec les valeurs occidentales de droits de l’homme, de la démocratie… et rupture avec l’ordre international tel qu’il existe depuis 1945. “Il y a là une différence fondamentale avec les Russes, observe-t-il. Les Chinois n’aiment pas les Nations Unies. Les Nations Unies, c’est l’incertitude, le hasard, le compromis. Je ne sais toujours pas comment on dit compromis en chinois. Les Russes à l’inverse sont très attachés à conserver leur droit de véto au Conseil de sécurité”. Le conflit en Ukraine ne réveille donc pas la guerre froide, note le diplomate, car il gêne très fort les intérêts chinois : “Les Chinois ont des intérêts en Ukraine. La guerre est une violation claire de la non-ingérence qui est la bible de la diplomatie chinoise. Les Russes sont aussi des concurrents pour les Chinois, notamment en Afrique ou en Asie centrale. Et surtout, globalement, cette guerre va à l’encontre du discours bénévolent que Pékin avance pour leur initiative “Belt and Road” (la route de la soie, NDLR) : le destin commun de l’humanité, le win-win, on est tous amis, mais l’Occident est une menace…” Or, la guerre commence à créer des turbulences dans les pays du Sud dont certains, comme le Kenya, ont voté contre la Russie aux Nations Unies et dont certains ont aussi un problème d’endettement avec la Chine, souligne Jean-Maurice Ripert. Et par rapport au grand rêve de la nation chinoise – récupérer Hong Kong et Taiwan au sein de la nation, c’est une catastrophe : “il a suffi de quelques semaines après l’invasion de l’Ukraine pour que le président américain Joe Biden dise il ne se passera pas la même chose à Taiwan, ajoutant qu’en cas d’agression, les États-Unis seraient là.”
Conclusion du diplomate français : “Les Chinois naviguent à vue. Certains espèrent qu’ils puissent jouer un rôle de médiateur, mais ce n’est pas du tout dans leur culture. Quand on l’interroge sur le sujet, je réponds toujours : rappelez-moi la dernière fois que les Chinois ont accepté de jouer un rôle de médiation internationale ?”.
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