Qui sont les malades de longue durée ?

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Muriel Lefevre

La Belgique compte plus de 500.000 malades de longue durée et leur nombre ne cesse d’augmenter. Mais qui sont-ils ?

Selon une nouvelle étude des Mutualités Libres, basée sur quelque 2,3 millions d’affiliés, le nombre de Belges en invalidité de plus d’un an a plus que doublé en vingt ans. Publiée dans De Morgen et Le Soir, l’étude révèle que le nombre de malades de longue durée a même progressé de 73 % en onze ans. Et qu’en 2023, une nouvelle incapacité de travail sur cinq a débouché sur une absence de plus d’un an en 2024.

Parmi eux, 300.000 malades sont aujourd’hui considérés comme inaptes jusqu’à la retraite. Frank Vandenbroucke a toutefois mis fin à l’“invalidité à vie”, limitant désormais les périodes d’invalidité à un, deux ou cinq ans. L’Inami peut néanmoins reconnaître une incapacité définitive jusqu’à la pension pour certains cas : cancer avancé, paralysie, démence ou, pour toute autre maladie, sur avis concordant d’au moins deux médecins-conseils.

Cette tendance est confirmée par l’Inami : depuis 2000, leur nombre a bondi de 150 %. En juin 2024, la Belgique comptait 502.580 malades de longue durée, soit 50.000 de plus en deux ans.

En ajoutant les coûts indirects et le manque à gagner pour l’État, la facture grimpe à plus de 20 milliards d’euros par an. Rapporté aux 500.000 malades de longue durée, cela représente 40.000 euros par travailleur.

600.000 en 2035?

Le Bureau fédéral du Plan anticipe que la Belgique comptera 600.000 malades de longue durée en 2035, avec un coût estimé à 13 milliards d’euros. Soit un actif sur dix.

Sur l’ensemble de l’année 2023, l’Inami recensait 526.605 invalides (longue durée ou non), soit plus du double du nombre de chômeurs indemnisés, sans compter les fonctionnaires. Le coût annuel oscille déjà entre 9 et 10 milliards d’euros.

Les données montrent que la plupart des personnes en incapacité de travail – huit sur dix – reprennent leur activité dans l’année. En revanche, celles touchées par un burn-out, une dépression, des troubles musculosquelettiques ou un cancer nécessitent parfois plus d’un an pour se rétablir.

Le problème est profond, structurel et multidimensionnel. Tous les acteurs – malades, entreprises, médecins, mutualités et organismes régionaux – sont concernés. Pour beaucoup, les maladies de longue durée ne sont rien de moins que le mal de ce siècle sur le marché du travail.

Le profil type

Il s’agit le plus souvent d’une personne de plus de 55 ans, généralement une femme, peu diplômée, et plutôt wallonne que flamande ou bruxelloise.

Plus de la moitié des nouvelles incapacités de travail sont liées à des troubles psychosociaux ou musculosquelettiques. Ces pathologies représenteraient jusqu’à 70 % des maladies de longue durée.

La dernière étude des Mutualités Libres nuance toutefois ce portrait. Si les 30-59 ans concentrent encore 80 % des nouveaux cas d’incapacité de travail primaire, les évolutions diffèrent selon les âges : entre 2018 et 2024, les 18-29 ans affichent une hausse de 3,5 %, les 30-39 ans de 8,6 %, tandis que les 40-59 ans sont proportionnellement moins touchés qu’avant. À l’inverse, les plus de 59 ans voient leurs cas exploser : +42 % en six ans.

Les femmes restent surreprésentées (52,7 % des cas), alors qu’elles sont moins nombreuses parmi les titulaires indemnisables. La ménopause, le temps partiel et les attentes sociales (répartition inégale des tâches familiales) expliquent en partie cette vulnérabilité. Le cumul travail-famille conduit encore trop souvent à l’épuisement.

Burn-out en tête

Les troubles psychiques dominent désormais. En 2024, le burn-out/surmenage atteint 11.000 cas, soit une hausse de 94 % depuis 2018. La dépression suit, avec plus de 6.000 dossiers. Ensemble, ces affections représentent plus d’une incapacité sur cinq, touchant particulièrement les femmes (2 cas sur 3) et de plus en plus les jeunes actifs. Entre 2018 et 2024, la part des moins de 30 ans dans les arrêts pour burn-out a augmenté de 22 %.

Les troubles musculosquelettiques restent toutefois importants, représentant encore un quart des arrêts, surtout chez les ouvriers et les travailleurs âgés.

La fragilité croissante des indépendants

Cette nouvelle étude confirme que les indépendants restent particulièrement vulnérables. Leurs entrées en incapacité ont bondi de 49 % depuis 2018, alors que leur poids parmi les bénéficiaires indemnisés demeure stable (20,3 % en 2024).

Ce phénomène s’explique en partie par la tendance de travailleurs plus âgés, privés de contrat stable, à se lancer comme indépendants. Avec une protection financière moindre, ils repoussent souvent le congé maladie, ce qui allonge ensuite la durée de leur absence. C’est aussi souvent une organisation basée sur une personne ou deux, ce qui augmente la pression et l’isolement.

Les principales causes des incapacités de travail des indépendants sont les troubles musculosquelettiques (+ 77% ), le burn-out (+ 67%) et les troubles mentaux et du comportement (+ 58%).

Les Mutualités Libres estiment qu’il est urgent d’adapter la prise en charge aux profils, en particulier pour les indépendants. Le ministre de la Santé, Frank Vandenbroucke (Vooruit), qui défend une politique de “retour au travail”, promet de renforcer leur protection sociale et leur accompagnement.

« Plus on prend des mesures restrictives, plus on risque d’avoir des gens qui vont choisir l’absentéisme »

Le programme gouvernemental fait de l’accompagnement et de la réintégration des malades une priorité. Ceux qui ne répondent pas aux convocations ou questionnaires voient leurs allocations réduites ; les entreprises doivent continuer à payer 30 % des indemnités ; et les médecins sont chargés d’évaluer les capacités résiduelles des patients.

Mais avec la fin du RCC (ex-prépension), le durcissement de l’accès à la pension et le renvoi des chômeurs de longue durée vers les CPAS, les risques augmentent.
« Dès qu’on touche aux fins de carrière, le nombre de malades de longue durée grimpe. Ce n’est pas une hypothèse, c’est un fait observé. La seule vraie question, c’est : de combien vont-ils encore augmenter ? », alerte Xavier Brenez, directeur général des Mutualités Libres.
« Avec la limitation des allocations de chômage à deux ans, certains basculeront aussi vers la maladie de longue durée », confirme Luc Herry, médecin et président de l’Absym. Face à la perspective de tomber au revenu d’insertion (RIS), certains exclus du chômage se tourneront vers l’assurance maladie-invalidité, parfois avec la complaisance de médecins.

« Plus on prend des mesures restrictives, plus on risque d’avoir des gens qui vont choisir l’absentéisme », constate froidement Bart Teuwen, directeur de Certimed, leader du marché des contrôles médicaux.

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