La Belgique est au cœur du débat sur la saisie des avoirs russes actuellement gelés. Mais une saisie risque d’entraîner d’énormes conséquences sur le système financier et sur l’euro.
Alors que les Etats-Unis se sont retirés de l’aide à Ukraine – Donald Trump a certes revu sa position sur la Russie, mais cela signifie seulement qu’il accepte de nous vendre des armes qui seront ensuite livrées à l’Ukraine, pas de les donner – l’Europe supporte donc presque seule la charge totale d’aider Kyiv dans sa guerre contre Moscou. Pour la mener, l’Ukraine a besoin de 100 milliards d’euros par an environ.
Pourquoi les avoirs russes reviennent sur le tapis
Comme l’Europe ne veut pas tomber dans l’économie de guerre, elle doit donc trouver une bonne partie de cet argent quelque part. C’est pour cela que le dossier de la saisie des avoirs russes gelés depuis 2022 revient avec insistance sur le tapis. L’idée, portée par la majorité des pays européens et la Commission européenne, est d’utiliser ces avoirs – logés en grande partie chez Euroclear à Bruxelles et estimés à environ 180-200 milliards d’euros – en garantie pour un prêt de 140 milliards d’euros à l’Ukraine.
Mais depuis longtemps, les gouvernements belges successifs – celui d’Alexander De Croo puis celui de Bart De Wever – freinent des quatre fers : une saisie pourrait avoir d’énormes conséquences, dommageables non seulement pour Euroclear, un des fleurons financiers belges, mais aussi, bien plus largement, pour l’euro et le système financier occidental dans son ensemble.
Pourquoi il n’y a pas encore de confiscation
Car si pour l’instant une partie de l’aide à l’Ukraine est déjà payée sur les avoirs russes, c’est en allant puiser uniquement dans les intérêts générés par ces avoirs gelés. Euroclear est en effet un dépositaire. Ce n’est pas une véritable banque qui verse des intérêts à ceux qui viennent déposer leurs titres chez elle. C’est sur cette faille – le fait que la Russie n’est pas censée recevoir des intérêts sur le cash déposé chez Euroclear – que l’aide à l’Ukraine se base aujourd’hui : Euroclear place l’argent russe (les avoirs russes étaient au départ des obligations, mais beaucoup arrivent à échéance, et elles ont versé des intérêts entretemps) auprès de la facilité de dépôt de la Banque centrale européenne, qui lui verse des intérêts (aujourd’hui de 2%), qui sont reversés à l’Ukraine. Nous ne sommes donc pas encore dans un mécanisme de saisie et de confiscation.
Mais si l’Europe saisit les avoirs russes pour qu’ils servent de garantie à un prêt à l’Ukraine, elle franchit un pas supplémentaire considérable. D’abord parce que la Russie va accélérer ses mesures de rétorsion. Elle a déjà mis la main sur pas mal d’entreprises occidentales, mais il reste encore des sociétés – Pepsico, Unicredit, Raiffeisen, Mondelez…- qui opèrent en Russie. Il y a aussi des avoirs occidentaux qui sont pour l’instant gelés auprès du dépositaire russe, de la même manière que les avoirs russes sont gelés auprès du dépositaire belge. Difficile de savoir combien. La Russie clame qu’elle détient 300 milliards de dollars, mais c’est évidemment largement exagéré.
Pourquoi une confiscation n’est pas sans danger
Toutefois, le plus grand danger d’une confiscation des avoirs russes serait de faire exploser le système financier occidental, et d’entamer la crédibilité de l’euro comme monnaie de réserve, utilisée actuellement par de nombreux pays, y compris la Chine. Christine Lagarde, la présidente de la Banque centrale européenne, a d’ailleurs averti : saisir les avoirs russes ne serait pas sans conséquences sur la monnaie unique, qui pourriat perdre son statut de monnaie de réserve, plus vite encore que le dollar (qui reste adossé à la puissance militaire américaine). Car une saisie signifierait aux yeux du monde, et plus spécialement du Sud global, qu’Euroclear n’est plus un dépositaire fiable, puisque ce coffre-fort numérique peut être forcé par les autorités occidentales sous le couvert d’imposer des sanctions. La Chine, l’Inde, le Brésil seraient donc tentés de créer un système financier parallèle (la Chine en jette déjà les bases), retirant d’énormes quantités de titres déposés actuellement chez nous pour les déposer ailleurs.
Ce système financier parallèle ne se contenterait pas de créer un dépositaire alternatif à Euroclear, mais mettrait également sur pied un autre système de paiement . C’est donc la survie d’un pan important de l’architecture financière qui est en jeu, et la situation est une menace directe pour les entreprises belges du secteur que sont Euroclear ou Swift. C’est d’ailleurs en partie pour cela que la France, qui est elle aussi actionnaire d’Euroclear, partage les réticences de la Belgique.
Pourquoi De Wever demande la garantie de tous
Ce jeudi, à Copenhague, lors du sommet des chefs d’Etat et de gouvernement européens, le Premier ministre Bart De Wever a rappelé la position belge. Notre pays n’est pas opposé à trouver une solution, mais «nous devons le faire dans le respect du droit international». Bart De Wever rappelle «les actions en justice déjà entamées par des Russes pour récupérer cet argent». Il souligne que déjà certains responsables d’Euroclear vivent sous protection, et il rappelle aussi que « de l’argent occidental est immobilisé en Russie».
En fait, nous sommes incapables de définir précisément ce que sera la réaction russe, ni sur les montants occidentaux qui pourraient être confisqués en représailles, ni sur la saisie des entreprises occidentales opérant encore en Russie, ni si d’autres représailles plus violentes encore ne risquent pas de s’abattre. «J’ai déjà entendu dire à Moscou que si vous touchez à mon argent, vous en subirez les conséquences jusqu’à l’éternité. C’est long, l’éternité», observe Bart De Wever.
Bart De Wever demande aussi que les pays alliés fassent plus de transparence sur les avoirs russes qu’ils détiennent. Il estime qu’en dehors des 180-200 milliards d’euros détenus en Belgique, il y aurait 160 autres milliards détenus ailleurs. Où ? Par qui ? Comment ? Il souhaite aussi que si les avoirs russes devaient être saisis, il y ait une solidarité totale des pays européens pour qu’ils s’engagent fermement à supporter les risques. « Je veux votre signature », dit De Wever. La Présidente de la Commission,
Ursula von der Leyen, estime aussi que « le risque doit être porté par tous ». Mais cela reste encore très, trop vague.