Pourquoi la Belgique a-t-elle du mal à utiliser les fonds européens ?

Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

En présentant le rapport de la Cour des Comptes européenne, Annemie Turtelboom, membre belge de la Cour, a souligné le faible taux d’absorption des fonds structurels par notre pays.

« En  Belgique, un élément est frappant, note Annemie Turtelboom, membre belge de la Cour des Comptes européenne. C’est notre faible taux d’absorption ». Autrement dit nous ne sommes pas bons pour profiter pleinement de la dotation de l’argent européen. « C’est économiquement dommageable, car au plus vite cet argent européen est absorbé, au plus vite il entre dans l’économie et au plus vite l’économie peut bénéficier de cette plus-value. Et la rapidité avec laquelle un pays absorbe les fonds est également un signe d’une bonne gestion financière », ajoute Annemie Turtelboom.

Pas le signe d’une bonne gestion

En 2023, le montant total des paiements au titre des Fonds structurels et d’investissement qui avait été consenti pour la période 2014-2020 a atteint 450,6 milliards d’euros, ce qui correspond à un taux d’absorption de 91,5 % de la dotation totale de 492,6 milliards d’euros. Mais la Belgique est en dessous de cette moyenne . « Nous sommes en 19e position, avec un taux d’absorption de ces fonds de 88% », regrette Annemie Turtelboom. C’est bien loin de pays comme la République tchèque, l’Irlande ou la Hongrie qui ont des taux de 98-99%.

Ainsi, sur le paquet de subventions prévu d’un peu plus de 3 milliards d’euros de fonds structurels, la Belgique n’a rentré des dossiers que pour 2,65 milliards d’euros. Il reste donc environ 350 millions à dépenser. Des subventions qui risquent de se volatiliser si elles ne sont pas utilisées dans les temps.

« Nous n’avons jamais fait d’analyse par Etat membre  et je ne peux donc pas dire pourquoi la Belgique a tant de mal à absorber ces fonds. Cela pourrait être en raison de la complexité de l’Etat, mais je ne peux pas vraiment l’affirmer. Mais la situation se détériore. Il y a cinq ans, le taux d’absorption en Belgique était meilleur qu’aujourd’hui. »

La Cour est plus sévère encore en ce qui concerne le budget de l’Union européenne. Un budget relativement restreint : il  s’élève à 191 milliards d’euros, à quoi s’ajoutent 48 milliards du FRR, la « facilité pour la reprise et la résilience », le principal instrument de financement de Next Generation EU, le plan de relance post-covid.

Opinion défavorable

Si la Cour des Comptes n’a aucune observation majeure sur les recettes du budget européen, elle est en revanche très critique sur le volet dépense, sur lequel elle donne une « opinion défavorable », et ce pour la cinquième année d’affilée !

La Cour constate en effet une hausse sensible des erreurs. Une erreur c’est une dépense qui n’aurait pas dû être financée sur le budget de l’Union, parce que, explique la Cour, cet argent « n’est pas employé conformément à la législation de l’UE en vigueur et n’est donc pas dépensé comme le prévoyaient le Conseil et le Parlement européen lors de l’adoption de cette législation, ou lorsqu’il n’est pas utilisé conformément aux règles nationales spécifiques ».

« Nous donnons une évaluation négative des dépenses du budget général, car le taux d’erreur ne cesse d’augmenter. Alors qu’il était de 2,7 % en 2019, 3% en 2021, 4% en 2022 et 5,6% en 2023 », souligne Annemie Turtelboom . C’est particulièrement le cas des Fonds de cohésion, qui représentent près de 40 % du budget européen, et pour lesquels la marge d’erreur dépasse les 9% » , dit-elle. Et on peut penser que ce qui est vrai pour les fonds de cohésion est vrai aussi pour le FRR, le fonds de résilience, pour lequel la Belgique a reçu une avance de 770 millions en juillet dernier. Annemie Turtelboom donne d’ailleurs l’exemple d’un projet ferroviaire français qui a bénéficié de ce fonds de résilience alors que les bons de commande pour ce projet avaient été élis avant la période du covid.

Erreurs et fraudes

 « La plupart des erreurs concernent le non-respect des règles en matière d’aides d’État et les marchés publics, et à des projets qui ne sont normalement pas subsidiables», précise Annemie Turtelboom.

Une erreur n’est pas une fraude mais ce n’est pas non plus un signe de bonne gestion financière. « Je vous donne un exemple. Si à un certain moment une institution a un projet pour laquelle elle n’a pas publié un avis de marché, il est tout à fait possible qu’elle utilise cet argent de manière non frauduleuse, mais le fait que toutes les entreprises n’aient pas eu la possibilité de participer à ce marché n’est pas non plus le signe d’une bonne gestion financière. »

Pourquoi tant d’erreurs ? « Nous voyons plusieurs raisons. Tout d’abord, c’est la fin d’un cadre pluriannuel, ce qui signifie qu’il y a une certaine pression (sur les administrations nationales) pour absorber les budgets européens.  Ce ne sont donc pas toujours les meilleurs projets qui sont présentés. En 2020, les États membres ont également bénéficié d’une grande flexibilité dans la reprogrammation des fonds et dans la déclaration des dépenses. Une plus grande flexibilité signifie également qu’une plus grande créativité était possible. Et troisièmement, en cette période post-covid, il est devenu plus difficile pour les autorités d’effectuer davantage de contrôles et de vérifications, ce qui, bien entendu, a également un impact négatif sur le taux d’erreur. »

« Le taux d’erreur n’est pas une mesure de la fraude, de l’inefficacité ou du gaspillage, rappelle Annemie Turtelboom. Il s’agit d’une estimation du montant d’argent qui n’a pas été utilisé conformément aux règles européennes ou nationales en vigueur. Néanmoins, nous signalons régulièrement des cas de suspicion de fraude. Cette année, nous avons signalé vingt cas, contre 14 en 2022. L’OLAF a ouvert 4 enquêtes et 17 de ces cas ont été parallèlement signalés au parquet européen, qui a ouvert 9 enquêtes », ajoute-t-elle.

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