Pour Gabriel Zucman, sa taxe sur les hauts patrimoines ne provoquera pas d’exil fiscal

Gabriel Zucman
L’économiste français Gabriel Zucman, en 2021. © FRANCOIS WALSCHAERTS/AFP via Getty Images
Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

En réponse au Premier ministre français François Bayrou, qui avait dit voici quelques jours qu’une taxe sur les hauts patrimoines susciterait un « nomadisme fiscal », l’économiste brandit plusieurs études montrant que dans les pays où une telle taxe a été adoptée, on n’observe pratiquement pas d’exils fiscaux.

L’économiste français Gabriel Zucman, qui étudie depuis des années les inégalités et les paradis fiscaux, propose depuis un certain temps déjà d’imposer annuellement les hauts patrimoines (on parle de plus de 100 millions) à hauteur de 2%. Une mesure destinée à corriger le fait que la fiscalité en France, mais aussi en Belgique, n’est pas progressive. Les classes moyennes paient en effet en proportion un taux d’imposition plus élevé que les hauts patrimoines.

Cette proposition est discutée en France, mais aussi chez nous, avec un fort bémol toutefois :  on ne parle plus de taxe sur les gros patrimoines de plus de 100 millions, mais de « taxe des millionnaires », soit des patrimoines nettement plus petits. Le PTB voudrait par exemple imposer l’équivalent de la taxe Zucman, soit 2% de ponction annuelle, sur les patrimoines supérieurs à 2 millions et 3% au-delà de 10 millions. Le PS a une taxe plus progressive : 1% sur les patrimoines de plus de 5 millions, 2% sur ceux de plus de 100 millions. Ecolo soutient lui aussi une taxe sur le patrimoine des plus riches.

Zucman surpris

La taxe proposée par l’économiste a été spécialement visée par le Premier ministre français, François Bayrou, ces derniers jours, qui n’y voit pas un bon moyen pour redresser les finances de l’Etat. « La taxe Zucman est une menace sur les investissements en France », estime le Premier ministre français, qui évoque aussi le risque de départ des hauts patrimoines du pays et de réduction des investissements.

Dans une réponse sur les réseau sociaux (X), Gabriel Zucman répond à ces critiques et défend sa proposition. » Interpellant François Bayrou, il se dit « très surpris par vos propos sur l’impôt minimal sur les ultra-riches, soit les patrimoines de plus de 100 millions d’euros, environ 1.800 foyers fiscaux ».

Cette taxe ne provoquerait pas un risque de fuite des investissements, poursuit Gabriel Zucman. «  Cet argument est incompréhensible, dit-il. Car l’impôt plancher ne touche pas les entreprises, mais les ultra-riches, sur leur fortune mondiale Il ne changerait rien à l’attractivité de notre pays pour les investissements étrangers. »

François Bayrou avait aussi évoqué l’inconstitutionnalité d’une telle mesure qui serait confiscatoire.  « Qui peut sérieusement évoquer un risque de “confiscation” quand on parle d’un impôt maintenant un socle de 100 millions ? », répond Gabriel Zucman, qui ajoute qu’une taxe de même nature existe déjà en France, la taxe foncière, qui s’applique chaque année à un patrimoine immobilier.

Quant au risque de provoquer un exil fiscal, il est très faible. « Commençons par l’étude de grande qualité menée récemment sur les données administratives suédoises et norvégiennes Sa conclusion ? un impôt sur la fortune au taux de 1% sur les hauts patrimoines provoque le départ à long terme de… moins de 2% des contribuables concernés. Ce n’est pas seulement que le nombre de départs est très faible, c’est surtout que leur effet économique est négligeable : une baisse de 0,05% de l’emploi total et de 0,07 % de l’investissement total, d’après les auteurs», observe Gabriel Zucman, qui cite également une étude britannique et le très faible retour fiscal en France de l’abolition de l’impôt sur la fortune, une abolition qui a fait perdre au Trésor français 4 milliards d’euros de recettes par an.

Comme une exit tax

François Bayrou expliquait aussi que techniquement, une telle taxe serait très difficile à mettre en œuvre car elle nécessiterait de renégocier les conventions fiscales passées entre la France et les pays tiers. Pas du tout, répond Gabriel Zucman, qui explique que l’on peut la structurer sous la forme d’une exit tax (taxe à la sortie),  qui existe déjà : « On peut tout à fait la mettre en œuvre sans renégocier les conventions, par exemple en le structurant sous forme d’une taxe payable au moment du départ (quand la personne est encore résidente française), avec paiements étalés sur 5 ans. »

Et Gabriel Zucman conclut ; « Il y a bien sûr de nombreux détails qui mériteront une attention extrême. Mais n’inventons pas des obstacles juridiques ou économiques inexistants. Le choix nous appartient : tolérer l’injustice fiscale actuelle, ou bien y remédier et récupérer 20 milliards ».

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