Rudy Aernoudt
Politique monétaire: “Le robinet miracle”
Les économistes distinguent politique budgétaire et politique monétaire, qui, réalisée au sein des banques centrales indépendantes, est destinée à assurer la stabilité de la monnaie et des prix. Il est toutefois tentant, surtout dans un contexte de crise, pour une stratégie budgétaire politisée, de contrôler la politique monétaire et de l’utiliser pour financer la dette publique.
La dette de la Belgique devrait gonfler de 40 milliards d’euros cette année sous l’effet, principalement, des mesures imposées par la crise sanitaire. Elle devrait donc atteindre quelque 115 % du produit intérieur brut du pays, soit près du double des 60 % requis pour pouvoir intégrer l’Union économique et monétaire (UEM). L’un des objectifs de l’UEM était que les gouvernements nationaux abandonnent leur politique monétaire dans les mains de la Banque centrale européenne (BCE), elle-même chargée de garantir la stabilité monétaire et de contrôler une inflation que l’on voulait proche de 2 %.
Les banques centrales peuvent créer de l’argent à partir de rien. Elles disposent pour cela de trois outils. Le plus parlant est la planche à billets. Le deuxième, le rachat de titres de dette dans le cadre des programmes dits ” bazooka “. Vingt pour cent des dettes publiques européennes sont d’ores et déjà détenues par la BCE (chiffre arrêté à la fin de 2019) et tout porte à croire que les interventions actuelles vont faire grimper cette proportion à 30 % : nous assistons donc là, de facto, à une confusion entre politique monétaire et politique budgétaire. Enfin, le troisième outil, qui est aussi le plus utilisé, est celui de l’emprunt auprès des banques commerciales, lesquelles, en consentant des crédits aux ménages et aux entreprises, mettent un multiple (certes limité par les mesures de régulation) de leurs capitaux propres à disposition.
La création monétaire au sein de la zone euro s’est élevée, ces deux dernières décennies, à 5,9 % l’an en moyenne, pour une croissance économique de 2,7 %. Or, l’inflation demeure historiquement faible. Il faut savoir que la création est en partie annihilée par le fait que, faute de croissance économique et donc de demande de crédits en suffisance, les banques confient leurs excédents de liquidités à la BCE. Même le taux négatif désormais appliqué à ces dépôts ne suffit pas à les en dissuader. Selon les estimations, 70 % de la monnaie créée sont annulés du fait de ces comptes détenus auprès de la BCE. Pour couronner le tout, la majorité de cet argent ne sort pas du circuit financier. La solution n’est donc pas de continuer à créer du numéraire, mais de relancer rapidement l’économie réelle.
Le fait que la création monétaire n’engendre plus d’inflation inspire nombre d’esprits créatifs qui con-seillent de lier (encore plus) politique budgétaire et monétaire. Rembourser ne semble plus d’actualité : créons de l’argent, conseillent certains économistes pour escamoter la dette. Ce qui revient, pour la BCE, à financer directement les Etats. Pour ceux-ci, cette stratégie de financement par la monnaie est un moyen d’obtenir de l’argent très bon marché ; de l’argent créé une fois encore ex nihilo, ce qui donne l’illusion d’une absence de restrictions budgétaires et ouvre la porte à toutes les gabegies.
A terme, cette politique fait entrer le pays, ou le groupe de pays, dans un cercle vicieux où se côtoient dérapage budgétaire, hyperinflation et dévalorisations de la monnaie, d’où son inapplication – à juste titre – à la BCE. Pourquoi, suggèrent dès lors certains, les Etats eux-mêmes n’émettraient-ils pas des obligations perpétuelles que leur banque nationale achèterait, ce qui permettrait de contourner, d’une part, les critères européens et de l’autre, l’absence de compétences monétaires nationales ? Ce qui revient à prétendre que la dette disparaîtrait d’elle-même.
J’appartiens encore à la vieille école. Celle de Milton Friedman. Celle qui affirme que stimuler l’économie passe non pas par la création de billets mais par la mise en place de paramètres structurels (captal-risque en suffisance, régimes de garantie des crédits, marché de l’emploi flexible, simplicité administrative, fiscalité propice, travailleurs qualifiés, etc.).
Une dette publique est une dette, au même titre qu’une dette d’entreprise ou une dette privée en est une. On ne l’escamote pas d’un coup de baguette magique. D’une dette, on peut faire deux choses, pas plus : la rembourser, ou en différer le remboursement. Différer le remboursement d’une dette publique revient à la faire supporter par la génération suivante. Tout bébé né en Belgique aujourd’hui est d’ores et déjà débiteur d’un montant de 45.000 euros. N’est-ce pas encore assez ?
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