Paul Vacca
Plus on est de stars…
La star de cinéma est passée d’un espace “platonicien”, universel et ouvert, à un monde “aristotélicien”, segmenté et polarisé.
Attention, une star peut en cacher beaucoup d’autres. Don’t Look Up, la comédie satirique d’Adam McKay visible depuis le 5 décembre sur Netflix, aligne au générique non pas une, deux, trois ou quatre stars mais une bonne dizaine: Leonardo DiCaprio, Jennifer Lawrence, Tyler Perry, Cate Blanchett, Ariana Grande, Jonah Hill, Meryl Streep, Timothée Chalamet… Spider-Man: No Way Home sorti le 17 décembre au cinéma propose également une brochette bien garnie de stars dont pas moins de trois sous le costume de Spider-Man (Tom Holland, Tobey Maguire et Andrew Garfield). Ce fut le cas aussi avec A couteaux tirés, House of Gucci, Les Eternels ou Red Notice. Et ce le sera aussi bientôt avec Mort sur le Nil ou le prochain Guillermo Del Toro, Nightmare Alley dont le casting comprend pas moins de 22 nominations aux Oscars et trois Oscars. Sans oublier bien sûr les films de super-héros. Ainsi, The Avengers: Endgame comptait pas moins de 20 acteurs puisés dans la fameuse A-list.
La star de cinéma est passée d’un espace “platonicien”, universel et ouvert, à un monde “aristotélicien”, segmenté et polarisé.
On nous rétorquera que la tendance des castings “all stars” a toujours existé. Notamment dans les productions internationales, où chaque pays coproducteur apportait au pot commun sa star locale, ou avec des “films de potes” dans l’esprit de la franchise Ocean Eleven ou The Expendables. Sauf qu’aujourd’hui, la tendance est devenue lame de fond. Un modèle économique à part entière. Une équation industrielle paradoxale à première vue puisqu’elle poserait comme principe que pour récolter plus au box-office, il faudrait dépenser beaucoup plus dans le casting (on parle bien de dizaines de millions de dollars par acteur).
Bizarre, mais pas absurde. Cela répond à un changement de paradigme auquel sont confrontés tous les acteurs culturels aujourd’hui, jetés à corps perdu dans la bataille de l’attention. La star, même au temps mythique de sa splendeur, lorsqu’elle était intouchable et déifiée, ne représentait rien de plus dans la machine hollywoodienne qu’une assurance-risque: non pas en garantissant nécessairement un nombre d’entrées (seul le destin en décide) mais en permettant aux cadres des studios de conserver leur poste et de pouvoir monter le film. La différence, c’est qu’à l’époque, une star pouvait suffire pour assurer le lancement d’un film. Celle-ci, par sa capacité à rayonner, touchait l’ensemble des publics et des générations et parvenait à les fédérer autour de son aura. Souvenez- vous de Belmondo, Delon ou Schwarzenegger… Aujourd’hui, la star ne possède plus ce magnétisme fédérateur. Et si elle continue indéniablement de rayonner et d’électriser ses fans, c’est au sein d’une niche, d’un segment de public, parfois vertigineux certes (Ariana Grande compte 284 millions d’abonnés sur Instagram) mais jamais universel.
De fait, la star de cinéma est passée d’un espace “platonicien”, universel et ouvert, à un monde “aristotélicien”, segmenté et polarisé. Et face à cette nouvelle donne morcelée, pratiquement aucune star n’est capable de porter à elle seule un film dans l’Olympe du box-office. Les studios se trouvent alors dans l’obligation d’additionner les niches par la multiplication des têtes d’affiche se mettant soudain à ressembler à des sélectionneurs d’équipe de football.
Dans ce nouveau mercato, les stars s’y retrouvent, elles aussi. Ce qu’elles perdent en rayonnement, elles le gagnent en sécurité. Car si elles partagent l’affiche, elles ne divisent pas pour autant leur cachet (on a évoqué 30 millions de dollars pour DiCaprio pour Don’t Look Up). Avec une impunité totale en cas d’échec: sur un casting d’une dizaine de stars, qui incriminer? Comme quoi, le statut de star consiste bien, d’une manière ou d’une autre, à être intouchable.
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