Philippe Henry (Ecolo): “La Wallonie reste la plus ambitieuse pour le climat, mais…”
Le ministre wallon du Climat et de l’Energie reconnaît que la crise sanitaire et les inondations ont contrarié les plans wallons: “on arrive à la limite de nos capacités”. Mais la détermination demeure: “on n’a pas le choix”. La clarté va enfin être faite sur la sortie du nucléaire, se réjouit-il. Objectifs, désormais: réduire la consommation (isolation des bâtiments, -30% des voitures…) et doper le renouvelable. A mi-législature, il annonce des mesures importantes. Suffisantes?
Les semaines à venir seront décisives pour le climat et l’énergie en Belgique. Alors que la COP26 se penchera à Glasgow sur les objectifs internationaux à l’échelle de la planète, notre pays doit confirmer la sortie du nucléaire à l’horizon 2025. Une sortie harmonieuse nécessitera un développement important des énergies renouvelables et une maîtrise de la consommation d’énergie. Philippe Henry, ministre wallon de l’Energie, souligne que l’humanité n’a pas le choix. Les ambitions wallonnes restent grandes, mais la crise sanitaire et les inondations ont marqué un coup d’arrêt . Comment éviter ce que certains craignent, une législature perdue? L’écologiste fait le point pour Trends Tendances et annonce des développements importants sur la Pax Eolienica et les Communtés locales d’énergie.
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Lors de la formation de votre gouvernement, la Région wallonne a décrété les objectifs climatiques les plus ambitieux de tout le pays. Comment faire pour élaborer un plan qui correspond à cette ambition ?
Nous avons effectivement décidé d’objectifs très ambitieux à la création du gouvernement wallon. Pour Ecolo, c’était fondateur de notre participation. C’était vraiment les 55% climat avec des investissements et des politiques dans tous les secteurs, notamment l’isolation des bâtiments, la mobilité, tout en continuant le travail entamé dans le renouvelable. Cela induisait des réorientations dans les investissements. C’est pourquoi j’ai aussi pris la compétence pour les travaux afin d’agir pour les pistes cyclables, les sites propres pour les transports en commun… Si on n’investit pas, il n’y a pas suffisamment de choix pour la population et le transport modal ne s’opère pas.
Cette volonté d’investir massivement nécessitait de plaider auprès de l’Europe: en raison de cette politique climatique ambitieuse, nous avions besoin d’un marge d’investissements suffisante. A l’époque, c’était un discours assez inédit, qui a été largement repris depuis. Ce plan de transition représentait des investissements de l’ordre de 600 millions d’euros par an que l’on voulait sortir de la norme d’endettement.
Cet objectif de réduction de 55% est très ambitieux, mais il est en même réaliste du point de vue climatique : grosso modo, cela correspond à l’accord de Paris, fondamental, de 2015, qui fixait pour la première fois fixait un engagement mondial de limitation du réchauffement à 2° et si possible à 1,5°, basé sur les contributions volontaires des pays. Toutes ces contributions, encore aujourd’hui, en suffisent pas à atteindre l’objectif. Si on fait le compte, nous sommes au-delà de 3°: l’engagement actuel de tout le monde ne suffit pas à atteindre les objectifs. Cela va être un élément central de la COP26 de Glasgow, qui est le rendez-vous de rehausse des accords de Paris.
Depuis Paris, l’Europe a rehaussé fortement sa contribution puisqu’elle a adopté fortement sa contribution puisqu’elle a adopté l’objectif global de réduction de 55% des émissions européennes qui se traduit par un énorme paquet législatif avec des directives sur les carburants, les transports, les bâtiments… Cela se traduit notamment par un objectif de 65% sur l’industrie en 2030 et la décarbonation totale en 2050, un volet qui est géré au niveau européen. Le reste des 55% se décline au niveau de chaque Etat: pour la Belgique, cet objectif est de 47% de réduction des émissions. Dans l’accord initial de gouvernement, ave les 55%, on était donc plus ambitieux et on le reste.
Mais depuis, deux crises sont passées par là, la pandémie et les inondations. Cela contrarie-t-il l’objectif?
Ce sont des crises tout à fait majeures qui ne sont pas indépendantes du sujet. La crise sanitaire, on ne peut pas la lier complètement au réchauffement climatique, les causes ne sont pas tout à fait établies, mais c’est quand même une crise mondiale de la circulation des biens, de la relation avec la nature… En tout cas, la deuxième crise, les inondations, est clairement attribuée au dérèglement climatique: c’est exactement le genre de phénomène annoncé par les scientifiques comme devant se reproduire plus fréquemment.
Mais leur effet réduit-il sur votre ambition?
La première crise nous a causé énormément de difficultés, on a dû gérer, inventé des choses inconnues: le confinement, la mise en oeuvre de budgets considérables pour soutenir les entreprises et la population, la mise en oeuvre de la vaccination… Il n’y a jamais eu de gouvernement wallon qui a travaillé autant d’heures ensemble. Cela a retardé certaines choses, c’est vrai, mais par contre, cela a produit certains changements qui n’étaient pas prévus, notamment avec l’émergence du télétravail ou une demande très forte de mobilité alternative dont il restera quelque chose. Nous sommes toujours en rupture de stocks sur les vélos, notamment parce que la production des dérailleurs dépend d’une seule firme en Corée. Cette demande nouvelle nous arrange évidemment très très bien.
C’est une opportunité ?
Exactement. Sur le vélo, on ne reculera plus. Toutes les communes et les villes sont en demande de développer des infrastructures cyclables, ont un programme de développement du vélo. C’est plutôt une bonne nouvelle, de même que le télétravail, parce que la mobilité, c’est quand même un très gros souci dans les émissions.
Deuxième élément: depuis la crise sanitaire, il y a une conviction plus forte du fait que l’on doit se réapproprier certaines productions. Un certain nombre de responsables politiques ou économiques se sont posés des questions en voyant que l’on dépendant de l’étranger pour produire des simples masques. Il y a quand même quelque chose qui ne va plus: ce n’est pas possible qu’une économie comme la nôtre, ou en tout cas à l’échelle européenne, soit incapable d’organiser une production aussi simple que ça. Du point de vue économique, il va aussi en rester quelque chose en termes de relocalisation de l’économie et de commerce local. Cette réflexion vaut aussi pour l’énergie, les médicaments…
La crise des inondations a également provoqué une prise de conscience du fait que le changement climatique est bien là. Cela a des conséquences énormes que beaucoup de personnes ne pensaient pas possibles chez nous maintenant.
Tout cela va clairement avoir un impact majeur dans les prochaines années.
En attendant, agit-on assez?
Les objectifs que l’on avait définis au début du gouvernement ont été confortés, personne ne les a remis en question, notamment parce que l’on avait bien mesuré qu’il y a des phénomènes mondiaux contre lesquels ont doit agir, ce n’est pas le moment de reculer. J’ai clairement eu peur, à un moment donné, que la crise sanitaire reporte tous les autres problèmes de long terme, ce qui aurait été le pire de tout parce que cela signifierait que l’on devrait subir les crises les unes après les autres.
Ce n’est pas ça qui s’est produit. Nous avons perdu quelques mois, clairement, mais les objectifs ont été confortés et les budgets ont été renforcés: ce que nous avions négocié au début du gouvernement a été amplifié par une évolution à l’échelle européenne et la conviction qu’il fallait investir dans une action contra-cyclique. Cela a débouché sur le plan de relance européen qui a amené 1,9 milliard supplémentaire pour la Wallonie. Finalement, on s’est trouvé avec un plan de relance encore beaucoup plus ambitieux au service des mêmes objectifs qu’en début de gouvernement.
Après la deuxième crise, celle des inondations, je ne peux plus tenir ce discours-là. Malheureusement, elle s’ajoute à la première et nous sommes dans des budgets de l’ordre de plusieurs milliards pour la gestion de déchets et la reconstruction de la Wallonie.
Ce ne sont plus des budgets entièrement dévoués à la transition…
C’est ça. Objectivement, on arrive à la limite de notre capacité d’action. On n’a pas remis en cause les objectifs, mais il est clair que l’on doit prioriser les travaux dans le temps. C’est clair que l’on va d’abord traduire certains éléments de l’efficacité énergétique dans les bâtiments ou d’adaptation climatique d’abord dans les zones à reconstruire.
Il y a aussi une limité du système économique des entreprises, des matériaux, on est un peu à la limite des capacités.
Notamment en raison de la pénurie de main d’oeuvre et de matériaux ?
Voilà. Si la première crise n’a pas réduit les objectifs, la deuxième crise nous oblige à être créatifs, tout en gardant les objectifs de long terme.
Vous évoquez deux chantiers majeurs que sont la mobilité et l’isolation des bâtiments. Mais comment agir sur mix énergétique du futur?
En Wallonie, l’ambition de 55% de réduction est maintenue. Cela induit différentes dimensions. Plus on va réussir à diminuer notre besoin, mieux c’est. La première chose consiste donc à diminuer notre consommation. Pour être à terme 100% durable, c’est plus facile de l’être en limitant notre consommation.
Dans la mobilité, cela passe par le transport modal, la réduction de nos déplacements qui peut passer par le télétravail. C’est pareil pour le déplacement de marchandises: on ne doit pas que faire du transfert modal, on doit aussi se dire aussi qu’il n’est pas normal d’avoir autant de marchandises venant du bout du monde. On connaît l’intérêt du commerce mondial, mais quand on fait venir des oignons de Tasmanie ou même des poulets d’un autre pays d’Europe, ce n’est pas efficace. Pire, il y a des produits qui voyagent plusieurs fois, en avion ce qui est le pire. Au-delà de ce que l’on ne produit pas chez nous, il y a un problème économique parce que le coût du déplacement n’est pas du tout pris en compte. Il y a un débat européen ou au niveau de la COP qui doit changer ce paradigme. On ne sait pas agir seul au niveau de la Wallonie.
Par contre, ce que l’on peut faire au niveau du transport des personnes, c’est diminuer notre nombre de voitures et notre nombre de kilomètres parcourus en voiture, à la fois en investissant massivement dans les transports en commun, ce que nous sommes en train de faire en terminant le tram de Liège, en décidant son extension vers Herstal et Seraing, en étendant le métro de Charleroi, en décidant plusieurs bus à haut de niveau de service ou des lignes express dans plusieurs villes wallonnes, sans oublier ce que le fédéral au niveau des trains. C’est une politique générale visant à reconvaincre les gens de prendre les transports en commun, même si la crise sanitaire nous a fait perdre de la fréquentation de façon temporaire.
Dans la DPR, on a prévu une baisse de 30% du nombre de voitures pour 2030. C’est un objectif très ambitieux, qui devient de plus en plus plausible depuis la crise sanitaire.
C’est la même chose pour les bâtiments. Nous avons un parc de bâtiments très important en Wallonie, qui est en moyenne du niveau F, on doit arriver au niveau A en 2050. Cela veut dire que l’on doit rénover beaucoup plus qu’aujourd’hui. On a prévu un investissement massif pour l’isolation afin que cela ne repose pas que sur la volonté des ménages : les primes, cela ne va pas suffire. Pour atteindre le niveau voulu en 2030, il faudrait tripler le rythme actuel. Nous prévoyons des programmes globaux quartiers.
Vous misez toujours sur la production d’énergies renouvelables?
Nous avons différentes filières, pour lesquelles on devra probablement rehausser les objectifs à travers les certificats verts.
On a encore un très grand potentiel dans l’éolien, au-delà du double de ce qui existe aujourd’hui, d’ici 2030. L’objectif est de 4600 GW alors que nous sommes aux environs de 2000GW. Cela va être possible en ayant des nouveaux parcs, mais aussi en amplifiant la capacité des parcs existants. On remplace les éoliennes existant en les remplaçant par des machines plus hautes et plus puissantes.
On a également encore un très haut potentiel dans le photovoltaïque, au niveau des particuliers, qui est un dossier sensible et difficile. Mais on a surtout un potentiel important pour les grandes installations: si on ne prend que les toitures des centres commerciaux, des bâtiments agricoles, des industries, des bâtiments publics… sans parler de certaines situations particulières comme les grands parkings ou certains perdus pour l’agriculture.
Comment concrétiser ce potentiel avec le syndrôme Nimby, omniprésent? Avance-t-on assez vite?
Cela prend toujours plus de temps que ce que l’on ne voudrait, c’est évident. Et cela génère des craintes et des oppositions de toutes natures.
Il faut évidemment continuer sans relâche à convaincre de la nécessité de faire des investissements positifs pour le climat, qui vont nous inscrire dans l’avenir et créer de l’emploi chez nous.
Le dossier éolien est le plus sensible.
Y compris, parfois au sein même du mouvement écologiste, non?
Bien entendu. Il faut dire aussi que les promoteurs n’ont pas toujours été les plus subtils: quand on ne tient pas du tout compte des avis de la population ou que des projets concurrents donnent l’impression que l’on aura des éoliennes partout. Mais il faut continuer sans relâche à discuter.
Il y des informations fausses véhiculées sur les nuisances réelles ou la perte supposée de valeurs des biens immobiliers. De manière générale, après l’implantation d’un parc éolien, il y a généralement moins d’oppositions qu’avant. Il y a aussi un besoin de se réapproprier son territoire: nous sommes dans un monde où les citoyens de subir un monde qui dérégule, le changement climatique, des multinationales qui vont s’implanter… Dans les projets citoyens, c’est très important de soutenir l’implication citoyenne, y compris dans la prise de parts financières dans des coopératives notamment. Cela crée une appropriation de l’énergie et cela permet d’ajuster les projets à la réalité locale.
On reste dans une logique d’implantation le long des autoroutes?
Oui, même si ce n’est pas exclusif. Le cadre de référence définit toute une série de règles pour garantir une certaine cohérence paysagière. Mais il y a aussi toute une série de contraintes: les survols militaires et de l’aviation civile, les zones dédiées à l’habitat… Nous venons de lancer la “Pax Eolienica” qui vise à rendre le développement de l’éolien plus harmonieux. Il s’agit de lutter contre les freins en trouvant les situation adéquates. Là-dedans, on trouve une discussion avec l’armée pour qu’il réduise éventuellement leur zone de survol, la mise en place d’arrêt des éoliennes à certains moments…
Cette Pax va-t-elle se concrétiser bientôt?
Elle vient de démarrer, c’est un travail évolutif qui va prendre quelques mois et déboucher sur des initiatives pour faciliter des installations. Il y a aussi un débat sur le Conseil d’Etat. Le nombre de recours est important et le conseil d’Etat donne rarement une réponse définitive. On me parlait encore récemment d’un projet éolien qui a eu une réponse définitive après huit demandes successives de permis parce que le Conseil d’Etat ne se prononce que partiellement. Il y a une incertitude considérable pour les promoteurs sur la possibilité d’avoir un permis définitif ou sur les éléments à prendre en compte pour qu’un projet soit accepté.
Cela veut dire que vous allez négocier avec le Conseil d’Etat ?
En tout cas, nous allons discuter avec le gouvernement fédéral pour voir comment on peut adapter ça. Il n’est évidemment pas question de toucher à l’indépendance du Conseil d’Etat, ni au principe du recours auquel nous sommes très attachés comme écologistes. Mais le fait qu’on ne sache jamais quand il y aura une vraie décision, c’est un problème, ce n’est pas raisonnable.
Au niveau durable, c’est le principal chantier? Et le photovoltaïque? Les grands espaces ne posent-ils pas ce même problème de Nimby?
Sur les terres agricoles, oui, mais ce n’est pas le principal levier et il existe certains projets d’agrivoltaïsme. On peut très bien mettre des panneaux photovoltaïques aussi sur certaines friches polluées: c’est un processus réversible. Il y a quand même beaucoup de possibilités. Par contre, on a un énorme potentiel sur les bâtiments: c’est un chantier que l’on va investir dans les prochains mois et pour la suite de la législature parce que ce potentiel peut être concrétise de façon relativement rapide. Il existe toujours un soutien pour les plus grandes installations, même si on devra le revoir parce que l’évolution du prix de l’énergie a un impact direct sur la rentabilité. Le but est de soutenir jusqu’il faut pour que le niveau de rentabilité soit suffisant pour les investisseurs, mais pas de faire un sur-soutien puisque cela avait été le problème que l’on a connu avec la fameuse “bulle”.
Mais le problème essentiel n’est pas le soutien parce que c’est globalement rentable, c’est davantage une question d’accompagner le promoteur parce qu’il y a par exemple beaucoup de situations où l’occupant n’est pas forcément le propriétaire du bâtiment: il faut trouver le bon système pour voir qui investir, qui récupère l’électricité… Dans les magasins où il y a des frigos, ce qui es toujours le cas dans l’alimentaire, il est pertinent de trouver des formules. J’ai récemment visité un Lidl à La Louvière où une éolienne compensait la consommation.
Nous allons essayer de maximiser la production avec les communautés d’énergie, un sujet très attendu: le décret est déjà passé par deux lectures au gouvernement, on attend le Conseil d’Etat, il arrivera au parlement dans quelques mois. Le principe de ces communautés virtuelles permet de regrouper différents acteurs qui sont tous sur le réseau électrique, producteurs et consommateurs, qui ont créé un réseau entre eux. L’intérêt, c’est évidemment d’encourager l’autoconsommation instantanée.
Le problème que l’on a eu avec le photovoltaïque, c’est que l’on a confondu l’autoconsommation instantanée et le compteur qui tourne à l’envers. Quand le compteur tournait à l’envers, en plein journée quand il y a du soleil, personne ne consommait, du moins pas assez. L’électricité se perd sur le réseau. Ce que l’on doit vraiment réussir à faire, c’est qu’un maximum d’électricité soit consommée au moment où elle est produite, sans stockage également. Il y a une très grande demande dans les entreprises à ce sujet: dans un zoning, avec un ou deux éoliennes et des panneaux photovoltaïques, ils savent gérer ensemble leur consommation et leur production. Cette dynamique-là est très intéressante.
Un particulier peut s’inscrire dans une telle communauté?
Evidemment, l’objectif est de maximiser les investissements qui ont été faits. On peut aussi organiser une consommation collective dans un immeuble à appartements, par exemple.
On le fera aussi pour ceux qui n’ont pas de panneaux photovoltaïques: nous sommes en train de préparer les tarifs 2024 qui prévoiront plusieurs plages horaires: cette tarification réactualisera l’actuel compteur jour/nuit. Très clairement, l’après-midi à 15h quand il y a du soleil, ce sera moins cher pour tout le monde, même ceux qui n’ont pas de panneaux. Nous encourageons aussi des primes pour ceux qui veulent piloter à distance leurs installations: ce déplacement de consommation est central dans la transition énergétique.
Que pensez-vous de la sortie du nucléaire?
Notre volonté, c’est de respecter l’accord de gouvernement. On doit vérifier que l’on n’a pas de problème d’approvisionnement. Si c’était le cas, il reste la possibilité de maintenir plus longtemps un ou deux réacteurs. C’est l’accord de gouvernement: ce n’est pas un tabou, c’est un calcul mathématique.
Tinne Van der Straeten (Groen, ministre fédérale de l’Energie) laissait entendre récemment dans une interview qu’Engie avait déjà acté la sortie totale du nucléaire.
Engie a vraiment basculé. Je ne l’aurais pas dit comme elle l’a fait en disant qu’Engie avait “pris acte”, mais c’est vrai. Ils avaient besoin d’une décision politique claire et maintenant, c’est le cas.
Il reste une ambiguïté dans le discours de certains, non?
Mais c’est complètement entretenu. Quand on parle du nucléaire ou de l’opposition aux centrales à gaz, aucun parti politique n’envisage sérieusement ou n’assume la prolongation à long terme du nucléaire. La seule chose qui se discute, c’est le maintien de un ou deux réacteurs ces prochaines années, c’est tout. Si on voulait miser à long terme sur le nucléaire, on devrait miser sur de nouvelles centrales qui coûtent extrêmement cher, dont personne ne va vouloir, dont personne ne va assumer l’installation. Il faut être conséquent: si on ne veut pas du nucléaire à long terme, on doit organiser la sortie et pas tergiverser comme c’était le cas depuis de trop nombreuses années.
Pour la transition, on a besoin du CRM, qui est nécessaire même si on prolonge un ou deux réacteurs. Le CRM s’est totalement transitoire, on ne mise évidemment pas à long terme sur le gaz comme ressource d’énergie puisqu’on veut aller vers le 100% durable. C’est une transition parce que l’on n’a pas été assez vite avec le renouvelable, que les interconnexions n’existent pas encore suffisamment…
Les interconnexions, c’est une part délicate dans le mix total ?
C’est encore en construction, mais en allant vers le renouvelable complète, cela veut dire que l’on va vers une production beaucoup plus décentralisée: c’est vrai au niveau local, mais c’est aussi vrai à une échelle plus globale, européenne ou mondiale. On va non seulement utiliser tout le potentiel venteux de la mer du Nord, mais aussi de manière plus large.
L’autonomie énergétique est-elle illusoire ?
On n’aura jamais été autonome énergétiquement que dans les prochaines décennies. Durant tout la période industrielle, a a toujours fortement dépendu de l’extérieur que ce soit pour la pétrole, le gaz, l’uranium… Plus on va vers le renouvelable, plus on en a chez nous et plus on limite nos besoins, plus on sera autonome. Cela ne veut pas dire à 100% bien sûr, on restera toujours interconnecté&, ne fut que pour lisser sur des territoires plus vastes.
Un prix plus juste de l’énergie est-il une manière de décourager la consommation excessive ?
C’est certainement une clé, globalement, dans le commerce mondial, c’est celui du prix du carbone. Est-ce que c’est le prix de l’énergie ou une autre manière de comptabiliser, mais il est sûr que le fait de transporter des marchandises à l’autre bout du globe sans que cela ne coûte rien, on a un problème, ce n’est pas normal. Cela ne prend pas le coût pour la société : ça oui, cela doit changer.
Par contre, dans les politiques plus microéconomique, ce que l’on doit faire, c’est organiser la transition en intégrant toutes les couches de la population et en veillant à ce que certaines catégories sociales n’aient plus accès à l’énergie. C’est ce que l’on intègre déjà dans les politiques. Il y des primes destinées aux ménages précaires, il y a toute la question de la tarification, il y a le statut social fédéral que l’on a élargi au niveau régional… C’est tout à fait essentiel. Mais la façon la plus efficace de réduire la facture, c’est de réduite la consommation, et il doit aussi y avoir un accompagnement dans la capacité à la réduire. C’est remplacer les chaudières, par exemple, l’isolation des bâtiments et des canalisations. C’est ce que l’on essaye de faire monter en puissance, nous le faisons aussi pour les logements sociaux, sur lesquels nous avons la main.
Il y a un large consensus sur le constat climatique et la nécessité d’agir. Avez-vous l’impression qu’il reste toutefois une polarisation importante pour le moment, une crispation de certains en Belgique ? On entend certaines voix au MR, à la N-VA, certains experts…
Il est clair que les objectifs qui sont devant nous pour 2030, mais encore au-delà, sont nettement plus ambitieux que la révolution industrielle et c’est obligatoire de le faire. La révolution industrielle, elle s’est faite. Ici, nous avons une obligation de faire des changements importants dans un délai très court, on doit basculer de manière très forte jusqu’au milieu du siècle. Sinon, on n’attend pas les objectifs. Déjà comme ça, cela n’a pas empêché la catastrophe de juillet et il y en aura d’autres.
On doit absolument réussir ce défi qui n’est rationnellement pas tout à fait raisonnable, mais qui est obligatoire. Nous n’avons pas agi depuis cinquante ans de manière suffisamment anticipée et forte. C’est tout à fait normal que cela produise des complications et des résistances.
J’ai été ministre il y a dix ans dans des compétences similaires, je suis toutefois frappé de voir que dans les entreprises, cela a fortement évolué. Il y a un cap connu, imposé par l’Union européenne, qui est la décarbonation à l’horizon 2050, c’est un fameux défi, mais ils savent qu’au-delà de 2050, leur entreprise ne sera plus viable s’ils ne changent pas. Evidemment, il y a les premières actions qui sont les plus faciles : on réduit la consommation d’énergie là où on peut, on isole les bâtiments. Mais à un moment donné on cale parce qu’il y a du transport, il y a de l’action fatale dans les processus industriels et on ne peut agir là-dessus qu’en changeant de processus s’il en existe un, soit en faisant de l’économie très circulaire ou en captant le carbone. Ce sont des changements majeurs qui sont en cours.
La clarté du cap est donc importante ?
Fondamentale. Au niveau des ménages, on ne peut évidemment pas attendre la même stratégie à trente ans de la part des ménages. C’est là que les pouvoirs publics ont un rôle majeur à jouer et donner le cap, avec des politiques pour produire ce changement de façon supportable, sociale, choisie et souhaitable.
Politiquement, regrettez-vous que certains entretiennent le flou ?
Oui, je pense qu’il faut être conséquent. On peut pas à la fois dire qu’il faut lutter contre le changement climatique et défendre le principe qu’il ne faut rien changer. A un moment donné, il faut faire des choix pour changer d’orientation.
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