Philippe Donnay, de conseiller économique à la FEB à Commissaire au Plan
Peu de personnes peuvent passer sans transition du poste de conseiller économique à la FEB à celui de chef de cabinet d’un leader syndical, promu ministre de l’Emploi. Pour l’oser, il faut l’ouverture d’esprit et le pragmatisme de l’actuel Commissaire au Plan.
“Mes parents travaillaient dans le milieu bancaire, j’ai toujours entendu parler de finances à la maison, raconte Philippe Donnay. Etudier l’économie, c’était presque une évidence pour moi.” Ce qui était beaucoup moins évident, c’est que cela le conduirait un jour à élaborer des plans de sauvetage de banques, lors de la crise financière de 2008. Clin d’oeil de l’histoire: dans la gestion de cette crise, il a reçu l’appui de son directeur de mémoire Olivier Lefebvre. L’ancien patron de la Bourse de Bruxelles est en effet venu comme expert au cabinet de la vice-Première ministre Joëlle Milquet (cdH), cabinet dont Philippe Donnay assurait alors la direction.
C’est clair, je ne suis pas l’aile gauche du cdH. Mais je suis bien en phase avec l’importance accordée au bien commun et à l’équilibre entre les droits et devoirs de chacun.
A la sortie de l’université – Saint-Louis, puis l’UCLouvain -, le premier boulot fut bien entendu dans la banque. En l’occurrence Degroof à Luxembourg où le futur commissaire au Plan a officié cinq ans comme macro-économiste. “Je suivais le domaine depuis Luxembourg et Etienne de Callataÿ depuis Bruxelles, se souvient-il. Nous nous entendions super bien et c’est d’ailleurs toujours le cas.” C’est Etienne de Callataÿ qui glissa le nom de Philippe Donnay à l’oreille de Joëlle Milquet en 2004 quand le cdH cherchait un économiste pour son centre d’étude (le Cepess).
Ce Bruxellois pur sucre n’a pas manqué l’occasion de revenir près de ses racines. Il s’était toujours intéressé à la politique mais, reconnaît-il, pas spécialement au cdH. “A l’université, j’ai même eu ma carte du PRL ( ancêtre du MR, Ndlr), sourit Philippe Donnay. C’est clair, je ne suis pas l’aile gauche du cdH. Mais je suis bien en phase avec l’importance accordée au bien commun et à l’équilibre entre les droits et les devoirs de chacun. J’ai une étiquette politique, je l’assume sans problème mais cela ne m’empêche pas de parler en toute confiance avec des personnes de tous les horizons politiques, du nord comme du sud du pays.” A la rue des deux Eglises, il côtoie un jeune responsable du département politique appelé… Maxime Prévot (actuel président du cdH). “Avec quelques autres, nous sommes la génération des Milquets’ Boys”, résume Philippe Donnay. Il n’y a pas que des boys puisqu’il est aussi resté en contact régulier avec Catherine Fonck, cheffe de groupe cdH à la Chambre.
Vive l’Italie
“J’adore manger. De tout. C’est peut-être là le problème”, sourit Philippe Donnay. Quand les restos étaient ouverts, il fréquentait volontiers Al Barmaki, un libanais du centre de Bruxelles, ou Chez Fleur, un vietnamien d’Ixelles. “Et une fois par an, nous nous offrons un citytrip en Italie, car nous adorons la cuisine italienne, ajoute-t-il. Le fait de ne plus pouvoir côtoyer mes amis me manque vraiment. Je peux avoir l’air d’un animal solitaire mais, en réalité, j’ai besoin de voir du monde, de voir mes amis.”
Un détour par la FEB
Son aventure politique a pourtant failli tourner court. Il était en poste depuis un an et demi quand il reçut un coup de fil de l’administrateur délégué de la Fédération des entreprises de Belgique, Tony Vandeputte, un ancien du Cepess (et aussi du Bureau du Plan! ). Même s’il n’est pas en froid avec son parti – la suite de sa carrière le confirmera -, il choisit de bifurquer pour engranger de nouvelles expériences.
Philippe Donnay a vécu des années très intenses en tant que conseiller économique de la FEB. De cette époque, il conserve des liens étroits avec Pierre Hermant (actuel patron de finances.brussels) et Jean Baeten, qui est toujours le spécialiste “fiscalité” de la FEB. “Jean, je l’ai au téléphone au moins une fois par semaine pour évoquer l’actualité économique, politique et, bien entendu, fiscale, concède le commissaire au Plan. Quant à Pierre, nous avons à nouveau travaillé ensemble au sein de l’Economic Risk Management Group (instance mise en place pour encadrer la politique économique durant la crise du Covid-19). C’est vraiment un bonheur de travailler avec lui. Ce sont des personnalités très importantes pour moi. Sans eux, je ne serai pas devenu la personne que je suis.”
Des réseaux sociaux très professionnels
Philippe Donnay suit volontiers les discussions sur Twitter ou LinkedIn mais il intervient peu. Sa fonction exige en effet une certaine retenue. “J’utilise les réseaux sociaux essentiellement pour annoncer la sortie de nos études, dit-il. C’est un outil essentiel pour diffuser notre travail. Mais j’évite d’entrer dans des débats publics. Parfois, je me risque à une petite réflexion, un peu humoristique, mais uniquement si je connais bien la personne à qui je m’adresse.”
541 jours très marquants…
Son escapade à la fédération patronale fut intense mais brève. Moins de deux ans plus tard, Philippe Donnay revenait au cdH comme chef de cabinet adjoint du ministre de l’Emploi… Josly Piette. Eh oui, l’économiste de la FEB a rejoint sans transition l’équipe de l’ancien dirigeant syndical (CSC), ce qui est quand même un bon signe de son ouverture d’esprit! Il a poursuivi l’aventure politique auprès de Joëlle Milquet, alors ministre de l’Emploi, puis vice-Première ministre. Il a vécu à ses côtés les fameux 541 jours de crise politique, la sixième réforme de l’Etat et l’expérience du gouvernement Di Rupo. “J’ai passé des jours et des nuits avec mes collègues du DAB (l’instance informelle qui réunit des chefs de cabinet du Premier ministre et de ses vice- Premiers, Ndlr), sourit-il. Ça crée des liens profonds.” De cette époque, il retrouve avec plaisir Olivier Henin (ex-chef cab de Didier Reynders) au CA d’Ethias ou Olivier Vanderijst (alors chef cab de Laurette Onkelinx) dans les sphères économiques wallonnes. Il cite également Nicolas Pire (expert MR lors de la dernière révision de la loi de financement, désormais chef de cabinet de Willy Borsus et qu’il retrouve au CA de l’Awex).
J’évite d’entrer dans des débats publics.
A la fin de cette législature, il a réussi les épreuves de sélection pour prendre la tête du Bureau fédéral du Plan en 2014. “C’est un job intellectuellement très riche, confie-t-il. Et pour un économiste, c’est vraiment une place privilégiée, sans doute la plus belle avec celle de gouverneur de la Banque nationale.” Un clin d’oeil à Pierre Wunsch, qu’il a côtoyé lors de la crise financière (le futur gouverneur était alors au cabinet Reynders) mais qu’il a surtout appris à connaître au sein de l’Economic Risk Management Group qui conseille le gouvernement dans cette crise économique et sanitaire. Philippe Donnay apprécie la diversité des études économiques du Bureau du Plan, mais on sent chez lui un faible pour les questions liées au vieillissement et au financement des pensions. Son implication dans ce dossier lui a permis de tisser d’excellents liens avec Frank Vandenbroucke et l’administratice générale du SPF Pensions Sarah Scaillet. “C’est vraiment vraiment une personne très importante à mes yeux dans ce travail délicat pour l’avenir de nos pensions”, conclut le commissaire au Plan.
Ils vous parlent de lui
Marc Descheemaecker , président de Brussels Airport et de De Lijn
“Nous nous étions déjà croisés à quelques occasions, mais c’est en siégeant au conseil d’administration d’Ethias que nous avons vraiment appris à nous connaître. C’est quelqu’un de très rationnel: quand il vous explique un schéma, vous le comprenez mieux après!
Mais surtout, en plus de cet esprit scientifique, très analytique, Philippe possède une vraie capacité à coupler ses réflexions aux réalités socio-politiques. J’apprécie beaucoup cette faculté de lier les deux aspects, peu de gens peuvent faire cela. Philippe ne reste pas dans la théorie, il veut des résultats.
Autre élément qui le distingue de beaucoup de personnes proches de la politique: il regarde les choses à long terme, bien au-delà des quatre-cinq ans d’une législature. C’est un atout précieux pour analyser un dossier. Nous ne sommes pas d’accord sur tout, loin de là ( Marc Descheemaecker a une étiquette N-VA, Ndlr), mais je trouve toujours de la valeur dans ce que dit Philippe, dans les arguments qu’il avance. Et souvent, cela fait évoluer les points de vue.”
Florence Lepoivre , cheffe de cabinet Emploi du vice-Premier ministre Pierre-Yves Dermagne (PS)
“Nous avons appris à nous connaître dans les réunions intercabinets, quand Philippe représentait Joëlle Milquet et moi Laurette Onkelinx. Dans ces moments-là, chacun défend son point de vue politique mais Philippe le fait toujours avec beaucoup d’écoute et de respect. Et après, il respecte toujours les accords. Nous avons continué à nous voir depuis, y compris chez des amis communs. C’est vraiment quelqu’un de brillant et, on ne le sait pas toujours, doté d’un grand sens de l’humour.
Aujourd’hui, c’est amusant: le cabinet Dermagne exerce la tutelle sur le Bureau du Plan. Autant dire que le contact passe facilement. Cela ne veut pas dire que nous sommes d’accord sur tout mais nous nous parlons en toute franchise. Cette fonction de commissaire au Plan convient parfaitement à son esprit analytique. Mais, ne vous y trompez pas, il sait aussi montrer les dents et remettre l’église au milieu du village quand il le faut.”
Luc Denayer , secrétaire général du Conseil central de l’économie
“J’ai découvert Philippe Donnay il y a une quinzaine d’années quand il représentait la FEB dans des sous-commissions du Conseil central de l’économie. J’ai vu comment il négociait avec le banc syndical – à l’époque, c’était déjà à propos de la révision de la loi de 1996 sur la compétitivité -, comment il maîtrisait et défendait ses dossiers, tout en étant toujours très constructif, dans la recherche de solutions. Il essaie vraiment de comprendre le point de vue et les contraintes de l’autre. Philippe a un esprit très rationnel, il comprend vite et bien les enjeux. Mais il a aussi une profonde humanité, il accepte l’autre tel qu’il est, c’est viscéral chez lui.
Avec lui, c’est straight to the point, il ne tourne pas autour du pot pendant 50 heures pour dire les choses. Ceux qui le connaissent moins peuvent peut-être trouver cela un peu brutal. Ce n’est vraiment pas le cas, il joue juste la franchise dans la négociation. Il ne se passe pas une semaine sans que nous discutions ensemble des différents enjeux économiques et politiques, du plan de relance, etc. Ce sont toujours des discussions très éclairantes pour moi.”
Olivier Leleux , président du comité de direction de Leleux Associated Brokers
“Nous nous sommes rencontrés via des amis communs et des clubs de sport. Et nous nous sommes assez vite retrouvés autour de notre intérêt pour la chose publique. Nous échangeons beaucoup sur l’actualité, sur les mesures que les gouvernements envisagent pour essayer de rétablir une forme d’équité fiscale.
Avec Philippe, c’est toujours une discussion de techniciens, pas d’idéologues. Il cherche l’efficacité, les solutions les plus utiles pour l’Etat, celles qui n’impacteront pas le monde économique. Il a vraiment le sens de l’Etat chevillé au corps. Je suis moi-même macro-économiste de formation et je peux vous dire que je suis rassuré de savoir qu’il y a un Philippe Donnay au Bureau du Plan qui surveille les cordons de la bourse. Ses avis sont respectés à gauche, à droite et au centre. En plus, c’est une personnalité humble et discrète. Il veut donner plus de visibilité à l’action du Bureau du Plan mais je suis sûr qu’il doit un peu se faire violence pour cela. Ce n’est pas quelqu’un qui cherche la lumière.”
Joëlle Milquet, ex-vice Première ministre et ex-présidente du cdH, aujourd’hui l’une des dirigeantes du Centre européen d’appui électoral
“Philippe est arrivé chez nous comme économiste. Outre sa rigueur et sa maîtrise des dossiers, j’ai toujours apprécié sa vision de l’économie: elle doit être au service d’un projet de société, en l’occurrence une économie sociale de marché. Il n’est pas enfermé dans ce que j’appellerais ‘une économie aveugle’, il n’envisage pas l’économie comme ‘le veau d’or’ de notre société.
Philippe est quelqu’un de précieux dans la négociation politique. Il sait mettre les gens à l’aise, il écoute beaucoup, il n’est pas un donneur de leçons et ne cherche jamais à imposer ses idées par la force. Mais n’en déduisez pas qu’être centriste, c’est être mou! Philippe apporte la nuance, l’esprit de synthèse, le sens de l’intérêt général dans le débat. Il possède une incroyable créativité pour trouver le chemin des solutions. Il est, en outre, toujours très attentif aux effets pervers potentiels des mesures envisagées.”
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