Philippe Close (PS) : “Quinze mois d’attente pour un gouvernement bruxellois, ça suffit !”

Philippe Close © Hatim Kaghat
Amid Faljaoui

Alors que la formation d’un gouvernement bruxellois reste encore dans les limbes, nous avons rencontré, dans le cadre de l’émission télévisée “Trends Talk” diffusée sur Trends Z, Philippe Close, bourgmestre de la Ville de Bruxelles, pour évoquer avec lui les sujets qui fâchent, mais aussi ceux porteurs d’espoir.

Quinze mois sans gouvernement régional, c’est long. Faut-il encore patienter ou conclure à tout prix ? “Il faut conclure, déclare Philippe Close.Les Bruxellois sont fatigués d’attendre et nous aussi. Mais c’est vrai que notre système est complexe : double majorité, deux collèges linguistiques, un équilibre fragile… Mais c’est aussi notre réalité institutionnelle. Et donc, clairement, on ne peut pas rester indéfiniment dans cet entre-deux. L’informateur Yvan Verougstraete a travaillé avec sérieux et calme, son profil centriste a permis d’apaiser les tensions. Mais maintenant, on doit franchir l’étape suivante : mettre un gouvernement en place et commencer à gouverner.”

TRENDS-TENDANCES. Le MR a agité l’idée d’un retour aux urnes.

PHILIPPE CLOSE. Alors, là, c’est une illusion. Nos institutions reposent sur le principe de “gouvernement de législature”. Cela signifie qu’on ne peut pas provoquer de nouvelles élections avant terme. C’est d’ailleurs conçu pour éviter les crises à répétition. Revoter n’est donc pas une option juridique. Après tout, le MR est le premier parti, c’est donc à lui qu’il revient d’assumer ses responsabilités et de rassembler une majorité autour d’un programme.

Oui, mais la formule proposée donnerait plus de ministres néerlandophones que francophones. N’est-ce pas difficile à justifier face à la démographie bruxelloise ?

Le déséquilibre n’est pas satisfaisant, c’est vrai. Mais il faut parfois accepter un compromis pour avancer. L’essentiel, aujourd’hui, c’est de mettre la machine en marche. Nous pourrons corriger ce défaut institutionnel en 2029, mais pas rester paralysés encore des mois.

Sécurité : “attaquer la source, pas seulement les symptômes”

Le ministre fédéral de l’Intérieur, Bernard Quintin, veut multiplier les opérations “coup de poing” et installer davantage de caméras. Est-ce la bonne stratégie pour réduire l’insécurité à Bruxelles ?

Ces opérations sont utiles, mais soyons honnêtes, elles ne règlent pas le problème de fond. Elles permettent de casser un point de deal, de rassurer un quartier, mais ce sont des solutions temporaires. Si l’on ne tarit pas la source du trafic, cela reviendra toujours, ici ou ailleurs. La source de l’insécurité, tout le monde la connaît, c’est… le port d’Anvers. Tant que seuls 2 à 3% des conteneurs seront contrôlés, les trafiquants continueront d’inonder l’Europe de cocaïne.

Que proposez-vous concrètement ?

D’abord, renforcer la police. Les policiers mènent les enquêtes, interpellent les trafiquants, assurent la présence de terrain. Si l’on veut tenir dans la durée, il faut recruter et stabiliser les effectifs. Ensuite, agir dans les prisons : aujourd’hui, certains barons de la drogue continuent de diriger leur business depuis leur cellule. C’est intenable. À Haren, nous avons dû investir 100.000 euros dans des barrières pour empêcher les livraisons sauvages autour de la prison. Mais cela ne suffira pas : il faudra brouiller les téléphones portables des détenus les plus dangereux.

Et l’armée ? Ne peut-elle pas jouer un rôle ?

Je ne crois pas aux patrouilles militaires en rue. Mais pour tenir des postes fixes – gares, ambassades, sites sensibles – oui, cela peut être utile. Et surtout au port d’Anvers. Les dockers et les douaniers y sont soumis à une pression énorme, parfois menacés. Les militaires peuvent jouer un rôle de soutien, pour sécuriser les lieux et libérer la police pour son vrai métier : enquêter.

Les caméras partout dans la ville, certains y voient un risque de société de surveillance.

En Belgique, la loi est stricte. Les images ne peuvent être visionnées que par des policiers assermentés, sur décision d’un magistrat. Dans ces conditions, les caméras sont un outil précieux. Et ce sont souvent les habitants des quartiers populaires qui en réclament. Ils savent qu’une caméra, ce n’est pas une atteinte à leur liberté, c’est une garantie de sécurité.

“Je ne crois pas aux patrouilles militaires en rue. Mais pour tenir des postes fixes – gares, ambassades, sites sensibles – cela peut être utile. Et surtout au port d’Anvers.”

N’y a-t-il pas un effet médiatique dans toutes ces déclaations sur l’insécurité ? Est-ce qu’on ne fait pas que déplacer simplement les problèmes ?

C’est vrai qu’un point de deal déplacé peut réapparaître ailleurs. Mais lorsqu’on agit avec intensité, en mobilisant police et parquet, on peut vraiment nettoyer une zone. J’ai vu des quartiers libérés en quelques mois. Le défi, c’est de tenir dans la durée et de coupler l’action locale avec un assèchement à la source, c’est-à-dire à Anvers.

Philippe Close
© Roularta Media Group

Emploi et réforme du chômage : “ramener les gens vers le travail”

La réforme fédérale du chômage va-t-elle peser sur les CPAS bruxellois ?

C’est un risque. Si l’on réduit les allocations sans activer les gens, on risque de déplacer la charge vers les CPAS, ou pire, vers les maladies de longue durée. On ne gagne rien à ça. Ce qu’il faut, c’est accompagner, former, activer. Remettre les gens à l’emploi, notamment dans les métiers en pénurie.

Mais certains profils, notamment les chômeurs de longue durée de plus de 55 ans, restent très éloignés du marché de l’emploi. A Bruxelles, 46% des chômeurs le sont depuis plus de deux ans !

Justement, il faut faire preuve d’intelligence. On ne résout pas cela avec un coup de massue budgétaire. Il faut créer des parcours adaptés, proposer des formations pertinentes, mettre en valeur les compétences. Ce sera difficile, mais ce n’est pas impossible.

Le ministre du Budget assure que les compensations financières suffiront à couvrir le choc de la fin du chômage illimité.

Nos calculs montrent que non. La pauvreté n’est pas répartie de manière uniforme, et Bruxelles est particulièrement exposée. Il ne faut pas se voiler la face : la réforme aura un impact réel sur le terrain. À nous de limiter les dégâts en misant sur l’activation et la formation.

Bruxelles peut-elle compter sur un atout spécifique ?

Oui : le bilinguisme de sa jeunesse. Aujourd’hui, près de 27% des élèves bruxellois sont scolarisés en néerlandais. Résultat : une génération de bilingues arrive sur le marché du travail. Pour un employeur, un jeune capable de travailler en français, en néerlandais et souvent en anglais est immédiatement employable. C’est une chance que peu de régions en Europe peuvent revendiquer.

BECI, économie et chantiers : “gouverner et construire”

La Chambre de commerce bruxelloise (BECI) parle de “minuit moins quelques secondes” avant le drame pour Bruxelles. Exagération ?

C’est son rôle d’alerter, et elle le fait bien. Son message principal est juste : il faut un gouvernement, et vite. C’est la clé de tout le reste.

Le “Bouwmeester” de Bruxelles n’a pas encore été nommé. Or, sans sa nomination, les projets immobiliers de plus de 5.000 m² restent en suspens.

Cela doit être réglé rapidement, c’est une évidence. Mais malgré ce retard, la dynamique reste là : Bruxelles construit. Les grues sont présentes partout, et c’est un signe de vitalité. Une ville sans chantiers est une ville qui se meurt. Et nous avons des projets structurants, comme la reconversion du quartier européen avec le projet “City Forward”, qui doit en faire un pôle productif moderne et attractif.

Mais certains sièges sociaux quittent Bruxelles pour la périphérie, et les taxes sur les bureaux augmentent. C’est quand même un mauvais signal pour les entreprises ?

Ce n’est pas à sens unique. De grands acteurs comme TotalEnergies ou Bank of New York ont choisi le centre-ville, y compris le piétonnier, pour s’installer. Ce n’était pas forcément dans leur ADN, mais ils ont compris l’attractivité d’un cœur de ville accessible et vivant. Que certaines entreprises choisissent la périphérie, ce n’est pas dramatique : nous fonctionnons comme une métropole. L’essentiel est de travailler en réseau avec la périphérie.

La Région fonctionne aux douzièmes provisoires. Est-ce tenable budgétairement ?

Ce n’est pas une solution durable. Les douzièmes permettent de gérer le quotidien, mais ils n’apportent aucune réponse ni au déficit ni à la dette. La Région devra s’attaquer à un exercice sérieux de redressement.

Démographie : “une ville plus nombreuse, plus mixte, plus contrastée”

Bruxelles a gagné près de 300.000 habitants en 25 ans. Quel est le portrait actuel ?

Nous sommes passés d’environ 900.000 habitants à 1,2 million. Ce sont d’abord beaucoup de jeunes, souvent étudiants, qui vivent en colocation autour des universités. Ce sont aussi de nombreux expatriés à hauts revenus, venus pour travailler dans les institutions ou dans les multinationales. Et il y a bien sûr des familles qui quittent la Région pour trouver un logement plus grand et moins cher.

On entend souvent que Bruxelles se paupérise. Est-ce exact ?

Pas dans l’ensemble. Oui, il y a des poches de pauvreté, mais il y a aussi des quartiers où le pouvoir d’achat augmente. Regardez le centre-ville, Uccle, Watermael-Boitsfort, le nord et l’est de Bruxelles : on voit émerger de nouvelles dynamiques positives. La réalité, c’est que Bruxelles est contrastée, pas uniformément appauvrie.

Cap stratégique : “la cité de la connaissance et la santé comme moteurs”

Bruxelles compte 140.000 étudiants dans le supérieur. Quelle est la place de cette population dans votre vision économique ?

C’est notre force. Après avoir assumé notre rôle de capitale européenne, nous devons devenir une capitale de la connaissance. Les universités, les hautes écoles, les centres de recherche attirent des étudiants et des chercheurs du monde entier. Cela crée un écosystème unique, qui génère de l’innovation et attire des entreprises.

“Après avoir assumé notre rôle de capitale européenne, nous devons devenir une capitale de la connaissance.”

Vous mettez aussi en avant la santé dans vos points forts.

Oui, c’est un secteur stratégique. Nous avons trois hôpitaux universitaires sur le territoire (UZ-VUB, Saint-Luc, Erasme) et un regroupement Erasme-Bordet-Hôpital des Enfants qui crée un pôle de recherche exceptionnel. La santé, on l’oublie trop souvent, c’est à la fois des soins, de la recherche médicale, des essais cliniques et des partenariats avec l’industrie pharmaceutique. C’est un moteur économique à part entière.

Cela a encore du sens de parler “d’industrie” à Bruxelles ?

Pas d’industrie lourde au centre-ville, bien sûr. Mais une industrie métropolitaine, en réseau avec le site d’Audi Forest, l’aéroport de Zaventem, les zones logistiques du Brabant flamand, oui, ça j’y crois. Le prolongement du tram vers Zaventem en est l’illustration. Bruxelles doit travailler avec son hinterland, pas contre lui. C’est vrai que du côté Brabant wallon, il y a encore un vide qu’il faudra combler et que je ne m’explique pas. Mais si l’on veut créer des emplois productifs, il faut raisonner à l’échelle de la métropole.

“Bruxelles doit travailler avec son hinterland, pas contre lui.”

Quel message clair adresseriez-vous aux dirigeants économiques qui nous lisent ?

Trois points. D’abord, sur la sécurité, nous serons concrets : plus de policiers, des caméras utiles, mais avec un État présent dans les prisons et au port d’Anvers. Ensuite, l’emploi reste notre boussole : activer, former, miser sur le bilinguisme de notre jeunesse. Enfin, nous devons accélérer la transformation de Bruxelles en cité de la connaissance et en pôle de santé, tout en reconnectant l’industrie métropolitaine. Mais pour que tout cela fonctionne, il faut un gouvernement. C’est la condition de départ.

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