Pas de risque à court terme, mais la pression s’accentue : il n’y aura pas toujours un “bon Leterme” pour sauver la dette belge

© BELGA PHOTO JONAS ROOSENS
Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

Sans crédibilité budgétaire et sans croissance, l’emballement des finances publiques est garanti. Notre pays est, avec les États-Unis, celui qui doit fournir un effort particulièrement important pour empêcher sa dette de croître à l’avenir.

Alors que l’on s’oriente, faute d’accord budgétaire au gouvernement fédéral, vers les douzièmes provisoires, la Banque nationale de Belgique a publié sur son site une étude sur la soutenabilité des finances publiques de cinq pays développés très fortement endettés : l’Italie, la France, les Etats-Unis, le Japon, et bien sûr la Belgique. 

Avec un message : une trajectoire d’endettement croissant persistant, partant de niveaux déjà élevés, n’est pas soutenable à moyen et long termes. « En Belgique, observe la BNB, le ratio dette publique/PIB de 104 % (dette nette, 107% si l’on prend la dette brute) en 2024 – est considérable. Ce chiffre est parfois relativisé dans le débat public par l’évocation d’autres économies avancées présentant des ratios de dette publique aussi élevés, voire plus élevés, comme la France, l’Italie, les États-Unis et surtout le Japon ».

L’endettement brut est en effet de 117% du PIB en France, de 125% aux États-Unis, de 137% en Italie et de 236% au Japon. « Toutefois, leurs ratios d’endettement plus importants ne signifient pas que la dette publique belge est moins vulnérable. En effet, la soutenabilité de la dette ne se limite absolument pas au seul niveau actuel de la dette ; l’évolution future de la dette est, également, un élément crucial », observe la BNB. 

Trajectoire ascendante 

La principale préoccupation de la BNB pour notre pays réside en effet dans la trajectoire fortement ascendante de sa dette publique sur la prochaine décennie. A politiques inchangées, la dette devrait atteindre environ 137 % du PIB d’ici 2034.  Cette augmentation de 30 points de pourcentage du PIB est une dynamique inquiétante, que l’on partage avec les États-Unis et la France.

« La dynamique fortement ascendante de la dette aux États-Unis, en Belgique et en France est préoccupante, souligne la BNB. Le ratio d’endettement devrait augmenter le plus fortement aux États-Unis. Dans les trois pays, de larges déficits primaires persistants constituent le principal moteur de l’augmentation de la dette. » Certes, pour l’instant, grâce aux taux d’intérêt très bas qui ont régné ces quinze dernières années, le taux sur le stock de la dette est encore modéré, et il est moins élevé que la croissance nominale.  Mais en Belgique, cette dynamique rassurante prendra fin, selon la BNB, en 2031.  

Dérapage budgétaire

Le danger n’est pas immédiat. « En Belgique, les risques à court terme pour la soutenabilité de la dette sont relativement faibles dans l’ensemble. Toutefois, les besoins de financement brut élevés, de l’ordre de 20 % du PIB chaque année, représentent une vulnérabilité majeure. Dans le même temps, la position extérieure globale nette positive du pays permettrait d’utiliser l’épargne privée pour financer la dette publique en période de tensions », explique la BNB. On l’a vu par exemple à la fin de l’année 2011 avec le « bon Leterme »  : si les marchés financiers commencent à faire pression sur la Belgique, il suffit de faire appel à l’épargne des Belges, moyennant un incitant fiscal, pour étouffer la spéculation dans l’œuf. 

Toutefois, à la longue, le dérapage budgétaire va s’accentuer.  « À moyen terme, en revanche, la tendance à la hausse prévue de la dette publique belge au cours de la prochaine décennie (à politiques gouvernementales inchangées) est préoccupante, prévient la BNB. Cette situation reflète le déficit actuel élevé, ainsi que la hausse des charges d’intérêt et des coûts liés au vieillissement, en dépit des réformes adoptées en 2025 qui ont permis de réduire ces derniers d’environ de moitié à long terme ». 

Déficit trop élevé 

En effet, puisque nous partons d’un déficit budgétaire élevé, toute pression supplémentaire provoqué par un événement conjoncturel ou structurel fait mal.  Et ces pressions peuvent provenir de la hausse des taux d’intérêt ou de la hausse structurelle de certains coûts, notamment liés au vieillissement, dans un contexte où il faut dépenser davantage pour la Défense. 

De manière générale, pour qu’une dette publique soit soutenable, il faut deux éléments. Un, une crédibilité budgétaire : il faut réduire le déficit public à un niveau compatible avec une stabilisation, voire une réduction de la dette même en tenant compte de scénarios de chocs réalistes. L’autre critère est la croissance économique.  Plus la croissance est forte, moins le poids de la dette est lourd à porter. 

Or, sur ces deux points, nous ne sommes pas gâtés. D’un côté, la croissance de l’économie belge est modeste, comme celle de la zone euro. Nous sommes à environ 1% en termes réels (en éliminant les effets de l’inflation). Quant à la crédibilité budgétaire, elle est à revoir, puisque nous paraissons depuis des années incapables de juguler le déficit public pour le faire repasser en dessous de 3% du PIB. 

Trois chocs 

La BNB s’est livré à un petit exercice. Elle a soumis notre dette à trois chocs : une hausse des taux de 1% (100 points de base) de plus à partir de 2026. Un tel choc ferait croître la dette de 6 points de PIB d’ici 2034. Un choc de dépense qui simule la facture à payer pour atteindre progressivement le nouvel objectif de l’OTAN de 3,5 % du PIB d’ici 2035 pour les activités de défense essentielles. 

Ce choc augmenterait le poids de la dette de 7 points de PIB d’ici 2034. Et un scénario de stabilisation qui détermine l’effort à faire pour en termes d’ajustement du solde primaire (sans tenir compte donc de la charge des taux d’intérêt) pour empêcher le ratio dette-PIB de progresser. « Pour stabiliser son ratio d’endettement, la Belgique devra, en moyenne, réaliser un budget primaire équilibré », affirme la BNB. On en est loin. Selon le comité de monitoring, si l’on ne rend pas de nouvelles mesures, les dépenses primaires devraient continuer d’augmenter de 9,4 milliards entre 2026 et 2030. 

En résumé, parmi les cinq pays envisagés, nous sommes parmi les derniers de la classe : « L’ajustement budgétaire nécessaire pour stabiliser la dette est considéré comme l’un des plus importants parmi les pays étudiés, juste après les États-Unis », avertit la Banque nationale. A bon entendeur… 

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