Il y a parfois des études économiques qui, tel le phénix, renaissent de leurs cendres. C’est le cas d’un rapport sur les inégalités, qui avait été présenté en juin par la Banque Nationale, et qui revient sur le tapis, grâce entre autres à deux Paul: Paul De Grauwe et Paul Magnette. Et bien sûr, grâce aussi au contexte budgétaire particulier qui donne des boutons à Bart De Wever.
En juin, en effet, la Banque Nationale avait pour la première fois publié ses « comptes nationaux distributifs ». Ils combinent les données des comptes nationaux avec des sources administratives et des enquêtes, permettent d’avoir une analyse plus fine des indicateurs économiques selon le type de ménage, le niveau de revenu et la principale source de revenus. Et donc, de mesurer plus finement les inégalités.
Une Belgique plus inégale
Lors de la conférence de presse de présentation de cette étude, Géraldine Thiry, directrice à la Banque Nationale, avait souligné que ces nouveaux chiffres « mettent d’abord en évidence une inégalité de revenus structurellement plus élevée en Belgique qu’on ne le supposait auparavant ». Le coefficient de Gini, qui mesure l’inégalité sur une échelle de 0 (égalité parfaite) à 100 (inégalité maximale), dépasse systématiquement 30 dans ces nouvelles statistiques. Alors qu’il était de 25 dans les estimations basées sur les enquêtes statistiques menées chaque année dans les pays de l’Union européenne. Cette différence s’explique principalement par une meilleure capture des revenus du capital (dividendes, intérêts). Ceux-ci sont fortement concentrés chez les 1 % les plus riches.
Mais ce que l’étude pointait, c’est aussi une très grande disparité entre riches et très riches. Le dixième décile, soit les 10% les plus riches, affiche un revenu disponible (soit un revenu après impôts, taxes et cotisations) en moyenne de plus de 250.000 euros par an.
Une question de nature des revenus
Mais l’écart est très important entre les 1% les plus riches, qui ont des revenus primaires (avant impôts et cotisations) de plus de 600.000 euros, et les 9% restants, qui affichent des revenus d’un peu plus de 200.000 euros « seulement ». Après redistribution, cette inégalité est même aggravée : les 1% affichant des revenus disponibles de 430.000 euros environ, contre 150.000 euros environ pour le reste du décile. Conclusion : les super riches bénéficient davantage de la redistribution que les riches.
Pourquoi ? Parce que, explique la Banque Nationale, « exprimée en part du revenu disponible, la charge des impôts et des cotisations sociales augmente avec chaque décile, sauf pour le plus élevé. Cette anomalie est entièrement due au percentile le plus riche (le top 1 %), où les revenus du patrimoine, tels que les intérêts et les dividendes, prédominent. Ce type de revenu bénéficie d’un traitement fiscal avantageux et est exempté de cotisations sociales, ce qui allège la charge fiscale des plus riches et contribue à accentuer les inégalités ». En gros, plus vous avez dans vos revenus une part importante de revenus mobiliers, moins vous participez à la redistribution et plus vous en bénéficiez.
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Écart entre riches et super riches
L’étude de la BNB « montre que les 1 % les plus riches reçoivent le plus grand montant de transferts sociaux de toutes les classes de revenus, à savoir 100 000 euros par an », précise Paul De Grauwe, économiste émérite de la KU Leuven et enseignant à la London School of Economics. L’économiste rappelle aussi une autre étude pilotée par un autre professeur d’économie émérite de la KU Leuven, André De Coster.
Cette étude montre que la charge fiscale totale (impôts, cotisations sociales) est de 43% en moyenne en Belgique, et elle est de plus de 40% pour une grande majorité de la classe moyenne, avec une charge fiscale plus élevée, pour la classe moyenne aisée, c’est-à-dire les déciles 7 et 8 (en sachant que le décile 1 est celui qui comprend les 10% des Belges dont les revenus sont les plus faibles, et le décile 10 les 10% des Belges dont les revenus sont les plus élevés).
Ceux-là paient 47% de charges fiscales sur leurs revenus, ce qui est plus que ce que paient les classes les plus riches : les déciles 9 et 10 ne paient que 43%. Et si l’on zoome sur les plus riches des riches, on trouve que les 1% ne paient que 24% de charges fiscales sur leurs revenus, soit, en proportion, la moitié de la charge de la classe moyenne.
Taxer les millionnaires
Évidemment, en ces temps où les finances publiques sont en difficulté, certains voient dans cette disparité entre riches et super riches l’argument pour instaurer une taxe sur les millionnaires. « En Belgique, les 1% les plus riches paient deux fois moins d’impôts que la classe moyenne, selon la Banque Nationale. Et pendant ce temps, le gouvernement les écrase avec de nouvelles taxes et continue à épargner les grands patrimoines. Cherchez l’erreur », observe le président du PS Paul Magnette.
« Le 1 % des plus riches ne paie que 24 % de ses revenus en impôts. Pour le Belge moyen, cela représente près de 50 % de ses revenus. Même après l’impôt des millionnaires du Vooruit, les ultra-riches verseront toujours un pourcentage bien inférieur de leurs revenus à l’État que le Belge moyen », abonde Paul De Grauwe.
Un débat biaisé
Mais le débat sur cette taxe sur les millionnaires est biaisé, car souvent, le mot « riche » ne recouvre pas la même réalité. Un premier piège réside dans les propositions fiscales sur les « super riches », qui recouvrent à la fois les riches et les super riches qui sont, on l’a vu, une catégorie sociale très différente, avec des contributions sociales qui ne sont sensiblement pas les mêmes. Or, si l’on taxe les patrimoines à partir de 5 millions d’euros, comme le proposent le PS ou le PTB, voire au-delà de 1 million, comme le propose Ecolo-Groen, on risque de toucher une partie des riches qui ne sont pas super riches. C’est d’ailleurs déjà toute l’ambiguïté des mesures existantes (celles sur les comptes-titres) ou projetées (celles sur les plus-values) qui visent les « plus larges épaules » comme un groupe homogène.
L’autre observation concerne évidemment le fait que la taxe sur les millionnaires (au-delà de 1, 5 ou, comme le propose l’économiste français Gabriel Zucman, 100 millions) concerne le patrimoine, et pas le revenu. Or, un problème sérieux se pose pour, par exemple, le patron de start up. Sa société est valorisée parfois à des dizaines de millions, mais il se paie un salaire minimal parce qu’il investit tout dans son entreprise.
Tant que, dans le discours politique, on n’aura pas clairement défini qui est super riche et quelle est la manière de faire contribuer ces « 1% » de manière équitable, le débat partira dans tous les sens. Et l’on aura une classe moyenne aisée, sans être « super riche », qui aura l’impression d’être mise deux fois à contribution.
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