Christophe De Caevel
L’indécision est un mal chronique du système belge, quel que soit le niveau de pouvoir
Affaibli par la fronde des députés de son parti, Jean-Luc Crucke est-il encore en mesure d’arracher un accord politique sur les indispensables mesures d’économie?
Les gouvernements de Rudi Vervoort et d’Elio Di Rupo viennent tous deux d’éteindre un début d’incendie qui menaçait leur unité. Point commun entre la saga des taxis bruxellois et celle de “l’impôt juste” wallon: les positions validées par l’exécutif ont été mises en cause de l’extérieur par des élus appartenant pourtant a priori à la majorité. Avec une circonstance aggravante à Bruxelles où la fronde est venue directement du parti du ministre-président, lequel ne pouvait dès lors plus vraiment jouer son rôle d’arbitre.
On peut évidemment se réjouir de constater que les parlementaires – les élus du peuple – ne se contentent plus d’un rôle de “presse-bouton” et veulent affirmer leurs positionnements idéologiques. Démocratiquement, c’est plus sain. Mais dans la pratique, cela risque de scléroser encore un peu plus nos gouvernements de coalition, au sein desquels chaque décision est le fruit de subtils compromis entre les partis au pouvoir.
Or, nous l’écrivons à peu près chaque semaine dans Trends-Tendances, l’indécision est déjà un mal chronique du système belge, quel que soit le niveau de pouvoir. On reporte, on esquive, on tente une formule transitoire et on croise les doigts pour que le temps ou les habitudes finissent par imposer une décision. Si le sort des taxis est revenu sur la table du gouvernement bruxellois cet automne, c’est bien à la suite de l’incapacité à définir un nouveau cadre légal qui réponde à l’évolution technologique et aux nouvelles habitudes de consommation. A force de repousser l’échéance et de fermer les yeux sur la réalité des activités d’Uber à Bruxelles, la majorité se retrouve contrainte à échafauder dans l’urgence une ordonnance “sparadrap” pour calmer le jeu. Avouez qu’il y a plus glorieux comme traitement d’un dossier latent depuis sept ans…
Le décret wallon sur l’impôt juste ressort d’une tout autre approche. Il n’y a pas ici de stratégie de pourrissement mais au contraire d’anticipation puisqu’il s’agit du premier des trois volets d’une action visant à moderniser la fiscalité régionale. Le ministre des Finances Jean-Luc Crucke aurait pu sagement attendre un accord global sur ces trois volets avant de s’exposer. Il a préféré avancer pas à pas, histoire d’engranger des résultats concrets et d’éviter de devoir se contenter d’un surplace sur toute la législature. Bref, il a voulu éviter un encommissionnement comme pour les taxis bruxellois.
Le gros dossier de la législature pour Jean-Luc Crucke, c’est l’implémentation du budget base zéro, c’est-à-dire d’un processus d’épluchage systématique de toutes les dépenses avant leur éventuelle reconduction. Son impôt juste reprenait en fait la même démarche, mais du côté des recettes: vérifier que les dispositions rencontrent bien leur but et que les stratégies d’évitement ne sapent pas l’efficacité de tel ou tel impôt. Le budget base zéro doit permettre de dégager chaque année au moins 150 millions d’économies structurelles afin de garantir la soutenabilité des finances publiques régionales.
Cet engagement est repris dans le budget 2022, qui vient d’être voté en commission et passera en plénière au Parlement wallon la semaine prochaine. Mais pour l’heure, il n’y a toujours pas le moindre détail sur la concrétisation de cet engagement. Affaibli par la fronde des députés de son parti à son égard, Jean-Luc Crucke est-il encore en mesure d’arracher un accord politique sur des mesures d’économie ou devra-t-il, à son tour, se résoudre au surplace? La question nourrira les réflexions de fin d’année du ministre wallon des Finances qui a déjà annoncé que, “le moment venu”, il saurait tirer les conclusions de cet épisode.
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