L’”île énergétique” Princesse Elisabeth confrontée à une explosion des coûts
Sur un chantier naval de la mer du Nord, des ouvriers s’affairent au pied de blocs de béton de la taille d’un immeuble. La Belgique se targue de construire la “première île artificielle au monde” d’énergies renouvelables, un projet pharaonique dont l’explosion des coûts fait grincer des dents.
Installée dans une zone de six hectares, à 45 kilomètres de nos côtes, cette “île” regroupera les câbles sous-marins d’éoliennes en mer et des transformateurs dans un “hub électrique”, pour acheminer le courant vers la terre ferme et connecter la Belgique à ses voisins européens. L’île artificielle est comme “une rallonge avec des prises multiples”, explique Joannes Laveyne, chercheur à l’université de Gand.
Lancé en 2021, le projet est présenté comme la pierre angulaire du futur réseau électrique belge, reposant sur une expansion considérable des énergies renouvelables pour sortir la Belgique de sa dépendance aux fossiles. Notre pays prévoit en effet d’installer des parcs éoliens offshore d’une capacité de 3,5 GW au cours des prochaines années, ce qui suffirait à alimenter tous les ménages et à couvrir 30% des besoins du pays, affirme le gouvernement.
Début des travaux
Les travaux de construction ont débuté dans le port néerlandais de Flessingue, où les blocs de béton, massifs, serviront de fondation à la future île “Princesse Elisabeth”.
Le défi est de taille pour notre pays, dont l’approvisionnement énergétique global repose encore à 70% sur les sources fossiles, contre quelque 12% pour les renouvelables.
Mais d’un montant initial de 2,2 milliards d’euros, le coût de l’île Princesse Elisabeth a plus que triplé, à 7 milliards, selon une estimation citée au Parlement la semaine dernière, que le gestionnaire du réseau Elia n’a pas voulu confirmer.
“Besoin de projets transformateurs”
“Cette augmentation des coûts est très préoccupante”, a réagi la ministre de l’énergie, l’écologiste Tinne Van der Straeten, auprès de l’AFP. En cause notamment, la guerre en Ukraine et le difficile sevrage de la dépendance au gaz russe, qui a provoqué une ruée vers les renouvelables et une explosion des prix.
“Dans tous les pays, on veut acheter le même matériel”, “câbles”, “convertisseurs AC/DC” entre courant alternatif et courant continu et même “accès aux bateaux”, souligne auprès de l’AFP Frédéric Dunon, PDG d’Elia Transmission Belgique.
Du côté des consommateurs, notamment les gros industriels, certains redoutent déjà que les surcoûts pèsent sur les futures factures d’électricité et réclament de repenser le projet ou de le suspendre.
Casque de chantier jaune sur la tête, dans le port de Flessingue, la ministre Tinne Van der Straeten défend quant à elle le projet mordicus. “Nous avons besoin de projets transformateurs, d’énormes projets comme celui-ci”, revendique-t-elle, en lien avec l’objectif européen d’atteindre 42,5% d’énergies renouvelables au sein de l’UE d’ici à 2030, environ le double de la situation actuelle.
Tout en tentant de réduire les coûts, le gouvernement réclame d’ailleurs davantage de financements européens, puisque d’autres pays bénéficieront des services de l’île. Elia a obtenu la semaine dernière un prêt de 650 millions d’euros de la Banque européenne d’investissement (BEI).
Le projet est soutenu par les écologistes, rassurés par les promesses d’une conception respectueuse de la nature, de la reproduction des oiseaux marins et accompagnée d’un récif artificiel pour stimuler la biodiversité.
Mais les écologistes craignent que le futur gouvernement belge, toujours en cours de constitution, n’ait pas les mêmes idées et ouvre la voie à un report et au maintien de sources d’énergie plus polluantes. Plus largement, les ONG redoutent que la poussée de l’extrême droite au niveau européen remettent en cause les objectifs climatiques de l’UE.
Interrompre les projets éoliens en raison de leurs coûts reviendrait à “jeter le bébé avec l’eau du bain”, met en garde Almut Bonhage, de l’organisation environnementale Bond Beter Leefmilieu.