Les nouvelles mues du bras financier de l’Etat
La vente d’une partie des actions BNP permet à la SFPI de clore l’opération d’ancrage d’Ageas et Euroclear qui a débuté il y a plus d’un an, explique son CEO Koen Van Loo.
Voici quelques jours, la Société fédérale de participations et d’investissement (SFPI), le bras financier de l’Etat, vendait un bloc de 33 millions d’actions BNP représentant 2,7% du capital de la banque française. La participation de l’Etat dans BNP, qui datait du sauvetage de Fortis en 2008 et qui était encore en février de 7,8%, est donc désormais tombée à 5,1%.
Cette opération permet à la SFPI d’engranger plus de 2 milliards d’euros, une somme qui lui permettra de régler ses dettes à l’égard de l’Etat et de clore une opération qui avait débuté voici un an.
“En janvier 2022, nous avions décidé de vendre une partie de notre participation dans une société française qui représentait la moitié de notre bilan afin de renforcer l’ancrage belge dans deux autres entreprises”, explique Koen Van Loo, qui dirige ce qui est devenu le fonds souverain du pays.
“Nous avions donc décidé trois choses, poursuit-il. L’une était la vente d’une partie de BNP, ce que nous venons de faire. Les deux autres étaient d’investir dans Ageas (le premier assureur du pays) et Euroclear (le grand dépositaire mondial, basé à Bruxelles). Nous avons investi environ 600 millions d’euros dans Ageas et 700 millions dans Euroclear. Nous avons pu emprunter grâce à l’administration générale de la Trésorerie. Et maintenant, avec le produit de la vente de ces actions BNP, nous pouvons rembourser cette dette. C’est un petit stress qui s’en va.” Et le CEO de préciser que si ces actions BNP n’avaient d’ailleurs pas été vendues avant, c’est parce que leur cours de Bourse n’était pas assez élevé.
Plan sur cinq ans
Cette triple opération n’est en réalité qu’un des volets du plan stratégique sur cinq ans qui a débuté en 2020. « C’est la première fois qu’un tel plan est fixé dans un contrat de gestion, et c’est le premier contrat de gestion de l’histoire de la SFPI, précise Koen Van Loo. Dans le passé, il n’y a pas encore si longtemps, la Belgique vendait ses bijoux de famille. Ce plan a été lancé parce que c’était le bon moment pour le pays d’avoir un fonds souverain digne de ce nom, afin de disposer d’un instrument doté d’une force de frappe suffisamment importante pour ancrer certaines sociétés belges, telles Ageas ou Euroclear. Pour cela, il faut que l’Etat nous apporte certaines des participations que la SFPI gérait en ‘mission déléguée’ (au nom de l’Etat, Ndlr). C’était un plaidoyer de longue date. Il s’est déjà partiellement concrétisé puisque les participations dans BNP et Ethias sont déjà dans notre bilan. »
Cette année, l’Etat devrait ainsi apporter ses participations dans Belfius et la Loterie nationale. Et en 2024, celles dans Proximus et bpost. A noter que pour cette dernière comme pour la Loterie, une partie de la participation est certes encore aux mains de l’Etat, mais une autre déjà dans la SFPI. Les autres participations gérées en mission déléguées, comme Royal Park Investments (société qui détenait les emprunts toxiques de Fortis et qui devrait s’éteindre d’ici deux ou trois ans) et Dexia (l’ancien groupe bancaire en lente extinction) resteront en revanche dans le giron de l’Etat.
“La centralisation des participations a évidemment pour objectif de pouvoir dégager davantage de moyens.”
Déjà, à mi-parcours de ce plan stratégique, quelques chiffres permettent de se rendre compte du chemin parcouru. “Avant 2022, nous avions des revenus de 200 à 250 millions d’euros par an, et un bilan de 2,5 milliards. Aujourd’hui, en ayant intégré BNP et Ethias, notre bilan est de 10 milliards et nos participations nous apportent, à la grosse louche, 500 millions d’euros par an.”
De ces bénéfices, la SFPI en ristourne 25% à l’Etat, sous forme de dividendes, le reste servant à autofinancer le développement de la société. “Je suis CEO de la SFPI depuis 16 ans et nous avons affiché un bénéfice chaque année, se réjouit Koen Van Loo. Nous parvenons ainsi à nous autofinancer. La centralisation des participations de l’Etat a évidemment pour objectif de pouvoir dégager davantage de moyens pour de nouveaux investissements dans l’intérêt de notre économie.”
Des obstacles à lever
Pour que le plan soit totalement abouti, il reste toutefois encore à lever certains obstacles. L’intégration de la banque Belfius doit en effet passer l’examen de la Banque centrale européenne (BCE). Le gendarme des banques a demandé certaines précisions avant de se prononcer définitivement. Le risque réside dans le fait que la SFPI, pour reprendre Belfius dans son bilan, soit obligée de se muer en holding financier, avec toutes les charges qu’impose ce statut.
“Si nous ne parvenons pas à convaincre la BCE, l’apport de Belfius ne se fera pas.”
“Si nous devenions un holding financier, nous devrions recruter une armée de comptables pour assurer les reportings en normes comptables internationales, pour les stress tests, pour toutes une série de contraintes. Nous devrions doubler le personnel de notre structure, qui compte aujourd’hui 30 personnes. Devenir holding financier imposerait en outre que les membres de notre conseil d’administration soient fits and propers pour la BCE. Autrement dit, qu’ils aient une expérience dans le monde bancaire et financier. Mais nous n’aurions plus alors d’expérience dans l’énergie, les investissements à impact, la santé, etc. Nous négligerions tout le reste de notre bilan et de notre stratégie. Ce n’est donc pas praticable. Nous devons convaincre la BCE que le fait que Belfius soit sous le pavillon de la SFPI ne change en rien le soutien de l’Etat. Mais si nous ne parvenons pas à la convaincre, l’apport ne se fera pas”, ajoute le patron de la SFPI.
L’autre problème concerne la Loterie nationale. Et il est de nature juridique. “L’apport des actions de l’Etat à la SFPI pourrait être considéré comme une vente. Nous avons une autre opinion, mais si ce devait être le cas, il y aurait alors obligation que la vente soit publique et que d’autres opérateurs de jeux de hasard puissent racheter la Loterie. Ce n’est évidemment pas le but de l’opération. Nous essayons donc de trouver une solution technique et juridique.”
Le plan stratégique de la SFPI a dû également composer avec certains imprévus, et plus précisément le surgissement du covid, qui a nécessité l’intervention de l’institution. “Pendant cette période, nous avons renforcé nos participations dans l’aéronautique, un secteur de notre portefeuille qui était particulièrement touché”, indique Koen Van Loo. La SFPI a ainsi octroyé un emprunt de 300 millions sur six ans à Brussel Airlines.
Biotechs sous pression
Mais un autre secteur du portefeuille de la SFPI ressent aujourd’hui, avec retard, les effets du covid: c’est celui des biotechs et de la santé. La SFPI possède actuellement des participations dans une quarantaines de biotechs.
“Des sociétés ont dû suspendre leur phase de tests cliniques parce que les hôpitaux ne pouvaient plus accueillir de patients à cette fin, explique le CEO. Les tests ont donc été suspendus pendant six mois. Ils ont repris ensuite mais, entre-temps, ces biotechs avaient brûlé du cash. Elles ont donc aujourd’hui besoin de nouveaux investissements. Ces tours de table étaient prévus, mais pas si tôt. Nous restons toutefois un actionnaire fiable, patient et de long terme et jouerons notre rôle. Certains de ces refinancements ont d’ailleurs déjà été décidés mais ne sont pas encore dévoilés. Et il y en a en Wallonie comme en Flandre.”
Ses six secteurs clés: finance, aéronautique, santé, transition énergétique, investissement à impact et nouvelle mobilité.
Parallèlement à cette aide, la stratégie de la SFPI consiste à soutenir, par des investissements, six secteurs clés. “Il y en a trois dans lesquels nous sommes déjà présents: la finance, l’aéronautique et la santé, poursuit Koen Van Loo. Et trois nouveaux: la transition énergétique, l’impact investing – nous avons ainsi investi dans Impact Finance Belgium, le nouvel institut créé l’an dernier pour développer l’investissement à impact dans le pays – et le secteur de ce qu’on appelle ‘la nouvelle mobilité’. Nous avons toutefois du mal à trouver des dossiers intéressants dans ce dernier domaine.”
Aussi John Cockerill
Dans la transition énergétique, par contre, les choses bougent. A l’automne dernier, la SFPI, Ageas (via les AG) et Ethias ont créé un consortium qui détient désormais 7% du capital de Fluxys, le spécialiste du transport de gaz.
“Nous sommes convaincus que Fluxys va jouer un rôle clé dans la transition énergétique de notre pays, explique Koen Van Loo. Il est relativement facile de modifier le réseau existant pour transporter d’autres substances que le gaz, comme l’hydrogène ou du CO2.” La SFPI a également décidé de financer une partie de la giga factory d’électrolyseurs que John Cockerill espère construire près de Seraing, et investir dans l’installation de bornes de charge rapide de voitures électriques. “Nous avons encore d’autres projets notamment dans ce secteur. Mais il est un peu trop tôt pour les dévoiler”, souffle le CEO pour conclure.
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